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Les ouvrages de M. CARRÉ Sont devenus classiques au Palais et dans le cabinet du jurisconsulte. Faire l'éloge des Lois de la Procédure serait peut-être inconvenant de ma part; cela me paraît tout au moins inutile. '

Je dirai, comme mon excellent et honorable ami, J.-B. DUVERGIER (2): « Celui à qui est donnée la mission que je remplis, doit se «borner à peu de paroles pour exposer le but qu'il s'est proposé et « la méthode qu'il a suivie; peut-être suffirait-il de dire: Tai eu « constamment le modèle sous les yeux, j'ai fait tous mes efforts pour « l'imiter. »>

On permet, en général, à un auteur d'insérer dans sa préface quelques mots qui puissent contribuer à faire apprécier son livre, par l'exposé de ses travaux antérieurs et par l'indication du plan qu'il a suivi.

La procédure est un terrain que j'ai labouré dans tous les sens depuis plus de quinze ans. Dans ma nouvelle édition alphabétique du Journal des Avoués, qu'on a bien voulu quelquefois qualifier de Répertoire de Procedure, j'ai examiné les opinions des auteurs et donné mon avis sur les principales difficultés. En 1828, 1829 et 1830, j'ai rapproché des Lois de la Procédure tous les arrêts et le sentiment individuel de chaque auteur. J'envoyais le résultat de mes élaborations à M. Carré. J'aurais été heureux et fier de voir paraitre, sous son nom, quelques-uns des travaux préparés par moi; mes idées, mon style même adoptés par lui, tout cela eût semblé m'identifier à ses utiles et importantes publications.

En 1831, j'ai publié mon Commentaire du Tarif, que j'avais annoncé dès 1826. Le plan que j'ai suivi a donné à cet ouvrage la forme d'un commentaire pratique du Code de procédure. J'ai été assez heureux pour inspirer quelque confiance aux magistrats et aux officiers ministériels, par l'impartialité de mes opinions. C'était l'u

(1) Cette préface était imprimée lorsque j'ai reçu l'affligeante nouvelle de la mort du savant auteur de la Théorie du Code de procédure. M. BONCENNE a été enlevé en quelques heures à la science, au barreau, et à ses élèves. Il est à craindre que son bel ouvrage reste inachevé. Quelle plume, si habile qu'elle soit, osera produire sa pensée à côté de celle de cet illustre écrivain?

J'ai en l'honneur d'avoir M. BONCENNE pour professeur de procédure; j'avais plaidé à la Cour royale de Poitiers, ma première cause contre lui; il avait daigne me donner souvent des conseils et il m'avait accordé sa précieuse, son honorable amitié... Sa mort inspirera à tous les amis de la science un regret profondément senti; qu'il me soit permis de déposer ici l'expression d'une vive douleur, comme un dernier hommage à sa mé moire....

(2) Préface de son tome 4o (Continuation du droit civil de M. Toullier).

nique but de ce livre, qui m'a coûté tant et de si arides travaux : de 1832 à 1836, obligé de faire marcher de front et mon cabinet à la Cour de cassation et mes travaux sur le droit criminel, avec mon savant ami M. FAUSTIN HÉLIE, j'ai néanmoins terminé mon Dictionnaire général, dans lequel j'ai eu à coordonner plus de dixuit mille notices de procédure.

Dans un acte passé avec son libraire, madame Béchet, qui était devenu propriétaire de l'ouvrage entier, M. Carré m'avait choisi pour le continuateur de ses Lois de la Procédure: ce fait est aussi rappelé par M. Duvergier (1) en ces termes : « M. Carré, dans un « voyage qu'il fit à Paris, me parla de ses travaux, de ses projets; << me proposa d'être son collaborateur. Au milieu des chagrins dont <«< il était accablé, il paraissait se complaire dans l'idée que M. CHAU« veau Adolphe, son intime ami, l'aiderait à publier le supplément « des Lois de la Procédure; que je travaillerais avec lui à la conti<< nuation de Toullier, et qu'il pourrait donner une édition de ses « œuvres complètes (2). »

Les Lois de la Procédure civile avaient paru en 1821. La seconde

(1) Préface, p. IV.

