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Messieurs, nous vous dénonçons le ministre de la marine (Applaudissements dans les tribunes.) pour avoir trompé votre religion, en lui assurant que les officiers de son département n'ont pas quitté leur poste; il est évidemment prouvé, par le résultat de la dernière revue passée au port de Brest, qu'il existe 104 officiers absents par congé, 271 sans congé, 28 demandant leur retraite; ce qui forme sur 660 officiers un déficit de 403; nous vous dénonçons le ministre de la marine pour avoir confié des forces destinées pour les colonies à des hommes tarés dans l'opinion publique, et qui n'inspirent que la méfiance et le mépris. Le ministre vient d'occasionner à Brest une émeute populaire. Les citoyens indignés virent arriver avec horreur le sieur La Jaille, capitaine de vaisseau, chargé de l'expédition de Saint-Domingue.

« Cet officier a été dénoncé à la France entière comme fauteur et complice des troubles des colonies, lorsqu'il commandait la frégate l'Engageante, en 1790. On l'accuse d'avoir versé le sang des Français; s'il est coupable de ce crime, peut-on employer encore, aù service de l'Etat, un des ennemis les plus cruels de son bonheur? Veut-on confier à des mains criminelles le salut de l'Empire? Nous joignons à notre mémoire les pièces qui nous ont été remises par les corps administratifs et municipaux qui ont réussi, par leur énergie et leur courage, à soustraire le sieur La Jaille à la colère du peuple. Ils ont été secondés par M. de La Bourdonnaie, chef divisionnaire, et par le zèle infatigable des gardes nationales et des troupes de terre et de mer.

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"Il est de la dernière importance, Messieurs, d'empêcher des ministres corrupteurs de tramer ouvertement la perte de notre liberté. Jamais, non jamais nous ne serons tranquilles, tant que Vous vous reposerez sur eux. Sans délicatesse et sans principes, ils vous ont trompés et ils vous tromperont encore. Ils entraînent la France entière dans l'abîme affreux qu'ils ont creusé sous ses pas. Forcez-les de remplacer les officiers de l'armée, forcez-les d'en confier le commandement à des hommes dont les principes soient connus, à des hommes distingués par leur patriotisme, par leur amour pour la paix, qui

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A cette adresse était joint l'extrait d'une lettre des administrateurs du district de Brest, à M. Lartigue, en date du 28 novembre, et une expédition en forme du procès-verbal fait par la municipalité de Brest, le 27 du même mois.

M. Rougier-La-Bergerie. Je convertis en motion la proposition des administrateurs du département du Finistère. Je demande le renvoi au comité de législation pour ce qui concerne la décoration extérieure et la mention honorable de l'adresse au procès-verbal.

Plusieurs membres: Appuyé! appuyé!

M. Lasource. Chacune de nos séances commence par des dénonciations et jamais elles n'aboutissent à rien. Cependant, il existe des coupables, ou il n'en existe pas. S'il n'y a pas de coupables, il est inutile de faire retentir constamment la tribune nationale de déclamations, qui, quoique sans fondement, n'en altèrent pas moíns la confiance due à des fonctionnaires publics. S'il y a des coupables, il faut faire sur eux un grand exemple, et il est juste que la loi les punisse.

Je demande donc, pour qu'on ne finisse pas par intituler nos séances, d'histoires de dénonciations, qu'il n'en puisse être fait aucune qu'elle n'ait passé par le comité de surveillance, parce qu'alors les dénonciations auront du poids; parce qu'alors on aura prouvé quelque chose, et nous ne nous compromettrons plus aux yeux de l'opinion publique et du peuple français.

