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QUESTIONS POLITIQUES.

dans toutes les grandes villes d'Europe des correspondants bien placés qu'ils payent fort chèrement. C'est le contraire à Paris; les journaux français n'accordent qu'une importance fort secondaire aux nouvelles et informations de l'étranger; ce qu'ils considèrent comme étant le principal, ce sont les dissertations que chaque matin ils brochent sur toutes les questions à l'ordre du jour sans en approfondir jamais aucune; d'où il suit qu'ils ne peuvent avoir sur les événements et les faits extérieurs que l'opinion qu'ils empruntent à la presse étrangère, et particulièrement à la presse britannique; de ces deux façons différentes d'entendre le journalisme en France et en Angleterre, il résulte ce fait éminemment grave, que la presse française, pour toute la partie relative à nos relations extérieures, n'est qu'une traduction servile et anti-nationale de la presse britannique. De là beaucoup d'opinions fausses et de préjugés fâcheux qu'il sera difficile de détruire, parce que voilà plus de vingt années qu'ils creusent leur ornière. La presse française, en 1814, n'a donc conquis sa liberté que pour se traîner à la suite de la presse britannique, sans s'informer ni sans voir où celle-ci la conduisait « perfidement, » pour nous servir de l'expression consacrée toutes les fois qu'il est question de la politique anglaise.

C'est ainsi qu'insensiblement la France, infidèle à la grande pensée continentale de Napoléon, s'est formée sur ses alliances une opinion aveugle et contraire à ses propres intérêts; c'est ainsi qu'elle s'est empressée de faire cause commune avec son ennemi, vainqueur à Waterloo, quittant les traces de l'aigle pour suivre celles du léopard!

Le 22 juin (4 juillet 1807), l'empereur Napoléon écrivait à l'empereur Alexandre :

« Monsieur mon frère, j'envoie à Votre Majesté une note sur la discussion qui nous occupe. Votre Majesté y verra mon désir de me tenir dans une position d'amitié et d'alliance avec la Russie, et d'écarter tout ce qui pourrait s'opposer directement ou indirectement à cette belle et grande pensée. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.

» NAPOLÉON. »

A la lettre qui précède était jointe la note qui suit :

« Les relations géographiques de la Russie et de la France, dans la situation actuelle des choses, sont aussi favorables que leurs relations de commerce, tellement que, même en état de guerre, les deux puissances ne sauraient où se rencontrer pour se battre. Discussions de limites, petites guerres de douane, discussion pour les eaux, discussions pour les subsistances, et mille et un petits sujets de querelles qui refroidissent et précè dent ordinairement les brouilleries ouvertes et sont les préludes de guerres nous sont totalement étrangers, de sorte que, pour chercher des raisons d'animosité, il faut avoir recours aux choses les plus abstraites et les plus imaginaires. L'amitié et cette confiance sans bornes qu'ont inspirées à l'empereur Napoléon les hautes qualités de l'empereur Alexandre ont fait sceller par le cœur ce qu'avait déjà établi et approuvé la raison. Dans cette situation des choses, gardons - nous de rien faire qui change les rapports généraux de commerce et de géographie que la nature a établis entre les deux États. Appeler le prince Jérôme au trône de Saxe et de Varsovie, c'est presque dans un instant bouleverser tous nos rapports. Il n'y aura pas une querelle de douane sur le Niémen, une altercation de commerce, une discussion de police, qui n'aille sur-le-champ et directement au cœur de l'empereur Napoléon ; et par cette seule faute politique, nous aurons déchiré notre traité d'alliance et d'amitié, et préparé des sujets plus réels de mésintelligence que ceux qui ont existé jusqu'ici. La politique de l'empereur Napoléon est que son influence ne dépasse pas l'Elbe, et cette politique il l'a adoptée parce que c'est la seule qui puisse se concilier avec le système d'amitié sincère et constante qu'il a contracté avec le grand empire du Nord. Aussi les pays situés entre le Niémen et l'Elbe seront la barrière qui séparera les grands empires, amortira les coups d'épingles qui, entre les nations, précèdent les coups de canon. Dans une époque aussi grande, ce qu'il importe surtout, c'est de bien fixer les rapports et les limites. Il faut se rappeler ce que produisent de maux les États entremêlés, témoin le partage d'Anspach. »

Ce que Napoléon voulut fonder par la guerre, nous le voulons établir par la paix; ce qu'il entreprit de faire par la force et la violence, nous le voulons essayer par la raison et la persuasion; serons-nous plus heureux ? C'est un espoir que nous avons.

Les alliances matrimoniales seront faciles lorsque les alliances internationales seront rationnelles; présentement, celles-ci ne le sont pas. Le principe avant la conséquence !

II.

31 décembre 1840.

Un journal nous attribue une prédilection marquée pour le gouvernement de l'empereur Nicolas. Si dans cette allégation il n'y pas une intention de calomnie, le moins qu'il y ait, c'est une erreur de fait. Depuis quatre années, il est vrai, nous n'avons cessé un seul jour d'avertir la France qu'il n'y avait pas avec l'Angleterre d'alliance solide sur laquelle un homme d'État éclairé pût asseoir un système politique durable; mais lorsque nous nous exprimons ainsi, ce n'est point par prédilection pour le gouvernement de l'empereur Nicolas, c'est uniquement par le désir de voir notre pays contracter l'alliance la plus favorable au développement de sa prépondérance continentale, de sa grandeur maritime et de sa prospérité industrielle.

Ce que nous voulons en 1840, c'est ce que voulait M. Thiers en 1830.

Le 4 février 1830 (1), il s'exprimait en ces termes dans le National, dont il était le principal rédacteur :

« Qu'est-ce que la Méditerranée ? un lac français, comme le disait Napoléon, dans lequel la France est appelée à dominer un jour par l'étendue de ses côtes, par la direction de l'un de ses principaux fleuves et par les besoins de la moitié de son territoire qui en attend sa prospérité et sa civilisation. Qui s'oppose à cette juste domination? l'Angleterre, qui, non contente d'avoir fait de l'Océan une mer britannique, s'est assujótie depuis peu la mer Méditerranée par l'occupation de Gibraltar, de Malte et des

(1) Ce fut à cette époque, quatre mois environ avant la Révolution de juillet 1830, que parut dans les journaux la pièce suivante :

«Avant que les Russes se disposassent à passer le Balkan, des négocia» tions avaient été entamées entre les cabinets de France et de Russie. » Elles furent su-pendues pendant l'hiver de 1828. Une fois le Balkan » franchi, l'Angleterre s'épouvanta; la Russie, qui prévoyait la possibilité » d'une rupture avec la Grande-Bretagne, qui même la regardait comme >> imminente, renouvela et développa sa proposition d'alliance au cabinet » français. »

« Voici l'esprit des dispositions principales du traité :

1o Le cabinet russe demandait à celui de France de demeurer neutre jusqu'au moment où la Grande-Bretagne se verrait contrainte de se déclarer contre lui.

» 2o La Russie proposait, en ce dernier cas, une alliance offensive et défensive entre les deux puissances contractantes. La Prusse et les Pays-Bas y devaient entrer.

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