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clusif sur des toileries qu'ils avaient vendues à ce capitaine, et qui, lors de son décès aux Iles francaises, s'étaient trouvées encore existantes. Les sieurs Ferreol et Bignan étaient porteurs d'un billet à ordre, valeur reçue en marchandises; ils n'avaient pas fourni leurs toileries pour faire le chargement; le billet n'avait aucun caractère de contrat nautique, et devait par conséquent céder le pas aux contrats de grosse. Le vendeur non payé du prix, qui retrouve à bord ou ailleurs sa marchandise extante et en nature, peut la réclamer, suivant les cas; mais ce ne doit jamais être au préjudice des donneurs, dont le privilége est établi par le droit public.

A plus forte raison, tout privilége doit être refusé au vendeur d'une marchandise qui n'est plus existante. En 1767, Étienne B** avait emprunté diverses sommes à la grosse, pour la cargaison de son navire. Il avait acheté du sieur Ferry pour 14,000 liv. d'huiles, payables à l'heureux retour du navire. Le vaisseau retourna à Marseille. Procès entre le vendeur à terme et les donneurs à la grosse. Sentence des juge et consuls, qui accorda la préférence à ces derniers. Cette sentence fut confirmée par arrêt du Parlement d'Aix, au rapport de M. de Beauval. Celui qui achète à crédit une marchandise, peut en disposer suivant son bon plaisir. S'il l'embarque, c'est parce qu'il veut bien l'envoyer outre mer. S'il prend des deniers à la grosse sur facultés, les donneurs acquièrent, sur les effets embarqués et sur les retraits, un droit de gage et de privilége spécial, qui fait taire celui du vendeur, lequel ne peut, au préjudice des donneurs, réclamer ni la marchandise existante, ni moins encore les retraits.

CONFÉRENCE.

LXIV. L'art. 320 du Code de commerce, après avoir dit que le navire, les agrès et apparaux, l'armement et les victuailles, même le fret acquis, sont affectés par privilége au capital et intérêts de l'argent donné à la grosse sur le corps et quille du vaisseau,

Ajoute «Le chargement est également affecté au capital et intérêts de l'argent donné à la » grosse sur le chargement. Si l'emprunt a été fait sur un objet particulier du navire ou du >> chargement, le privilége n'a lieu que sur l'objet et dans la proportion de 'la quotité affectée » à l'er prunt, »

D'après l'art. 315 du même Code, le prêt à la grosse peut être fait sur le navire et ses agrès, sur l'armement, les victuailles, le chargement, etc., en totalité ou en partie. S'il a été fait sur le navire et tout le chargement, ce qu'on exprime en disant que le prêt est fait sur corps et facultés, le navire et le chargement doivent répondre du capital; s'il a été fait sur le navire avec tous ses accessoires, ce qui s'exprime en disant que le prêt est fait sur corps et quille, le navire et tous ses accessoires doivent répondre du capital; s'il a été fait sur facultés, c'està-dire sur le chargement seul, ce chargement doit seul répondre de la somme prêtée; enfin,

s'il n'a été fait que sur une partie du navire ou du chargement, cette partie seule doit répondre du capital prêté, dans la proportion de la quotité affectée à l'emprunt.

Lorsqu'il s'agit d'un prêt à la grosse fait sur les facultés, c'est-à-dire sur le chargement seul, le prêteur ne peut exercer son privilége, 1°. qu'après le paiement des frais de déchargement, transport et magasinage dus par les effets débarqués;

2o. Qu'après le paiement du fret de ces marchandises et des avaries dues, conformément aux art. 307 et 308 du Code de commerce. Ce privilége l'emporte sur celui de tous autres créanciers, même du vendeur non payé, ainsi que le professent tous les auteurs, et même du propriétaire, si les effets chargés avaient été volés. Ce privilége passe même avant le privilége du trésor public, pour les droits de douanes et autres semblables; car c'est par le transport que les marchandises sont arrivées au lieu où ces droits sont exigés et payables;

3°. Qu'après les sommes prêtées pendant le cours du voyage et dues pour sauver ou réparer la marchandise. ( Argument de l'art. 323 du même Code).

Viennent ensuite les donneurs à la grosse sur les facultés, avant le départ, qui exercent en concours un égal privilége, sans distinguer les dates des contrats.

En effet, il faut bien faire attention que l'emprunt fait pendant le voyage, pour les besoins du chargement, est préféré à celui qui est fait avant le départ, et cela parce que le dernier emprunt a conservé au premier prêteur son gage, salvam fecit pignoris causam, et què s'il y en a plusieurs faits pendant le même voyage pour ces besoins, par le même principe, le dernier est toujours préféré; enfin, s'il y a eu plusieurs emprunts dans le même lieu, on n'aura aucun égard, dans ce cas, à la date de ces contrats respectifs.