M. Chabot. Je m'oppose à la motion que vient de vous faire M. Lasource. Le comité de surveillance ne doit absolument connaître que des pièces que vous lui renvoyez, et préparer là-dessus des rapports. Il est donc nécessaire que l'Assemblée nationale commence par recevoir les dénonciations qui sont faites, et M. Lasource s'est étrangement trompé quand il a paru craindre qu'on appelât nos séances: l'Histoire des dénonciations. Car, Messieurs, nos séances sont faites pour délibérer, et ce n'est pas nous qui dénonçons le ministre de la marine, c'est le département du Finistère, ce sont les administrateurs, ce sont les citoyens qui ont droit de vous faire des pétitions et de vous faire connaître les vices de l'Administration; vous êtes

en dernier ressort le grand juré des grands coupables. Ce n'est donc pas nous qui faisons les dénonciations; c'est à l'Assemblée à les recevoir et au comité de surveillance à en préparer ensuite le rapport.

Je m'oppose donc à ce qu'on renvoie les dénonciations à faire au comité de surveillance, mais je demande que celle-ci lui soit renvoyée, parce que le comité de surveillance est déjà nanti des pièces que vous lui avez renvoyées à ce sujet. Le ministre de la marine vous en impose. Il est venu, non pas se blanchir, mais se noircir lui-même par ses insolences; et le comité, quand il fera son rapport, fera sans doute le rapprochement, tant des dénonciations qui sont faites contre lui, que de la maladresse avec laquelle il s'est défendu.

Je demande donc premièrement, que vous fassiez mention honorable de l'adresse des administrateurs du département du Finistère; secondement, que vous renvoyiez cette adresse au comité de surveillance pour vous en faire très incessamment le rapport.

M. Chéron-La-Bruyère. Je m'oppose à ce qu'il soit fait mention honorable de l'adresse au procès-verbal. On ne peut faire mention honorable que d'une chose honorable; ce qu'ont fait les citoyens de Brest n'est qu'un acte de devoir, si cette dénonciation est fondée; et c'est ce qu'il faudra voir. Mais, en appuyant ce que vient de dire M. Chabot, je demande que toutes les dénonciations, dussions-nous en avoir 6 tous les matins, car nous n'avons que 6 ministres, soient lues à l'Assemblée nationale, qui ordonnera ce qu'elle jugera convenable.

Plusieurs membres : La question préalable sur la motion de M. Lasource!

(L'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la motion de Lasource.)

Plusieurs membres La question préalable sur la mention honorable!

(L'Assemblée, consultée, rejette la mention ho norable par la question préalable et renvoie les pièces aux comités de marine, de surveillance et de législation pour en faire incessamment leur rapport en ce qui les concerne.)

6o Pétition de Jeanne de Laroche, veuve du sieur Thomas Gresté, à laquelle est joint le tableau historique des services militaires de son mari. Elle demande que trois enfants mâles qui lui restent soient placés à l'Ecole militaire et dans celle de la marine.

(L'Assemblée renvoie cette pétition au comité des secours publics.)

7° Lettre de citoyens députés par les habitants de la ville de Saint-Pierre, ile de la Martinique, qui demandent à être admis à la barre de l'Assemblée pour rendre compte de faits essentiels relativenient aux troubles des lles du Vent; cette lettre est ainsi conçue :

« Messieurs,

Nous avons des pièces impartiales à soumettre à l'Assemblée nationale, concernant les troubles qu'ont éprouvés et qu'éprouvent encore les îles du Vent. Hier, nous avons écrit à M. le Président pour être admis à la barre : nous n'avons pas été assez heureux pour en obtenir la la permission. Nous vous prions de nous accorder cette faveur, que nous croyons bien intéres

sante pour la chose publique, surtout dans les circonstances.

« Nous sommes avec respect, etc..

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Signé : A. CRASSOUS, COQUILLE du GOMMIER.* M. Lecointe-Puyraveau. Je demande que les députés de la ville de Saint-Pierre de la Martinique soient admis à la barre, et avant la discussion sur l'affaire des colonies.

(L'Assemblée adopte la motion de M. LecointePuyraveau.) (Voir ci-après p. 623.)

