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dans les deux Chambres. Enfin le président de l'Union luimême vient jouer sa partie dans la lutte; mais comment? En témoignant une mauvaise humeur à peine dissimulée contre les Free Soilers. Tout son message du 2 février en porte l'empreinte. Le premier magistrat de la république transmettait au Congrès le texte de la Constitution de Lecompton et le vote du 21 décembre; mais, omission peu habile, rien au sujet des autres votes qui devaient cependant compter aussi comme l'expression de la volonté des habitants du Kansas. Et comme conclusion, M. Buchanan conseillait d'ériger ce territoire en Etat avec la Constitution de Lecompton. Il comptait ainsi, et se gênait peu de le faire entendre, arriver à faire abolir cet acte. Contradiction en apparence, mais calcul assez plausible en réalité. Voilà donc sur quoi le Sénat et le Congrès étaient appelés à se prononcer. La première de ces deux assemblées eut recours à une manière de compromis pour concilier les vues politiques du Président avec le vœu populaire. La Constitution de Lecompton avait fixé l'année 1864 comme le terme le plus prochain auquel il serait permis à l'Etat de Kansas de réviser le pacte fondamental. Le Sénat supprima le délai, laissant ainsi au nouvel Etat la pleine liberté d'user immédiatement de sa souveraineté, pour modifier à sa guise sa Constitution, et pour s'affranchir d'une institution qui lui était odieuse. Saisie à son tour de la question, la Chambre des Représentants, après mûre délibération, rejeta la proposition présidentielle et adopta ce qu'avait mais en vain proposé un sénateur, M. Cristenden, à savoir, de soumettre une nouvelle fois à la sanction du peuple la constitution de Lecompton. Dans le cas de ratification de cette Constitution par le peuple, admission immédiate du Kansas à prendre rang dans les Etats de l'Union. Dans le cas contraire, appel au peuple à l'effet de rédiger une Constitution nouvelle. Mais ce vote du Congrès n'eut pas le consentement du Sénat. - Persistance des représentants à la majorité de 120 voix contre 112. Il y avait trois mois que cette question divisait les Chambres, le Gouvernement et l'opinion, c'est qu'elle recélait l'avenir même de l'Union, la question de l'esclavage. Dans ces circonstances, le Sénat proposa une

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conférence. Partage à ce sujet dans le Congrès. Appelé à le départager, son président (Speaker) se prononça pour ce moyen transactionnel. Et la Conférence d'ouvrir ses séances. Un ami de M. Buchanan, M. English, proposa, en manière de compromis de soumettre à la ratification du peuple la Constitution de Lecompton. En cas de consentement ou d'approbation de la part de la majorité, le Kansas serait immédiatement érigé en Etat avec trois millions d'acres de terres qui seraient employées à des travaux ou des établissements d'utilité publi que. Dans un pays où les théories occupent peu de place, c'était une prime offerte au Kansas. S'il ratifiait la constitution de Lecompton, tout devait abonder chez lui, terres publiques et érection en Etat. S'il ne ratifiait pas, tout cela lui devait manquer. Nul ne pouvait fermer les yeux sur ce qu'il y avait de simoniaque dans la proposition English. Mais république ou monarchie, quelle que soit la forme, les influences sont toujours de la partie. Le pouvoir a toujours une certaine force, précisément parce qu'il dispose de nombre d'avantages. Après maintes manifestations ou velléités d'opposition, la proposition English fut adoptée (112 voix contre 103) par le Congrès. Elle l'avait été tout d'abord par le Sénat, à la majorité de 30 voix contre 22. Combien le président Buchanan avait cette affaire à cœur, c'est ce qui résulte de son message de fin d'année. Il y rappelait toutes les phases qu'elle avait parcourues; la décision de la Cour suprême, aux termes de laquelle tous les citoyens américains avaient un égal droit à introduire dans les territoires tout ce qui est tenu comme propriété d'après la légis lation des Etats, et à le posséder sous la protection de la Constitution fédérale, tant que subsistera la condition territoriale; le vote presque unanime desChambres, (presque devait paraître assez imprévu) qui reconnaissait, sous une forme ou une autre, le principe qu'un territoire avait le droit d'entrer dans l'Union à titre d'Etat, soit libre, soit esclave, conformément à la volonté d'une majorité de sa population. Le Président voyait dans ce vote le maintien de la juste égalité de tous les Etats. Mais en vertu de ce vote du Parlement, ane élection ayant eu lieu pour tout le Kansas, le 2 août, une

majorité considérable avait rejeté la proposition soumise au peuple par le Congrès. Le Président le proclamait; mais ce qu'il ne voyait ou ne disait pas, c'est que le Kansas n'acceptait pas l'appât qui lui était offert pour voter dans le sens présidentiel. «En cet état de choses, concluait M. Buchanan, il est autorisé à faire une nouvelle constitution, préalablement à l'admission dans l'Union; mais ce ne sera qu'autant que le chiffre de la population égalera ou dépassera la proportion exigée pour élire un membre à la Chambre des députés. » Le Président en voulait au Kansas de ce vote; il n'était pas présumable, selon lui, qu'après la triste expérience qu'il avait faite en résistant aux lois territoriales, il essayerait d'adopter une Constitution (une troisième!) en violation expresse d'un acte du Congrès. Voilà donc où en étaient les choses, et l'on voit que le premier magistrat de l'Union se montrait singulièrement passionné dans celte affaire.