On doit toujours, dans ces sortes d'emprunts, pendant le cours du voyage, distinguer quel en été l'objet. Si ce n'était que pour opérer de nouveaux achats afin d'accroître le chargement, il n'y aurait lieu à aucune préférence, et les donneurs viendraient en concours, parce que les derniers emprunts n'auraient pas eu pour objet la conservation de la masse commune. Si, au contraire, les emprunts avaient été faits pour acquitter une obligation contractée pour le salut du chargement, telle qu'un rachat, contribution aux avaries, etc., ils seraient préférés aux emprunts faits avant le départ.

C'est avec justice qu'Emérigon décide que le vendeur de la marchandise ne vient point en concours avec le donneur sur facultés. Le vendeur non payé, et qui a livré sa marchandise, n'a d'autres droits sur la chose que ceux de revendication (art. 576 du Code de commerce); mais encore cette revendication ne peut s'exercer au préjudice des donneurs à la grosse, parce que les donneurs à la grosse sur facultés ont acquis, sur les effets embarqués et sur les retraits, un droit de gage et de privilége spécial qui fait taire celui du vendeur.

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CELUI qui a fourni les bois dont le navire a été construit ne peut pas les

Droit de suite du

vendeur.

Distraction.

réclamer, parce que les bois fournis sont devenus l'accessoire du navire. Navi tabula cedit, dit la loi 26, § 1, ff de adquir. rer. domin. Autre chose sont les matériaux dont le navire a été construit, et autre chose est le navire considéré en lui-même: Aliud est materia, aliud navis. Loi 18, § 3, ff de pign. act. Ibiq. Cujas.

Mais si les matériaux du navire peuvent en être détachés sans l'anéantir, tels que sont les mâts, les cordages, les voiles et les ancres, le fournisseur pourra les réclamer par l'action ad exhibendum, suivant la règle générale établie par le droit. Loi 6 et 7, ff ad exhibendum. Loi 23, § 5, ff de rei vindicat. A plus forte raison, on pourra réclamer pareils effets, s'ils se trouvent hors du navire.

Dans les sections précédentes, j'ai parlé du droit de suite que le vendeur du navire ou des marchandises peut réclamer en certains cas.

Si les biens du preneur sont mis en discussion générale, les donneurs ont le droit de requérir la distraction des effets soumis à leur privilége.

Le capitaine André Orange, commandant la polacre l'IIeureuse Thérèse, avait pris de divers la somme de 29,942 liv. sur corps et facultés de ce navire. Il arriva à la Guadeloupe, où il mourut. La polacre revint à Marseille.

La tutrice des enfans du défunt chargea le sieur François Guichard, l'un des donneurs, d'exiger le nolis et de vendre le navire et la cargaison. Peu de tems après, elle prit l'hérédité de son mari par bénéfice d'inventaire. Les donneurs à la grosse se syndiquèrent. Ils requirent la distraction des effets soumis à leur privilége, et firent arrêter, entre les mains du sieur Guichard, les sommes par lui exigées.

M. Seytre, procureur de l'instance d'ordre, ayant obtenu une provision de 600 liv., pour survenir aux frais de justice, se pourvut contre Guichard, en expédition de cette somme. Le sieur Guichard excipa de la demande en distraction formée de la part des donneurs. Il soutint que ceux-ci avaient un privilége réel et un droit de gage sur les sommes qui étaient entre ses mains, lesquelles leur étaient destinées, à l'exclusion des autres créanciers; que, par conséquent, les frais de justice devaient être pris ailleurs.

Sentence du 17 août 1775, qui débouta M. Seytre de sa requête. Appel. Le point de la difficulté se réduisit à examiner si la distraction requise par les donneurs était bien ou mal fondée. Arrêt du 17 juillet 1776, au rapport de M. de la Boulie, qui confirma la sentence; par où la question au fond fut préjugée. Sentence définitive, du 20 août 1777, qui ordonna la distrac

tion demandée par les donneurs, pour qui j'écrivais. Cette sentence passa en force de chose jugée. Voici l'abrégé d'une dissertation que je fis à ce sujet : L'action en distraction est lorsque je réclame dans une instance d'ordre les immeubles ou les effets qui m'appartiennent, ou sur lesquels j'ai un droit de quasi-propriété. Il ne serait pas juste que je fusse obligé de suivre une instance générale, et de voir absorber en frais de palais la chose qui est à moi, ou qui doit me devenir propre par un privilége particulier. Ainsi, le propriétaire d'un fonds dont le défunt était simple possesseur, peut le révendiquer, et le faire distraire de l'instance bénéficiaire. On peut également réclamer et faire distraire le dépôt qui se trouve en essence. Le débiteur peut aussi réclamer et faire distraire le gage par lui donné, en remboursant à l'héritier bénéficiaire ce que le défunt lui avait prêté.