8° Pétition de M. Vieilh de Varennes, ancien ingénieur des ponts et chaussées, ayant pour objet d'obtenir au pétitionnaire, qui fut un des vainqueurs de la Bastille, le même avantage dont l'Assemblée nationale à fait jouir MM. de Lasalle et Desandrais.

(L'Assemblée renvoie cette pétition au comite des pétitions pour en faire le rapport dans le plus court délai.)

9° Lettre de M. Duport, ministre de la justice. par laquelle il annonce qu'il vient de recevoir et qu'il s'empresse de transmettre à l'Assemblée nationale les procès-verbaux qui n'avaient pas encore été envoyés des nominations des hauts jurés.

10° Lettre du procureur général syndic du departement des Vosges, qui adresse à l'Assemblée nationale une délibération du directoire de ce département, contenant des détails qui peuvent servir d'instructions sur le nombre et le placement des notaires dans son territoire.

(L'Assemblée ordonne le renvoi de cette lettre au comité de division.)

11° Pétition de MM. Doucet et Girard, volontai res dans le bataillon du département du Loiret. Ces citoyens-soldats espèrent que l'Assemblée national fixera incessamment le mode du remplacement des officiers de l'armée, et qu'elle ne le laissera pas à l'arbitraire d'un ministre qui a perdu, disent-ils, la confiance publique.

(L'Assemblée renvoie cette pétition au comité militaire.)

12° Lettre de M. Garderot, rédacteur du journal politique du Cap français. Victime de la faction tyranique de Saint-Domingue, et calomnié par ses émissaires, il supplie l'Assemblée nationale de fixer le jour où elle pourra l'entendre.

(L'Assemblée décrète qu'il sera admis à la barre dans le cours de la séance.)

M. Calon, au nom des commissaires-inspecteurs de la salle, demande à faire un rapport prêt depuis quinze jours, sur les changements à faire dans les dispositions intérieures du lieu des séances de l'Assemblée.

(L'Assemblée ajourne ce rapport à une séance extraordinaire du soir.)

M. Lafon-Ladebat. Voici une lettre de M. Belin-Villeneuve, qui renferme la copie de celle que M. La Jaille lui a écrite au sujet des troubles de Brest, et dont je demande le renvoi au comité de marine.

"Monsieur le Président,

J'ai l'honneur de vous envoyer ci-joint copie de la lettre qui m'a été écrite par M. La Jaille, capitaine de vaisseau.

Une émeute populaire, dont il a pensé être la victime, a forcé d'enfermer dans le château de Brest cet officier malheureux. Cette émeute a pris naissance dans l'opinion où est le peuple qu'il existe au comité de marine une dénoncia

tion contre lui. Cette dénonciation n'existe point, et pour le prouver aux hommes abusés dont il a éprouvé le ressentiment, il m'a chargé de demander à M. le président du comité de marine une attestation à cet égard.

« Je supplie l'Assemblée nationale, par votre organe, Monsieur le Président, de me faire passer un certificat qui attestera qu'il n'y a point de dénonciation. S'il ne rend point la liberté à M. La Jaille, il lui fera supporter avec patience au moins le reste de sa captivité.

« Je suis avec respect, Monsieur le Président, etc.

Signé BELIN-VILLENEUVE. »

Un membre du comité de marine: On a déjà fait la recherche de cette dénonciation au comité, sans qu'on ait rien trouvé qui annonce qu'elle ait été faite. Je demande que le comité soit autorisé à en donner sa déclaration, conformément au vœu de M. Lajaille.

Un membre: Cette autorisation n'est pas nécessaire, je demande l'ordre du jour.

(L'Assemblée passe à l'ordre du jour sur cette motion et renvoie la lettre de M. Belin-Villeneuve au comité de marine.)