Cette question avait absorbé le temps du Congrès au point qu'il dut prolonger sa session pour le vote des finances. Par suite de la dernière et si redoutable crise, le Secrétaire des finances avait demandé et obtenu (23 décembre 1857) un bill d'émission de 20 millions de dollars, au taux de 6 pour 020, remboursables en une année, et, d'après les calculs du Ministre, sur le produit des douanes. Mais les affaires ayant été au-dessous des évaluations, il fallut demander à emprunter 20 autres millions, que l'on accorda, mais en se plaignant de l'accroissement continu des dépenses. Les finances n'eurent pas en effet cette année cet aspect prospère qu'accusaient certains exercices antérieurs. Les importations avaient diminué, et dès lors les revenus des douanes. Le Message annuel émettait cependant l'opinion que ce serait « une politique ruineuse » que d'augmenter Ja dette nationale pour faire face aux dépenses ordinaires du Gouvernement, la véritable politique devant consister à augmenter les recettes de manière à les niveler avec les dépenses. Continuer d'emprunter, disait le Président, serait marcher à une ruine iné. vitable. Si les douanes n'avaient pas produit suffisamment, cela tenait, selon M. Buchanan, à l'assiette actuelle du tarif. Son ministre des Finances, M. Howell Cobb, partisan du libre échange,

pensait qu'il fallait laisser fonctionner encore le tarif actuel ; il se bornait à demander l'élévation proportionnelle de certaines catégories d'articles; tandis que M. Buchanan voyait un moyen d'accroissement de perception dans un système de droits spécifiques qui remplaceraient les droits ad valorem. « Après y avoir mûrement réfléchi, dit-il en son Message, je pense que les droits spéciaux sont le meilleur, sinon le seul moyen de garantir le revenu contre les factures fausses et frauduleuses. » En outre, les droits spéciaux donneraient aux manufacturiers américains les avantages fortuits auxquels ils avaient droit sous le régime d'un tarif du revenu. Aux yeux de M. Buchanan, le système actuel était une échelle mobile qui avait ses inconvénients. Sous ce régime, les droits s'élevaient en proportion de l'élévation des prix et vice versa. Perçu au contraire sous forme de droit spécial, il n'y avait pas à craindre que le droit fût plus fort que ne l'aurait voulu le Congrès, attendu qu'il était facile de s'assurer du prix moyen de tout article importé pendant une suite d'années. Le consommateur n'y perdrait pas non plus. Il pouvait, à la vérité, avoir à payer un droit plus élevé sur un article donné dans une certaine année; mais il payerait un peu moins dans une autre année, et durant une suite de périodes annuelles les droits se balanceraient entre eux. Faible inconvénient, comparé à une fraude sur le revenu. Sauf cette divergence d'opinion avec le secrétaire de la Trésorerie, le Président était bien d'accord avec lui sur le danger d'augmenter la dette publique par un nouvel emprunt; il faisait plus, il insistait sur la nécessité d'adopter les mesures nécessaires pour faire face aux besoins: « L'accroissement rapide de la dette publique et la nécessité existante d'une modification du tarif pour faire face aux dépenses ordinaires d. Gouvernement, doivent nous persuader tous, dans nos sphères respectives, qu'il est de notre devoir de pratiquer une rigoureuse économie. » Cela ne voulait pas dire qu'il fallût ne pas employer l'argent « aux objets constitutionnels et essentiels pour la défense, » mais qu'il convenait de prévenir le gaspillage ou le détournement des deniers, de l'application aux objets désignés par la loi.

Parmi les questions intérieures issues de la dernière crise,

celle des banques préoccupait à juste titre le Gouvernement et les Chambres. Tant que lesystème actuel et illimité de crédit prévaudrait, il était probable que l'on reverrait par intervalles les révolutions financières auxquelles on avait assisté. Tout en exprimant l'espoir qu'elles seraient moins graves à l'avenir, le Président renouvelait sa recommandation en faveur de l'adoption d'une loi uniforme des faillites, applicable aux établissements de banque. Mais il n'était guère probable que l'on aboutît prochainement à une solution de cette question sur laquelle, au sein du Sénat, qui en avait été saisi cette année, on était si peu avancé, que le comité chargé de son examen n'avait pu réussir à présenter quelque chose qui ressemblât à un projet. C'est que, dans l'état présent de l'Union, c'était plus encore une question de mœurs que de droit. Certaines affaires scandaleuses occupèrent cette année le Congrès; la plus grave était celle qui atteignait le Secrétaire de la guerre, M. Floyd. Il s'agissait d'un fait de concussion, ou si l'on veut d'un abus de faveur, dans une acquisition de terrain, au prix de 200,000 fr., pour compléter les fortifications de New-York, tandis que le Congrès n'avait voté que 150,000 fr. L'acquisition, l'achat aurait été fait par des personnes interposées, amies du ministre, et le prix était bien supérieur à la valeur. La chose traîna en longueur par suite des ajournements suscités par les démocrates. Et les conclusions du rapport du comité d'enquête n'arrivèrent pas à la discussion. M. Floyd avait-il quelque chose à se reprocher? On ne sait; mais il continuait d'être Secrétaire de la guerre. Ce haut fonctionnaire publia cette année un rapport relatif à la composition actuelle de l'armée. A ses yeux, elle était insuffisante pour accomplir les services qu'on exigeait d'elle. Elle devait être, d'après les rôles, de 17,984 hommes; au 1er juillet, elle n'était que de 15,764. Elle devait faire le service de 68 forts permanents, et de 70 postes qui l'étaient moins. Enfin, elle était répartie sur une étendue de 3,000,000 de milles carrés. Il y avait en tout 19 régiments, sur lesquels 10 d'infanterie et 4 d'artillerie. Ce n'était assurément point une force bien considérable, et encore le Sénat rejeta-t-il (mars) un bill ayant pour objet d'augmenter de quelques mille hommes le contingent de l'armée. On considérait

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