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marche. L'apôtre fut contraint, par les difficultés de l'entreprise, de demeurer en ces étroites limites. Jusque-là en effet les prédicateurs de l'Évangile, à l'exemple des missionnaires juifs, ne se rendaient qu'aux lieux où leurs compatriotes déjà établis les accueillaient, leur fournissaient le vivre et le couvert. Paul, résolu de s'affranchir d'Israël, entendait ne lui rien devoir. Le pain de chaque jour, il le demandait au labeur de ses mains; ce fut comme artisans que Barnabé et lui allèrent de bourg en bourg, cherchant de l'ouvrage, s'arrêtant plus ou moins selon l'état des esprits et les facilités du travail. Même aux endroits propices, il fallait du temps pour se faire accueillir et écouter par des inconnus; il en fallait plus encore pour les amener

la vie chrétienne, car la grâce, tout abondante qu'elle fût, ne transformait que peu à peu ces âmes incultes.

Des obstacles si nombreux et toujours renaissants contraignirent l'apôtre à tourner son impétuosité naturelle en une patience aussi énergique que persévérante. Pendant plusieurs années, au travers de la persécution, de la maladie, des tracas habituels aux gens de métier, il ne perdit pas de vue son dessein principal: tirer de la gentilité des communautés chrétiennes.

1 Lewin (Life of S. Paul, p. 145, 148, 151) marque 60 milles anglais d'Antioche de Pisidie à Iconium, 40 d'Iconium à Lystres, 20 de Lystres à Derbé, en tout une cinquantaine de lieues. Les auteurs anciens estiment à huit lieues environ la marche d'une journée (Procope, De Reb. Vandal., 1, 1. Tite Live, XXI, 27. Polybe, III, 42, etc.); mais il est probable que de pauvres artisans,

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voyageant à pied, comme les apôtres, ne faisaient pas plus de cinq

lieues par jour.

Les incirconcis n'étaient entrés jusque-là qu'un à un dans l'Église; ils y demeuraient confondus dans la foule des Juifs baptisés, souvent même partageaient leurs observances. Aux yeux des judaïsants, leur exemple passait pour exception regrettable, une dérogation provisoire au principe immuable : nul accès au Christ que par le mosaïsme. Le moyen d'en finir avec ces arguties était de créer des Églises de gentils. Paul le sentait, et avait hâte de déclarer par là sa mission; toutefois, si pressé qu'il fût de frapper ce coup, il usa, pour le rendre plus sûr, de sages lenteurs; il s'appliqua à rendre ses chrétientés d'Asie Mineure nombreuses, viriles, courant dans les voies de Dieu', afin que, si cette nouveauté révoltait Israël, le Christ y parût en telle gloire, que les plus obstinés fussent contraints. de s'incliner.

Le succès répondit à ses efforts. Quand les deux apôtres, revenus à Antioche, « eurent convoqué l'assemblée des frères et exposé tout ce que Dieu avait fait par eux », Paul, résumant d'un mot leur mission, proclama le changement survenu dans l'Église : «< Dieu a ouvert aux gentils la porte de la foi 3. »

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CHAPITRE TROISIÈME.

L'ASSEMBLÉE DE JÉRUSALEM.

Les années que Paul et Barnabé venaient de passer en Galatie avaient été une suite continuelle de souffrances et de travaux. Ils retrouvèrent le calme à Antioche et toute facilité de poursuivre l'entreprise commencée chez les païens de Pisidie et de Lycaonie, l'abandon du mosaïsme. La Syrie, plus que l'Asie Mineure, était un sol propice à ce développement de la révélation. Dès l'origine, nous l'avons vu, « le Seigneur Jésus y avait été annoncé aux Grecs 1» et les Israélites de la région n'avaient point combattu, comme ceux d'Antioche de Pisidie et d'Iconium, la libre prédication de l'Évangile; depuis lors, les Juifs syriens qui étaient convertis vivaient en plein accord avec les gentils baptisés, respectant leurs idées et leurs coutumes. Cette diversité de conduite entre hommes de même race et de même foi est pour surprendre. Il importe donc d'en rechercher les causes; car elle se présentera constamment au cours de cette histoire et lui donnera une apparence de perpétuelle contradiction. Nous ne pouvons le faire mieux qu'en rappelant ici ce que nous

1 Act., XI, 20.

avons dit ailleurs des Hébreux dispersés en terre étrangère '.

Israël, exclusif et fanatique quand il vivait isolé ou au milieu de peuples grossiers qu'il dominait, Israël devenait souple, accommodant, curieux de nouveautés dès qu'il se trouvait en société polie et cultivée, parmi des hommes dont la science lui imposait. Jadis Ninive et Babylone avaient eu sur les Juifs cet empire; Rome, Alexandrie, Antioche l'exerçaient au temps qui nous occupe. Les Israélites de ces grandes cités, où la sagesse antique jetait un vif éclat, voyaient leur Loi en son vrai jour, éternelle, immuable, supérieure par les vérités sublimes et la pure morale qu'elle enseigne, moins importante quant aux prescriptions qui réglaient le culte et les actes de la vie humaine. Cette distinction, manifeste pour tout esprit non prévenu, saisissait également les Juifs de la Dispersion et les païens près desquels ils vivaient. En retour elle échappait aux docteurs de Jérusalem, qui, détournant les yeux des nobles enseignements de leur Loi, ne songeaient qu'à en multiplier les pratiques.

Deux courants partageaient donc les fils d'Israël. En Judée prévalait l'esprit juridique. Les livres de Moïse et, dans ces livres, la partie législative était principalement étudiée; le rituel compliqué des cérémonies, les sacrifices, les expiations, les plus futiles observances formaient l'objet de longs commentaires, de discussions poussées à l'infini. Là se bornait communément l'enseignement des écoles de Jérusalem, doctrine de com

1 Saint Pierre, chap. I.

pilateurs, de légistes, de casuistes, aussi ardue que desséchante.

La Loi était vue d'un autre œil par les Juifs de la Dispersion; ses dogmes, ses préceptes de morale surtout, unique objet de leurs études, leur apparaissaient une voie ouverte à tous pour y courir librement, le cœur dilaté'. Ces larges vues eurent le double effet d'incliner nombre d'entre eux à la foi nouvelle et d'attacher les autres plus étroitement au mosaïsme ainsi épuré d'où le partage qui s'est manifesté à Antioche de Pisidie et à Iconium, et que nous retrouverons dans les autres synagogues que Paul visitera. Le triomphe de l'apôtre dans ce démembrement du judaïsme fut que partout l'élite d'Israël vint à lui. Les causes qui lui ménagèrent en tout lieu ces conquêtes de choix intéressent trop notre récit pour que nous omettions de les exposer en quelque détail.

Les prédicateurs de la Loi, tout dissemblables à l'étranger de ce qu'ils étaient à Jérusalem, eurent la part principale dans cette préparation des âmes au christianisme. Les Scribes, dont les études sacrées formaient l'unique soin, se réservaient en Judée le droit d'instruire Israël : dans le monde des gentils, au contraire, les communautés juives n'avaient d'autres prédicateurs que ceux de leurs fidèles qu'une piété plus vive, la maturité de l'âge, le don de la parole recommandaient pour ces fonctions. Nulle formation, nulle preuve de savoir, nulle consécration n'était requise 2; le tout était

1 Ps. CXVIII, 32.

2 Les seules restrictions mentionnées dans le Talmud sont que

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