M. François de Neufchâteau. Je prie l'Assemblée nationale de prendre en considération la motion d'ordre que je fais pour une mesure de police générale extrêmement urgente dans les circonstances où nous sommes. Il s'agit, Messieurs, de la messe de minuit et d'autres cérémonies nocturnes. Elles donnent lieu à des rassemblements, dont les malveillants pourraient abuser pour exciter des troubles. Il n'y a pas besoin d'explication à cet égard; je serai entendu par la simple exposition des faits. Je propose le décret suivant :

« L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète que, dans toutes les églises et oratoires catholiques, les premières cérémonies de Noël, qu'il est d'usage de célébrer à minuit, seront remises au point du jour, pour la présente année et les suivantes, jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné par les législatures; que les corps municipaux et administratifs, spécialement chargés de la tranquillité publique, tiendront la main à l'exécution du présent décret, et veilleront à ce que l'exercice de tous les cultes soit fait publiquement et en plein jour. Toute cérémonie nocturne leur est expressément défendue, comme contraire à la liberté des cultes, à la décence publique au bon ordre et à la sûreté de l'Etat. (Vifs applaudissements.)

Plusieurs membres: La question préalable!

Un membre: Je demande qu'on mette pour cette année seulement, et non pour les suivantes. Cette disposition pourrait être très dangereuse, surtout dans les campagnes.

M. Fauchet. Cette mesure est très importante; mais on doit en excepter la cérémonie du viatique qu'il est souvent nécessaire de porter aux malades pendant la nuit.

M. Thorillon. J'observe que toutes ces précautions sont du ressort du département de la police; elles ont toujours été prises pendant les deux ans que j'ai été administrateur de police à

Paris.

Plusieurs membres. Il n'est pas question de Paris, mais des campagnes.

M. Basire. C'est une mesure de police que commande la sûreté générale; mais il faut

prendre des précautions pour les lieux seulement où il peut y avoir des troubles. Je propose d'interdire les rassemblements nocturnes dans les villes d'une certaine population.

M. Dumas. Il serait très impolitique d'adopter la mesure proposée par M. François de Neufchâteau. Car, Messieurs, quoique nos ennemis aient dit bien des absurdités, ils ne les ont pas encore épuisées toutes. Ils diront aux habitants de la campagne que nous voulons toucher à la religion et abolir les pratiques de la religion; ainsi, les inconvénients qui résulteraient de cette précaution seraient plus dangereuses que les maux qu'elle voudrait prévenir.

M. Delacroix. Je demande que l'on passe à l'ordre du jour, en invitant les corps administra tifs et municipaux à redoubler de zèle et de vigilance pendant la nuit de Noël et à prendre les précautions nécessaires pour assurer la tranquillité publique.

(L'Assemblée ferme la discussion et passe à l'ordre du jour, mais ordonne que les motifs qui viennent d'être présentés et par lesquels elle s'est déterminée, seront insérés au procèsverbal.)

MM. Crassous et Coquille Dugommier, députés des citoyens habitant la ville de Saint-PierreMartinique, dont l'admission à la barre a été décrétée au cours de la séance, sont introduits (1). M. Crassous s'exprime ainsi :

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Messieurs, les citoyens de la ville de SaintPierre-Martinique m'ont chargé de vous remettre le dépôt des pièces qui doivent enfin dévoiler le secret des troubles auxquels cette colonie a été en proie. Ces pièces ne peuvent être suspectes; la Providence nous les remit entre les mains à une époque où le directoire de l'assemblée coloniale s'enfuit avec M. Damas, pour ne pas céder à de justes réclamations, et alluma la guerre civile qui nous a déchirés pendant sept mois et demi. La correspondance particulière de M. Vioménil, celle de l'assemblée coloniale avec ses députés en France, les procès-verbaux et autres actes émanés de cette assemblée, des procédures sur plusieurs événements; voilà ce que j'ai à vous présenter.