Voici quelques fragments de ma correspondance avec M. Carré, de 1826 à 1832, qui révèlent à cet égard toute sa pensée; j'aurais voulu donner en entier cette correspondance, mais elle est trop volumineuse peut-être un jour je la publierai; elle est de nature à intéresser les amis de la science; j'avais envoyé à M. Carré un premier travail sur tout le Code de procédure; je n'avais pas osé ètre aussi explicite, aussi étendu qu'il le désirait. Il m'en demanda un nouveau; pour être assuré de son approbation, je préparai le titre des Référés, et je le lui envoyai; il me répondit aussitôt en février 1830:

<< Mon cher Chauveau,

« Le spécimen que j'ai reçu est absolument ce que je désirais que vous fissiez; c'est l'uanique moyen, comme je l'avais pensé dans le principe, de satisfaire à tous les intérêts; dites-moi à partir de quel titre vous m'enverrez un travail comme celui sur les Référés : « voulez-vous que je vous renvoie nos cartons à partir de ce titre et en le comprenant? << cela vous facilitera singulièrement la besogne. Je désire que vous commenciez par le « titre des Délibérés et de l'instruction par écrit: je vais rapidement m'occuper des Ajour« nements et des suivants, etc. »>

« Cher ami,

Rennes, 9 mars 1830.

« Je ne vous écris que pour interrompre la prescription; depuis huit jours je rea mets à rédiger, tant je suis accablé ; il m'a fallu faire l'article Procédure pour l'Encycloa pédie moderne; j'ai une lettre que Dupin veut que je fasse pour ajouter à la 6o édition « des Lettres de Camus; le garde des sceaux m'a demandé des observations sur le pro<< jet de ventes judiciaires : je ne puis refuser tout cela; plus ma réputation gagnera, plus << gagneront mes ouvrages; s'il y a eu du retard, il faut l'imputer au manque de bordu«res pour les mises en pages; demain j'expédie une nouvelle feuille et j'irai plus vite en« core. Pour ce qui vous reste de mes cartons, vous savez comment je travaille au lieu « de coller tant de petits papiers, écrivez comme si vous faisiez l'ouvrage, vous ne vous « faites pas d'idée comment cela nous avancerait. Je perds un temps considérable avec « ces papiers; faites comme je fais, aujourd'hui que vous connaissez le plan.

« Je vous aime toujours de toutes mes forces,

« Mon cher collaborateur,

« CARRÉ. »

Rennes, 12 avril 1830.

◄ Encore une explication franche entre nous; je vous l'ai dit en commençant, j'agis

édition, qui fut publiée par mes soins en 1825, fut entièrement conforme à la première de 1821 à 1831, M. Carré avait donné beaucoup de consultations sur des questions de procédure du plus haut intérêt. Il avait consigné ses observations journalières sur des feuilles interfoliées, dans un exemplaire qu'il appelait ses cartons plus de deux mille arrêts avaient été rendus dans cette période décennale; plusieurs auteurs nouveaux avaient paru. Il avait promis, dės 1825, un quatrième volume contenant l'examen approfondi de toutes les opinions nouvelles des Cours ou des auteurs.

C'est pour ce quatrième volume qu'il avait bien voulu m'honorer du titre de son collaborateur : les vingt premières feuilles de ce volume étaient imprimées lorsqu'il fut enlevé à ses amis et à la science (1).