Le vendeur qui avait donné terme n'a plus, en rigueur de règle, ni droit de revendication, ni par conséquent droit de distraction. Car, dès qu'on a suivi la foi de l'acheteur, et qu'on lui a délivré la chose vendue, elle lui appartient, quoiqu'il n'en ait pas payé le prix. § 41, inst. de rerum divis. Lois 19 et 53, ff de contrah. empt. Loi 38, § 2, ff de liber. caus. Cependant, suivant nos usages, et en vertu de la clause de précaire, expresse ou tacite, le vendeur à terme, qui n'est point payé du prix de la part du débiteur dont les biens sont mis en discussion, peut, par droit, non de propriété, mais de quasi-propriété (ou de privilége réel), requérir la distraction du fonds aliéné, pour le faire vendre séparément aux enchères, et être payé sur le prix préférablement à tout autre créancier, ou pour s'y faire colloquer, due estimation faite, jusqu'à la concurrence du prix qui lui reste dû. Meynard, liv. 2, ch. 45. Dollive, liv. 4, ch. 10. Actes de notoriété de Provence, pag. 176. Dans ce cas, la distraction n'est pas une dissolution de la première vente; elle opère vente nouvelle, parce que le prix ayant été atermoyé dans le principe, et le vendeur ayant suivi la foi de l'acheteur, l'aliénation primitive avait été parfaite. Loi 5, § 18, ff de tribut. act.

Le patrimoine du débiteur discussionné, ou celui du défunt, dont l'hérédité est prise par bénéfice d'inventaire, reçoivent une espèce de scission : tout ce qui est soumis aux actions personnelles, et aux actions générales d'hypothèque ou de privilége, forme une masse; et tout ce qui est soumis à l'action réelle de propriété ou de quasi- propriété, forme une masse particulière, distincte de la masse générale.

Ce qui vient d'être dit, s'adapte à ce qu'on appelle dans les faillites droit de suite. Le vendeur d'une marchandise non payée peut la saisir et la distraire

T. II,

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de l'instance de direction, pour la faire vendre, et être payé de sa créance privilégiée. Par ce moyen, les biens du failli sont divisés en deux classes: l'une destinée aux créanciers généraux, et l'autre respectivement destinée à chacun des créanciers qui ont privilége particulier, ou droit de quasi-propriété sur une chose déterminée encore existante.

Cette distinction ou scission se vérifie tous les jours vis-à-vis des sociétés de commerce. La société est une espèce de personne civile. Loi 22, ff de fidejus. Les biens de la société, considérés dans un certain rapport, ne sont pas les biens des associés considérés en leur particulier. Dupuy, des lettres de change, ch. 16, pag. 76. Journal du Palais, tom. 1, pag. 779. Les créanciers de la société sont préférés sur les effets sociaux, aux créanciers de l'associé, quoiqu'antérieurs, et même à la dot de la femme de l'un des associés. Journal du Palais, tom. 1, pag. 776. Journal des Audiences, tom. 3, pag. 178. Toubeau, tom. 2, pag. 101, etc.

Les créanciers de deux sociétés différentes, quoique les associés soient les mêmes personnes, ont un privilége respectif sur les effets de chaque société. Loi 5, § 15, ff de tribut. act. Le sieur D** et les sieurs D** et A** avaient obtenu un seul et même concordat, qui confondait les créanciers et les biens personnels de D** avec les créanciers et les biens sociaux de D** et A**. Arrêt du 30 juin 1767, rendu par le Parlement d'Aix, qui ordonna la distinction des deux masses.

Si la même personne exerce deux boutiques, duas tabernas, les créanciers qui ont suivi la foi de l'une de ces deux boutiques ou maisons de commerce, auront privilége sur les effets qui s'y trouvent, à l'exclusion des créanciers qui ont suivi la foi de l'autre maison, sur les effets de laquelle ceux-ci auront un privilége également exclusif. Loi 5, § 16, ff de tribut. act. Straccha, de decoctor., part. ult., no. 20. Ansaldus, disc. 4. Brodeau, sur la Coutume de Paris, tom. 2, pag. 447, n°. 6. Toubeau, tom. 2, pag. 381. Les créanciers des deux sociétés différentes, ou des deux maisons de commerce, ont un privilége respectif sur les effets de chaque société ou de chaque maison. Il se forme deux ordres de distribution ou de discussion, parce que les créanciers respectifs ont plutôt contracté avec la société ou maison de commerce, qu'avec la personne même : Unusquisque enim eorum, merci magis, quàm ipsi credidit.

Le contrat de grosse est plus réel que personnel. Le donneur prête au navire ou à la cargaison. Il suit principalement la foi de la chose, laquelle devient débitrice directe et principale. Voilà pourquoi, suivant l'Ordonnance, art. 7, titre des contrats à la grosse, le navire et le fret sont affectés par privi

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