"

Je le dis avec un sentiment profond de douleur. Je ne serais pas sorti de la ville dont j'avais fait ma patrie; je n'aurais pas fui avec ma famille, avec 4,000 citoyens, et abandonné les fruits de plusieurs années de travail; je n'aurais pas passé les mers pour ne remettre qu'à vous ce dépôt important, si les commissaires civils, à qui il devait être confié, avaient conservé le caractère imposant d'envoyés de la nation, s'ils avaient soumis tous les partis aux lois d'une sévère impartialité, si, oubliant qu'ils devaient maîtriser et diriger les agents du pouvoir exécutif, ils n'avaient pas laissé M. Behague se coaliser avec le parti de l'assemblée coloniale, le seconder par tous les efforts d'une puissance vraiment arbitraire, et achever la ruíne d'une ville où la métropole a l'entrepôt le plus conséquent pour sa marine et ses manufactures, où les amis de la Constitution se comptent par le nombre des citoyens, où l'attachement intime à la nation ne souffre pas de modification, ne connait pas de résistance.

« Je sais qu'un décret, rendu par l'Assemblée constituante le 28 septembre, porte que pour

(1) Bibliothèque de la Chambre des Députés : Révolution française, Bf in-8°; 164, tome 36, n° 5.

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faire cesser dans les colonies l'effet des troubles et des discussions qui y ont eu lieu, le décret du 14 du même mois, portant abolition de toutes poursuites et procédures sur les faits relatifs à la Révolution et amnistie générale en faveur des hommes de guerre, sera étendu auxdites colonies, et que les commissaires civils cesseront toutes informations sur l'origine et les auteurs des troubles. Mais ce décret n'a pu me dispenser de vous remettre des pièces dont je ne suis que le dépositaire; mais si les coupables profitent d'une amnistie pour échapper à la peine, ils ne peuvent pas en profiter pour étendre leur empire et leurs maximes pernicieuses; mais les troubles continuent; les défenseurs de la mère patrie, tous les citoyens de la ville, et une multitude d'autres qui existent encore dans les campagnes sont dans l'oppression; l'ancien régime n'a pas seulement été rétabli pour eux, il a été environné d'humiliations et de crimes, et il faut bien que vous sachiez enfin qu'à la Martinique il est des patriotes, qu'ils ont résisté pendant deux ans au système suivi avec la plus grande souplesse par l'assemblée coloniale, de plier la Révolution à ses convenances, ou même de la repousser si les circonstances y menaient, et au moins de rivaliser avec l'Assemblée nationale; qu'il leur en a coûté leur fortune, des combats, du sang, des victimes innombrables; qu'ils n'ont échappé à une entière destruction que par une constance et un courage bien supérieurs à leurs faibles moyens; et que tantôt luttant avec un égal avantage, tantôt écrasés par la supériorité des forces, presque anéantis aujourd'hui par les combinaisons les plus perfides, ils tournent encore leurs regards vers vous; c'est de vous qu'ils attendent des lois, une Constitution, la faculté de vivre libres. (Applaudissements.)

Sans doute, Messieurs, vous pressentez que la première cause des maux dans les colonies est attachée à ce que jamais on n'a pu y abattre les têtes du despotisme. Avant la Révolution, le ministre de la marine en était le véritable souverain; depuis la Révolution, tout a tendu à y maintenir la même souveraineté; les décrets régénérateurs de l'Empire n'ont pénétré dans ces climats que parce que l'éternelle raison les appelait aussi à la régénération; et je dois à la vérité de dire que ses premiers accents ont également ému tous les quartiers de la Martinique, tous ont célébré avec quelque enthousiasme la destruction de la Bastille; (Applaudissements.) mais cette impression n'a pas eu partout les mêmes effets elle a été pure à SaintPierre; les citoyens y ont pensé qu'ils faisaient partie de la nation, qu'ils ne pouvaient s'égarer en marchant avec elle; ils ont tout rapporté au grand principe de la liberté et de l'égalité; ils ont eu un comité, une municipalité, des assemblées populaires, une garde nationale; ils ont oublié qu'ils étaient créanciers, et dans la campagne, ils ont eu pour amis, pour imitateurs, des paroisses entières, ou au moins de nombreux partisans, offrant leur culte sincère à la liberté.