< avec vous comme si nos relations n'existaient pas : et, sans aucune considération, je « vous critique quand je le crois juste, je vous approuve quand je n'ai pas de réponses « à vous faire. Cela n'était-il pas convenu entre nous? Il fallait d'ailleurs réduire au sia lence ceux qui ont accrédité, à Paris, l'opinion que je n'étais pour rien dans le supplea ment, autrement que comme votre prête-nom (*). Nous nous expliquerons dans la a préface du 5o volume, qui, aux termes de notre traité, paraîtra sous nos deux noms. » Rennes, 26 juin 1830.

« Non, non, mon ami, je ne me chargerai point du choix des arrêts; je sais ce qu'il en « coûte, et, si j'étais encore assez présomptueux, comme je l'ai malheureusement été, « pour accéder à cette proposition, il serait impossible de terminer. Aussitôt que Martea ville recevra les ordres de madame Béchet pour composer, vous recevrez le titre de « l'Ajournement, et vous jugerez du temps que j'ai mis à faire le triage des 600 arrêts « que j'avais.

Vous ferez ce choix, mon pauvre ami, mais appliquez-vous à m'indiquer les obser. evations où vous n'aurez pas admis mes solutions; ce sera une mine féconde pour ce « que nous sommes convenus d'appeler travail d'auteur. C'est en cela surtout que le a Journal des Avoués m'aide pour rectifier mes opinions, en même temps qu'on y trouve l'avantage d'accroitre l'importance de vos travaux. En un mot, faites comme pour les • Référés. Ne choisissez que des arrêts qui aient directement, essentiellement, exclusive«ment rapport à chacun des articles, qui en présentent une application, une interprétation. Rejetez tout ce qui est compétence, tout ce qui tient au criminel, à moins qu'en • matière criminelle on eut fait une application directe du Code de procédure civile. Les ◄ cas où une nullité serait couverte ne présentent que des details qui ne finiraient point. • De ces 60 arrêts que vous trouvez sur l'art. 173, ne mettez en notice que les décisions qui contiendraient un principe général; et, au reste, je mettrai: On trouvera au Journal « des Avoues (vo les nombreux exemples d'espèces dans lesquelles il a été jugé que les nullités d'exploit étaient ou n'étaient pas couvertes. Osez donc, osez faire ce choix, mon cher ami, vous êtes trop bon travailleur pour etre si timide.

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Tout à vous, etc.

CARRÉ..

(1) Voici la préface de ce quatrième volume, qui renferme l'expression d'une vieille indulgente amitié :

• Lorsque je publiai, en 1811, mon premier ouvrage, ayant pour titre Analyse raisonnée des commentaires et des arrêts des Cours sur le Code de procédure civile, j'eus pour objet de comparer et de discuter les doctrines et les décisions, et de résoudre les difficultés qui pourraient naître de ces conférences ou que j'aurais aperçues moi-même.

Toujours dans la vue de déterminer, d'intervalles à intervalles, le dernier état dans Les travailleurs trouvent toujours sur leur chemin ceux qui ne font rien et qui s'efforcent à déprécier leurs ouvrages. N'a-t-on pas quelquefois cherché à jeter le découragement dans la collaboration des auteurs de la Théorie du Code pénal, tandis que M. Faustin Hélie et moi nous ne demandons qu'une part égale et commune de blâme on d'éloges, et que nous rougirions l'un et l'autre de nous attribuer exclusivement la rédaction d'une seule page de notre livre!...

À la mort de mon malheureux ami, tous mes manuscrits m'ont été renvoyés par son gendre, M. LEROUX, conseiller à la Cour royale de Rennes.

Les cartons de M. Carré, ses notes, ses consultations (douze voumes in-folio, manuscrits), et vingt volumes de Mémoires imprimés, étaient la propriété de madame Béchet.

Le 1er janvier 1836, après la publication de mon Dictionnaire

lequel les méditations des jurisconsultes et les arrèts des Cours souveraines auraient placé cette branche de notre législation; j'ai fait suivre ce premier travail de celui intitulé : Questions sur la Procedure, et enfin, en les fondant l'un et l'autre dans un seul et même Ouvrage, augmenté d'un grand nombre d'observations et de questions nouvelles, j'ai composé non Traité des Lois de la Procédure civile, etc. Aujourd'hui je me propose le même but, en ajoutant à ce dernier, dont la seconde édition paraît depuis quelques mois, un quatrième volume comme supplément nécessaire de ceux qui le précèdent.

