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Justinien, avec son style paraphrasé, semble adopter, dans sa novelle 39, le décret d'Adrien; mais son hypothèse n'est pas la même, et la solution qu'il donne n'est point explicite; en sorte que nous pouvons poser ce principe comme constant en droit romain, que la légitimité n'est assurée à l'enfant qu'autant qu'il naît dans le dixième mois du décès du mari de sa mère.

Dans notre ancien droit français (excepté pourtant dans les pays de droit écrit où la législation romaine était regardée comme loi municipale), aucune règle précise n'était établie; tout était abandonné à l'arbitraire des parlements. On pensait assez généralement qu'après dix mois depuis la dissolution du mariage, il y avait une sorte de présomption d'illégitimité; mais cette présomption était faible, la moindre circonstance la faisait défaillir, et, dans tous les cas, elle pouvait être combattue par la preuve contraire. Les arrêts des parlements se ressentaient de cette incertitude de la législation et de la doctrine. On voit des arrêts légitimer des enfants nés dans le douzième, dans le treizième même dans le dix-huitième mois depuis la dissolution du mariage. On en voit d'autres, au contraire, décider qu'après le dixième mois il n'y a plus de légitimité

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↑ Decretum dicitur principis, cùm ipse de causá cognoscit, et partibus auditis, pronunciat. V. Dig. leg. 3, de his quæ in testam, del. 28, 4.

2. arrêt de 1475, rapporté par Bouteiller dans sa somme rurale.

3 Godefroy sur la novelle 39.

Arrêt du parlement de Rouen du 8 juillet 1695. V. Rép. de Merlin, vo Légitimité, § 2, sect. 2.

5 Arrêt du 22 août 1626, rapporté par Brodeau. Arrêt du 10 août 1632, rapporté par Basnage sur l'article 335 de la coutume de Normandie.

possible. Dans ce conflit de décisions on éprouve un sentiment pénible, en reconnaissant que la justice se pliait souvent au caprice de familles puissantes.

Lors de la rédaction du Code civil, on sentit le besoin de limiter la puissance des tribunaux, et surtout de mettre fin à ces questions de fait dont la solution est si incertaine. Lors de la discussion qui eut lieu au conseil d'état, un membre demanda que l'on abandonnåt encore le soin de décider à la jurisprudence; mais sur les observations judicieuses de Tronchet: que laisser la décision de ces sortes de procès à l'arbitraire de la jurisprudence, c'était ouvrir la porte aux jugements de pure faveur, on adopta le principe d'une limitation précise.

Sans être partisan d'un système qui aurait pour résultat de conduire les juges par la lisière, comme le dit naïvement un professeur, on doit se féliciter d'avoir sur cette matière des règles précises dont les magistrats ne peuvent s'écarter. Si la nature est quelquefois capricieuse, il est certain que rien n'est plus dangereux pour la société qu'une législation dont les dispositions arbitraires donnent ouverture à la fraude et rendent facile l'usurpation du titre et des droits d'enfant légitime. Aussi, nous le répétons, il est heureux que le Code civil ait énoncé, sur la durée de la gestation, sur l'époque de la conception, des règles positives qui ferment la porte aux anciens abus. Le législateur de l'an XI, pour pouvoir établir des principes fixes et invariables, eut soin de s'éclairer des lumières d'hommes spéciaux. Fourcroy fournit les renseignements nécessaires puisés aux sources les plus certaines, et avec sa précision mathématique, il donna la formule suivante: « La fixation de 186 jours pour les naissances accélérées et de 286 jours pour les naissances tardives, ainsi que pour

la légitimation des enfants qui proviennent des unes ou des autres, se trouve parfaitement d'accord avec la portion la plus éclairée et la plus sage des physiciens, des naturalistes et des jurisconsultes.1