« Ce fut Saint-Pierre qui, dans son généreux enthousiasme, provoqua la formation d'une assémblée coloniale. Il en existait déjà une, créée par le ministre en 1787, et bien digne par sa composition du temps où elle était née. Saint-Pierre fit tout pour la faire remplacer par une assemblée générale librement élue, ayant la population pour base. Cette ville crut servir la cause de la liberté : elle ne pensait pas que de là partiraient les fers qui devaient l'enchainer; mais la cour des gouver

neurs, les propriétaires de grandes habitation. les commandants de milice ou aspirants à l'être, presque tous débiteurs obérés, soumirent la Revolution au calcul de leur intérêt et de leur orgueil, et l'assemblée coloniale ne fut plus pour eux qu'un moyen de s'ériger une puissance. Ls se maintinrent sous ce nom d'assemblée coloniale. quoique les députés de Saint-Pierre et de plusieurs autres paroisses n'y prissent aucune part. sous ce nom, ils ont eu dans l'Assemblée constituante des députés qui paraissaient représenter la colonie, lorsqu'ils ne représentaient qu'une faction. Ces députés vantaient l'attachement de la prétendue assemblée coloniale à la Constitution, lorsqu'elle osait dire avec orgueil qu'elle « agréait» quelques dispositions faites par l'Assemblée nationale; ils appelaient amour de la paix ce qui se tramait à la Martinique pour étouffer le patriotisme; ils appelaient envie de dominer, l'élan que Saint-Pierre avait pour la Révolution: et c'est à ces députés qu'on doit attribuer les voiles épais dont toutes les manoeuvres de leurs commettants ont été enveloppées.

«Ils n'auraient cependant jamais eu leurs affreux succès, si deux intérêts puissants n'avaient fourni à leur faction des chefs dans l'ile et des rapports en France, qui ont assuré leur domination. Le premier de ces intérêts est celui des gouverneurs, choisis et guidés par les ministres l'autorité arbitraire n'a point été choquee de se lier avec l'autorité nouvelle de l'assemblée coloniale; ils se sont unis par la conformité de sentiments, et l'aristocratie des officiers s'est parfaitement accordée avec l'hypocrisie des planteurs. C'est pour cela que le régiment de la Martinique, aveuglé par ses chefs, a servi longtemps l'ambition de l'assemblée, a déclaré en son nom la guerre à Saint-Pierre, a voulu forcer la ville à une capitulation pour rendre hommage aux vertus de M. Vioménil, a marché contre elle sous M. Damas, et que ses grenadiers et officiers l'ont abandonné, lorsque, revenu à lui, il a servi la cause de l'humanité et le patriotisme: c'est pour cela que les hommes de couleur ont été entraînés dans la plus cruelle erreur; ils faisaient partie des milices royales que l'assemblée coloniale et M. Vioménil ont soigneusement conservées; le gouverneur les commandait au nom du roi; l'assemblée coloniale leur prodiguait les promesses, leur représentait le régime populaire comme un régime oppressif ou comme un acte de révolte, et ils ont combattu contre Saint-Pierre; c'est pour cela que M. Rivière, commandant le vaisseau ia Ferme, et M. Orléans, commandant l'Embuscade, au lieu de s'immortaliser en interposant leur mé diation que les patriotes demandaient, se sont déclarés contre eux, les ont bloqués et affamés en trompant leurs propres équipages; c'est pour cela, enfin, que M. Béhague, arrivé avec 24 vaisseaux ou frégates, avec 6,000 hommes de troupes, avec un appareil formidable d'artillerie, a fait cesser la guerre sans opérer la conciliation, et regrettant sans doute de ne pouvoir faire usage de ces moyens pour exterminer les citoyens trop obéissants à son gré, a fait au moins toutes dispositions pour les empêcher de se relever jamais de l'abattement dans lequel il les a plongés.

