Page images
PDF
EPUB

François foient toujours vainqueurs! vous favez combien j'aime cette nation, & combien je m'intéreffe à fes fuccès. Mon exiftence eft manquée je devois réellement naître en France; & c'eft la tournure de mon efprit & de mon cœur qui me le fait juger.

Ne dites à perfonne que vous avez reçu de mes nouvelles. Les moines font fins, & ils pourroient deviner que votre difcours vient de moi, fi vous veniez à me rappeller dans leur fouvenir.

Je fuis toujours au fein de mes penfées, qui fe partagent, ou qui fe refferrent felon le travail que la providence m'impofe, & que la circonftance fait naître. Ma journée est souvent un chaos auquel je ne conçois rien: il me faut paffer fucceffivement d'une befogne à une autre; & ce font des difparates plus diffemblables que le

blanc & le noir, que la lumiere & la nuit. Je me jette après cela dans le tourbillon de mes confreres, parlant & riant ab hoc & ab hac, parce que j'en ai befoin, pour reprendre un nouvel être ; tantje fuis excédé. Je laiffe fouvent les anciens pour difcourir avec les jeunes gens, & nous badinons à la maniere des enfans. C'eft la meilleure maniere de fe délaffer, quand on quitte une étude profonde, & c'étoit la méthode du célebre Muratori.

Adieu: aimez-moi, parce que vous le devez, puifque je fuis, comme j'ai été, & comme je ferai toujours, votre meilleur ami.

Au Couvent des SS. Apôtres.

LETTRE XII.

A un chanoine d'Ofimo. MONSIEUR,

La religion, renfermée de toute éternité dans le fein de Dieu, fe produifit au dehors, au moment que l'univers fortit du néant, & vint fe repofer dans le cœur d'Adam. Ce fut fon premier temple fur la terre; & c'eft delà que les defirs les plus fervens s'exhaloient continuellement vers le ciel. Eve, formée dans l'innocence, ainfi que fon époux, partageoit l'avantage ineftimable de bénir à tout instant l'auteur de leur être. Les oiseaux s'uniffoient par leur ramage à ce divin concert, & la nature entiere y applaudiffeit.

Telle étoit la religion, & tel étoit fon culte, lorsque le péché entra dans le monde, & vint en fouiller la pureté : alors l'innocence s'enfuit, & la pénitence s'efforça de la remplacer. Adam, banni du paradis terreftre, ne trouva plus que des ronces & des épines, où il cueilloit autrefois les plus belles fleurs & les plus excellens fruits.

Le jufte Abel fit à Dieu un holocaufte de fon propre cœur, & fcella de fon fang l'amour qu'il avoit pour la juftice & pour vérité. Noé

Loth, Abraham

la

Ifaac, Jacob, fe donnerent la main pour obferver la loi de la nature, la feule religion qui étoit alors agréable au Seigneur.

Moïfe parut comme un nouvel aftre qu'on vit briller fur le MontSinaï, à côté du soleil de juftice; & le décalogue lui fut donné pour être exécuté fans aucune

altération. Les tonnerres furent le figne extérieur de cette nouvelle alliance; & le peuple Hébreu devint le dépofitaire d'une loi écrite par la fageffe même.

Malgré le zele de Moïfe, de Jofué, & de tous les conducteurs du peuple de Dieu, il n'y eut que la religion chrétienne qui forma des adorateurs en efprit & en vérité. Tout ce qui fut faint avant qu'elle exiftât, lui appartenoit; & lorfqu'elle fe préfenta dans l'univers, émanant du verbe incarné, elle s'établit fur les ruines du judaïfme, comme la fille de prédilection, filia dilecta, & elle changea la face du monde entier.

Les mauvais defirs furent prohibés, ainfi que les mauvaises actions; & les vertus les plus pures & les plus fublimes germerent dans le fang d'une multitude de martyrs.

« PreviousContinue »