Si, dans le cours de mes premiers travaux, j'ai conçu l'idée d'entreprendre, sur le mème plan, un Traité des Lois de l'organisation et de la Compétence des juridictions civiles; j'y ai été déterminé par la considération des rapports de ces lois avec celles de la procedure; rapports si intimes, que l'étude des unes est, pour ainsi dire, inséparable de l'étude des autres. J'ai donc pensé que le supplément que j'annonce ici acquerrait un nouveau degré d'utilité, si des renvois exacts au Traité de la compétence, toutes les fois que l'occasion s'en présentera, offraient sans cesse ces deux espèces de lois mises en concordance. de maniere que l'on puisse les étudier simultanément, comme si elles étaient la matiere d'un seul et mème ouvrage.

• Enfin, pour ne rien laisser à désirer relativement à l'exécution des Lois de la Procédure, il me restait un dernier travail à entreprendre dans l'intérêt des officiers ministeels chargés des rédactions et significations des actes prescrits ou autorisés par le Code procédure civile.

« Cette tâche, je l'ai remplie, en dictant et expliquant à mes élèves pendant les années 1825 et 1826, un Cours pratique dans lequel les dispositions de ce Code ont été mises en action par des espèces fictives et des modèles de tous les actes qu'elles exigent.

« Ces dictées seront livrées à l'impression. Elles paraîtront immédiatement après la dernière livraison de ce volume, sous ce titre : Lois de la procédure mise en action (*). « J'ai eu soin de mettre encore en harmonie avec mon Traité des Lois de la procédure, ce nouvel ouvrage qui en est le complément.

«Si, d'après la promesse que j'ai faite en tête de ma seconde édition, les commentaires et questions contenus aux trois volumes dont elle se compose, ne présentent ni additions, ni changements; j'ai cru néanmoins devoir joindre aux citations des recueils de jurisprudence générale, dans lesquels j'avais précédemment puisé les décisions des Cours et des tribunaux, celle du Journal des Avoués. On sentira facilement combien il importe qu'un traité dont le but est de réunir les principes de la doctrine, et les règles positives d'une seule branche de législation, ne soit pas etranger à un recueil périodique exclusivement consacré à la jurisprudence sur la même matière. Ce recueil, rédigé par un arrêtiste dont le public a depuis longtemps apprécié le zèle actif et les talents distingués (**), m'offrira d'ailleurs un moyen prompt et facile de communication avec les personnes qui voudraient bien m'adresser, par cette voie, des observations sur les difficultés que j'aurais résolues, ou des questions que je n'eusse pas examinées. Je prends ici l'engagement formel de leur répondre par la même voie.

Puissent encore la magistrature et le barreau accueillir avec bonté l'hommage de ces travaux. Leur approbation sera toujours la plus flatteuse récompense de mes efforts. CARRÉ.

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(*) Il existe, il est vrai, un très grand nombre de Formulaires. Je n'en ai pris aucun pour modèle. Feindre des espèces, supposer des incidents, de manière à placer dans l'ordre exigé par la marche des instances, les formules des actes qu'elles requièrent; tel est l'objet que je me suis proposé dans ce Traité pratique; en un mot, j'ai adopté le plan suivant lequel fut rédigée l'in struction approuvée par le comité de constitution de l'Assemblée constituante, sur la forme de procéder dans les justices de paix, en exécution de la loi du 14 oct. 1790. (Note de M. Carré.) (*) M. CHAUVEAU ADOLPHE, élève du savant professeur de la faculté de droit de Poitiers, M. BONGENNE. (Note de M. Carré.)

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