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TITRE TROISIÈME.

Du domicile.

I. Le mot domicile, pris dans son vrai sens juridique et par opposition à la simple résidence, indique la relation d'une personne avec un lieu déterminé, telle ville, tel village, ou même, dans un sens plus restreint, telle maison, où cette personne a son principal établissement (V. art. 102), où est, en d'autres termes, le centre de ses intérêts et de ses affaires. Presque tous les hommes passent ainsi leur vie; bien peu mènent une vie tellement errante, qu'on ne puisse leur assigner un lieu auquel ils se rattachent spécialement et où ils reviennent dès qu'ils n'en sont point écartés par quelque intérêt ou quelque soin temporaire (1).

II. Quelle peut être, en droit, l'importance de la question de domicile? Elle était énorme autrefois, lorsque chaque particulier était régi par le statut personnel du lieu où il avait son domicile: par exemple, en ce qui touchait la puissance paternelle et maritale, la tutelle des mineurs et leur émancipation,

(1) Comp. L. 7, Cod. Just., De incolis et ubi quis, etc. (Lib. X, tit. 39). - Cependant le mot domicile ne signifie souvent, en langage vulgaire, que le lieu d'habitation actuelle de la personne, et on le trouve avec ce sens dans plusieurs articles des Codes (V. par exemple, C. de pr., art. 781; C. Inst. crim., art. 87; C. pén., art. 184).

l'application aux femmes du sénatusconsulte velléien (1). La loi du domicile régissait aussi la dévolution des meubles; car, généralement du moins, elle s'opérait entre les héritiers suivant la coutume du domicile du défunt, parce que les meubles corporels ou incorporels étaient considérés comme n'ayant pas de situation. Ordinairement aussi on consultait la loi du domicile du crédi-rentier, pour savoir si une rente constituée, ou même viagère, était meuble ou immeuble, parce que c'était là une question de patrimoine et de conservation des biens dans la famille (opp. C. N., art. 529).

Ces applications de la loi du domicile ont disparu aujourd'hui, à raison de l'unité de la législation qui régit les Français.

Mais d'autres subsistent encore: ce sont celles qui règlent par le domicile certaines attributions de juridiction; car la maxime actor sequitur forum rei s'applique en matière personnelle et mobilière (V. C. de pr., art. 59; aj. C. N., art. 219, 234, 281), et jusqu'à un certain point en matière mixte (même art. 59, C. de pr.). Et même en matière réelle (immobilière) le défendeur doit être cité devant le juge de son domicile, lorsqu'il ne s'agit que du préliminaire de conciliation (C. pr., art. 50). C'est encore au domicile pris dans son sens juridique (mais restreint à la maison où la personne a son principal établissement), qu'on

(1) Qui leur défendait de s'obliger et d'engager leurs biens pour autrui.

doit lui signifier les assignations, les commandements et autres exploits d'huissier qui ne sont pas donnés à la personne même (V. C. de pr., art. 68; comp. ibid., art. 69 8°). Le Code Napoléon fait allusion à ces effets du domicile relativement à la compétence des juges et à la remise des exploits, lorsque, dans l'article 141, il indique l'élection de domicile comme dérogeant, sur ces divers points, aux règles ordinaires.

Le lieu où la succession s'ouvre est aussi déterminé par le domicile (art. 110). C'est-à-dire que le tribunal du lieu où était le siége des affaires du défunt est compétent pour statuer, sur l'action en partage, les licitations qui en sont comme des incidents, enfin les demandes en garantie des lots ou en rescision du partage, lesquelles, en définitive, ont toujours pour but un partage à refaire ou à régulariser (C. N., art. 822). L'article 59 du Code de procédure ne nous paraît nullement avoir dérogé à ces règles; il a seulement étendu la compétence du juge du domicile du défunt à certains litiges élevés à l'occasion de la succession, et sur lesquels le Code Napoléon ne s'était pas expliqué (1).

C'est presque toujours à des questions de compétence que se rattache, en matière de droit civil ou privé, l'indication du domicile. Ce que nous venons de dire de la juridiction contentieuse s'étendra, dans certains cas, à la juridiction gracieuse, comme si

(1) Par exemple si, durant l'indivision, les héritiers plaident sur des questions de fruits, d'entretien des biens, etc.

par exemple, un héritier bénéficiaire ou un curateur à une succession vacante, veut demander à la justice l'autorisation d'aliéner des immeubles de la succession (C. de pr., art. 987 et 1001). Il s'adressera naturellement au tribunal du lieu où elle s'est ouverte (celui du domicile du défunt), et où elle est en quelque sorte établie. Le domicile de celui qui se propose d'adopter détermine aussi la compétence des diverses autorités judiciaires devant lesquelles doit être passé le contrat ou qui doivent statuer sur son homologation (C. N., art. 353 et suiv.). Enfin le conseil de famille d'un mineur a son siége dans la commune du lieu où la tutelle s'est ouverte (art. 407), et sous la présidence du juge de paix de ce même lieu qui est celui du domicile du mineur (art. 406).

Le domicile quant au mariage donne lieu à des difficultés qui seront examinées plus tard (comp. art. 74, 165, 166 et 167) (1).

En dehors de ces règles de compétence et de procédure, la question de domicile, comme nous l'avons indiqué ci-dessus, n'a plus guère d'importance au point de vue du droit privé, à moins qu'on n'y fasse rentrer certains avantages pécuniaires attachés à la qualité d'habitant d'une commune, tel qu'est le droit d'affouage dans les bois communaux (Code forest., art. 105).

(1) V., relativement à l'influence du domicile sur la tenue des registres de l'état civil, les articles 60, 61, 80, 82, 86, 9398, 171.

III. Le Code a bien soin d'exprimer que le domicile dont il s'occupe n'a trait qu'à l'exercice des droits civils (art. 102); c'est qu'il n'entend régler que le domicile dit civil, pris par opposition au domicile politique que la Constitution de l'époque (celle de l'an VIII) avait voulu organiser à part, en imposant la nécessité d'une inscription pendant un certain délai sur des registres civiques. Plus tard, d'après les lois de la Restauration et de la monarchie de juillet, le domicile politique fut tout simplement lié au domicile civil, sauf la faculté de l'en détacher, sous certaines conditions, pour l'électorat et l'éligibilité. On sait quel retentissement ont eu, sous la dernière Assemblée nationale, les questions relatives au domicile exigé pour l'exercice du droit d'électeur politique; elles y ont été débattues jusqu'au dernier moment. Aujourd'hui le domicile ordinaire ou civil, dont le nom, du reste, est à peine prononcé dans les dernières lois organiques de la Constitution, n'apparaît plus comme distinct du domicile politique, si ce n'est que, pour l'électorat, on semble n'exiger d'autre domicile que l'habitation de six mois dans la commune où la liste électorale est dressée (Décret organique du 2 février 1852, art. 13) (1). Tout électeur est, d'ailleurs, éligible à l'âge de vingt-cinq ans, sans condition de domicile (ibid., art. 26), ce qui a pour but d'écarter, comme on l'avait toujours fait depuis la Révolution de février, la règle suivant laquelle la moitié au moins

(1) Comp., ibid., art. 14, où se trouve le mot domiciliés.

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