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Le projet du 24 thermidor an VIII adoptait les calculs de Fourcroy; l'article 3 du titre VII était ainsi conçu : « L'enfant né avant le 186e jour du mariage n'est plus présumé l'enfant du mariage. » L'article 4, s'occupant de la naissance tardive, disait : « Il en est de même de l'enfant né 286 jours après la dissolution du mariage. » Lors de la discussion du projet en l'an X et l'an XI, on reproduisit la formule de l'an VIII. Les articles 2 et 3 du titre de la paternité et de la filiation, présentés à la séance du 14 brumaire an X, déclaraient illégitimes de plano les enfants nés avant le 186o jour du mariage, et ceux nés 286 jours après sa dissolution. Mais sur les observations du Premier Consul, de Portalis et de Regnier, on proposa une rédaction qui, sans frapper absolument et de plein droit l'enfant, lui laissait son état lorsqu'il n'était pas attaqué. De là, les formules adoptées d'abord dans la séance du 13 frimaire an X, et enfin dans la séance du 13 brumaire an XI, lors de la présentation du projet définitif : « L'enfant né avant le 180o jour..... pourra étre désavoué.... la légitimité de l'enfant né 300 jours après, etc., pourra être

contestée. »

Mais en augmentant les termes fixés par Fourcroy, et en employant des expressions différentes, on n'avait nullement l'intention de consacrer des principes nou

1. Collection de Fenet, T. X, p. 15 et suiv., note.

2. Fenet, p. 14, 15, 16 et suiv.

veaux; on voulait tout simplement laisser aux enfants leur état, s'il n'était pas contesté.

Les termes de 180 et de 300 jours étaient irrévocablement établis ; ils exprimaient des principes tellement certains, que, dans le projet présenté officieusement au tribunat, on trouve à l'article 1er: « L'enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari, néanmoins celui-ci pourra désavouer l'enfant s'il prouve qu'au moment de la conception il était dans l'impossibilité physique de cohabiter avec sa femme. » Ce n'était que par induction, d'après la combinaison des articles suivants, qu'on arrivait à l'application des termes de 180 et de 300 jours1. Pour éviter toute espèce de doute, le tribunat proposa, et la section de législation adopta la rédaction de l'article 312 du Code actuel qui circonscrit d'une manière formelle le moment de la conception entre le 300e et le 180o jour avant la naissance de l'enfant.

Le tribunat voulant encore déterminer avec une précision très-rigoureuse l'état de l'enfant né 300 jours après la dissolution du mariage, demanda que l'illégitimité fût prononcée de plano. La section du conseil d'état, sans aucune objection, perdant le souvenir des observations antérieures, adopta cette formule bien plus nette que celle du projet de l'an VIII: La loi ne reconnait pas la légitimité de l'enfant né 301 jours après la dissolution du mariage. »

Lors de la présentation du projet au corps législatif, le 20 ventôse an XI, on ne retrouve plus cette dernière

1. Fenet, T. X, p. 116.

V. Fenet, T. X, p. 119. Il semblerait, dit le tribunat, que si la légitimité de l'enfant né douze mois, par exemple, après la dissolutiondu mariage, n'était point contestée, il devrait être regardé comme légitime; ce ne peut être l'intention de la loi. »

rédaction; la précédente, qui forme aujourd'hui l'article 315 du Code civil, reparaît: mais l'on sait sous quel rapport elle est plus favorable à l'enfant; on a vu qu'elle n'accorde pas un terme plus long; seulement elle attend la contestation pour prononcer l'illégitimité.

Maintenant que nous avons assisté à la confection de la loi, nous devons nous demander s'il est possible que l'enfant né le 301° jour de la dissolution du mariage puisse démontrer sa légitimité, lorsqu'on vient la lui contester, aux termes de l'article 315 du Code civil. Évidemment la réponse doit être négative.

En effet, les termes primitifs de la plus courte et de la plus longue gestation étaient 186 et 286 jours. Il était reconnu formellement que, quand on se trouvait en deçà ou au delà, il y avait illégitimité nécessaire et de plein droit1.

Une rédaction nouvelle est plus indulgente; d'une part, elle étend les termes, et de l'autre elle laisse à l'enfant son état, si personne ne le lui conteste. Voilà tout. On ne peut, en se fondant sur cette disposition, prétendre que, s'il y a contestation de la légitimité d'un enfant né le 301 jour depuis la dissolution du mariage, il y aura possibilité de résister et de repousser l'attaque. L'argument basé sur le mot pourra n'a plus de force. On a voulu, la discussion du conseil d'état le prouve, mettre fin aux incertitudes et aux fluctuations de la jurisprudence, en traçant des règles précises. Il faut respecter les limites posées. Sans cela, il n'y a plus que de l'arbitraire, et l'harmonie si bien établie entre les disposi

1 V. Fenet, loc. cit., p. 22 et suiv.; observations de Portalis et Regnier.

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