CLÉMENT XIV ABOLIT L'ORDRE DES JÉSUITES. 609 Clément XIII mourut le 3 février 1769, au moment où les sollicitations réunies des cours catholiques arrivaient à Rome. Le choix de son successeur offrait, en pareille circonstance, un intérêt particulier. Le conclave élut, le 19 mai, Ganganelli (Clément XIV). On fit grand bruit d'un prétendu engagement imposé au nouvel élu par les ambassadeurs catholiques. Dans le fait, l'engagement était peu explicite. Mais les puissances poursuivirent activement le procès à l'instigation du roi d'Espagne, et finirent par obtenir que l'Autriche s'associát à leurs démarches. Clément XIV chercha longtemps les moyens de réformer l'ordre, de diminuer ses priviléges et les pouvoirs de ses généraux, enfin d'empêcher qu'il ne se mêlat des affaires des gouvernements. Mais la tâche n'était pas aisée. D'ailleurs les jésuites, combattus par les cours catholiques, avaient aussi des ennemis au sein de l'Église, où on les accusait d'avoir compromis l'autorité du saint-siége. La proposition fut faite de les soumettre au jugement d'un concile général. Clément XIV finit par accorder aux couronnes, le 20 juillet 1773, un bref d'abolition, portant que la société avait été un sujet de trouble et de discussion dans l'Église. Les ennemis des jésuites se réjouirent; leurs amis, car ils en avaient de non moins passionnés, s'écrièrent que par leur suppression le catholicisme, auquel ils avaient rendu autrefois tant de services, était perdu. Avignon et le Comtat furent restitués à l'État romain. XX. Le règne de Louis XV finit au dehors par l'abaissement, au dedans par une agitation sourde et le malaise de la conscience publique. Jamais souverain n'était tombé dans une telle déconsidération. Des bruits, des anecdotes ignobles sur le roi et la favorite couraient Paris. La faction du Barry gouvernait la cour. Versailles était d'ailleurs très-divisé. Les princes, demeurant à l'écart, ne parurent pas au mariage du comte de Provence, qui coûta d'énormes sommes, comme celui de son frère le Dauphin. Ils persistèrent plus de dix-huit mois dans leur abstention, et l'un d'eux, Conti, y persista toujours. En se soumettant, ils demandèrent une reconstitution de la cour des pairs; le roi ajourna sa réponse. La petite école absolutiste qui s'était emparée du pouvoir n'était ni nombreuse ni forte. Maupeou, Terray, d'Aiguillon, peu d'accord entre eux, n'avaient pour les seconder qu'un seul homme de quelque valeur, Boynes, l'ancien intendant de Besançon, l'ennemi juré des parlements et l'agent principal de Maupeou lors du coup d'État. On lui avait donné le ministère de la marine. Comme le silence régnait, du moins à la cour, on se flattait d'avoir détruit le parti qu'on appelait malencontreusement le parti patriotique, et de s'être assuré contre un retour agressif de sa part; on affectait de ne pas craindre les revenants. Cependant on ne pouvait empêcher la circulation des libelles, des écrits anonymes, des pamphlets imprimés à Londres et à Amsterdam, pamphlets qui trouvaient dans les édits bursaux de Terray, les cupidités de la du Barry, les ignominies de Louis XV, une matière féconde pour les attaques et les injures. Partout régnaient l'incertitude, le malaise, l'embarras, le mépris. Près de sept cents magistrats étaient exilés ou emprisonnés. On obéissait, mais en se moquant, témoin Beaumarchais, dont les Mémoires contre le parlement Maupeou et le conseiller Goezman eurent un succès si prodigieux, dû autant aux passions contemporaines qu'à la verve intarissable de leur auteur. Toutes les résistances étaient sûres de l'applaudissement public. Louis XV parut un instant, sous l'influence de sa fille, Madame Louise, vouloir réformer sa vie. A la cour, les uns se flattaient qu'il renverrait la favorite et les autres en avaient peur. Il fut pendant ce temps atteint de la petite vérole. Le mal prit rapidement une gravité qu'on ne put lui cacher. Il renvoya madame du Barry, se réconcilia avec l'Église, voulut que le premier aumônier de France fit amende en son nom, et expira le 10 mai 1774. Jamais roi ne laissa moins de regrets. Ses funérailles se firent sans pompe. Une voiture à peine accompagnée porta au grand trot son corps à Saint-Denis, afin d'éviter la contagion, et peut-être les cris publics. Pour toute oraison funèbre, on fit courir sur lui un mot attribué au pape Benoît XIV : «Est-il besoin d'autre preuve de l'existence d'une Providence que de voir le royaume de France prospérer sous Louis XV1?» Ce n'est pas là seulement la fin d'un règne, c'est la vraie fin 1 Mémoires de Besenval. MORT DE LOUIS XV. 611 de l'ancienne monarchie, couronnée par un essai malheureux de despotisme. On sentit qu'on allait entrer dans une ère nouvelle. Le règne de Louis XVI s'annonçait gros de promesses ou d'orages. Chacun se demandait quel serait le nouveau gouvernement de la France et quelle part y aurait la liberté. La mort de Louis XV est donc une date considérable. Ainsi qu'on l'a dit, les années qui s'écoulèrent de 1774 à 1789 appartiennent plus par leur caractère à l'ère de la Révolution qu'à celle de l'ancien régime'. 1 De Carné, Monarchie française aux dix-septième et dix-huitième siècles. FIN DU TOME SIXIÈME. I. L'Espagne sous Charles II. V. Alliés de Louis XIV. Plans et VI. Villeroy et Vendôme. Campagne VII. Villars en Bavière. Campagne VIII. Les camisards. Jean Cavalier. X. Campagne de 1704 en Bavière. I. Le régent au Parlement. Philippe II. Le régent et le prétendant.. IV. Les publicistes et la noblesse. V. Politique étrangère. Dubois et VI. Pierre le Grand à Paris. VII. Albéroni. Ambition de l'Espa- XX. Enfance de Louis XV. Dubois 266 V. Accord de l'Espagne et de l'Au- 275 | VI. Affaire du concile d'Embrun.. 292 294 minaires de paix à Paris en 1727. 286 X. Relations extérieures. Isole- |