«Le second intérêt n'est que celui d'une famille; les législateurs ne pourront s'empêcher d'y reconnaitre le principal fil de tous les maux.

«Le sieur Dubuc père, ci-devant dans les bureaux de la marine et intendant général des colonies, doit à l'Etat une somme capitale de 1,580,627 livres argent de France et deux années

= d'intérêt montant à 226,000 livres. Cette somme reconnue par un contrat passé avec M. de Castries, ministre de la marine, le 22 février 1786, est hypothéquée sur une habitation située au quartier de la Trinité-Martinique; elle lui fut avancée pour servir à l'établissement d'une raffinerie.

"Longtemps avant la Révolution, le sieur Dubuc avait écrit contre la réunion du commerce à SaintPierre, afin de l'attirer dans le quartier de sa raffinerie. En 1787, il avait déterminé l'assemblée coloniale de ce temps à faire porter l'impôt de la colonie sur le commerce de Saint-Pierre, et il avait inspiré à la campagne le désir de détruire cette ville.

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D'après une réunion d'intérêts si puissants, on aperçoit, sans doute, comment s'est formée l'opinion coloniale contre le patriotisme; comment la haine contre Saint-Pierre s'est confondue avec la haine contre la Révolution. La ville fut déclarée ennemie de la colonie, parce qu'elle était amie de la métropole; sa perte fut jurée, parce qu'elle était un obstacle invincible à l'exécution des projets; et ces projets, je les trouve dans les lettres du sieur Bellevue-Blanchetières, député extraordinaire de l'assemblée coloniale. Je ne vous citerai point ses diatribes amères contre l'Assemblée constituante et contre le nouvel ordre de choses; mais, le 28 mars 1790, il écrivait au sieur Dubuc fils: « Je crois possible qu'au moment où vous lirez cette lettre, si elle vous parvient, vous soyez aux Anglais. « Songez que si cela arrivait, il y aurait un grand coup à faire au sujet de la dette de «M. Dubuc envers le roi. Cette dette appartien«drait au roi d'Angleterre il s'agirait de pré<senter des arrangements faits ici, qui ôteraient « aux vainqueurs le droit de l'exiger. » Il écrivait à l'assemblée coloniale elle-même, le 15 juin suivant Le moment des réclamations vio«<lentes est venu pour vous comme pour toute la France prenez donc et soyez inflexibles. Vous « n'aurez que ce que vous aurez pris. » C'est-àdire clairement qu'on voulait soustraire à la nation une somme de 1,700,000 livres, anéantir un contrat passé avec le ministre, par des arrangements faits sans doute avec lui; passer sous la domination anglaise, ou au moins se rendre redoutables; s'emparer de la puissance, et braver la justice et la nation tels sont, Messieurs, les hommes que nous avons combattus. (Applau dissements.)

. Leurs députés leur conseillaient la guerre, ils l'ont faite, et elle a été digne de leurs principes. Furieux de notre résistance, ils ont armé les esclaves, les ont rangés en compagnies que des blancs commandaient; ces instruments aveugles ont porté la dévastation dans tous les quartiers qui leur étaient désignés; les habitations des patriotes marquées à la craie ont été ravagées et incendiées; eux-mêmes ont été massacrés ou condamnés aux ceps; ceux qui ont échappé sont venus dans la ville partager les horreurs du siège et de la famine. Sept mois et demi se sont écoulés dans une situation impossible à dépeindre; nous tenions les forts, nous étions défendus par les braves régiments de la Martinique et de la Guadeloupe, par des détachements de l'artillerie et de la Sarre, par les volontaires patriotes des iles voisines, à la tête desquels était ce généreux colon présent devant vous (L'orateur montre M. Coquille du Gommier, chevalier de Saint-Louis, membre de la députation.), supérieur aux préjugés qui l'entouraient. (Applaudissements.) Mais, ce qui nous rendait invincibles, c'était l'espoir que nous 1 SÉRIE. T. XXXV.

avions fondé sur l'arrivée prochaine des envoyés de la nation demandés par vos députés extraordinaires, et la certitude qu'en leur remettant les forts, nous assurions à la France la possession de la colonie.

Là, sans doute, devait être la fin de nos maux. Le décret du 29 novembre consacrait les mêmes propositions que nous avions faites à l'Assemblée coloniale et qu'elle avait rejetées; nous devions croire que la nation avait pris quelque part à ce que nous avions souffert pour sa cause mais les intentions de la loi ont été emprisonnées par ceux qui devaient la faire exécuter. M. Béhague ne venait pas poursuivre une route opposée à celle de ses prédécesseurs; les commissaires civils n'ont pas su prendre le poste que la loi leur assignait; l'instant où les fonctions de l'assemblée coloniale étaient suspendues, a été l'instant où sa domination s'est plus cruellement établie; les défenseurs de Saint-Pierre ont été désarmés et renvoyés en France; ceux qui les avaient combattus, les officiers et grenadiers du régiment de la Martinique ont été conservés. La ville a été dépourvue d'armes et de munitions, on en a fait des dépôts dans les campagnes les troupes ont été écartées parce qu'on redoutait leur patriotisme; on n'a laissé que deux bataillons et on a désarmé les forts qui étaient à leur garde. Sur 24 vaisseaux ou frégates, on a choisi la Ferme et l'Embuscade, à qui nous devions ce que la guerre avait eu de plus atroce, l'Eole et la Calypso commandées par les sieurs Girardin et Malvaut, créoles liés au parti de l'assemblée colonial. Les commissaires et le général se sont renfermés dans le Fort-Royal, tandis que tous ceux du parti s'obligeaient, par le serment le plus fort, à ne jamais communiquer avec Saint-Pierre, à expulser de la colonie tous ceux qui avaient tenu à la cause de Saint-Pierre, que des vexations inouies, des menaces, des meurtres restés impunis, ont forcé une multitude de citoyens à s'expatrier, à renoncer à un pays où il n'y avait plus ni protection ni sûreté.

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« C'est peu que de voir l'ancien régime rétabli, mais il l'est avec l'idée d'une contre-révolution, et par conséquent avec toutes les intentions de vengeance; on n'a cessé de le dire tout haut la fuite du roi a été annoncée à la Martinique au mois de mai, les capitaines des navires marchands sont partis pour la France avec la crainte de la trouver en proie aux horreurs de la guerre civile; la ville de Saint-Pierre est dans la crainte continuelle d'une invasion, et tout annonce qu'à la Martinique la Révolution française ne doit plus trouver de partisans à peine de mort.

« Au milieu de ce désordre affreux, ceux qui n'ont pu s'y soustraire, restés dans l'humiliation, ont prouvé mieux encore que dans les combats, combien ils sont dignes de la Révolution. Stricts observateurs de la loi, ils ont fait quelques représentations; mais il est impossible que M. Béhague lui-même les accuse d'aucune désobéissance, et quoique les hommes de couleur aient été les agents de leurs ennemis, ils est déclaré qu'ils obéiraient au décret du 15 mai. (Applaudissements.)

Mais la constitution des colonies n'est pas faite, et les pouvoirs d'un général y sont plus étendus que tous ceux que la Révolution a renversés. L'assemblés coloniale qui, depuis 18 mois, s'est exercée à usurper tous les pouvoirs, au lieu de présenter son vou, et qui ne présentera jamais que le vœu du parti qui y dominera; l'assemblée coloniale est le foyer criminel de toutes

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