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le rapport économique, et qu'en résumé il en aurait coûté plus de se passer de rails que d'en construire. Toute découverte nouvelle a ses lois.

Le glaive a remplacé la massue; la balle a remplacé la flèche; la liberté de la presse est appelée à remplacer la poudre à canon; ce sera le droit succédant à la force, l'idée succédant au fait.

Pour s'inscrire en faux contre la vérité de ces paroles, contre la justesse de ces prévisions, il faut n'avoir pas, dans la souveraineté du droit et de l'idée, la foi que j'ai toujours eue, car ceux-là se trompent qui ne font remonter qu'à six mois la guerre que j'ai déclarée à l'exagération des armées permanentes; il y a plus de quinze ans que j'ai commencé cette guerre.

Si, au lieu d'être étouffée, ma voix eût été écoutée, 200 millions d'économie annuelle depuis quinze années, formant un total de trois milliards, eussent permis de verser sur la tête du peuple le flot de l'instruction publique, ce baptême de la démocratie, d'alléger le poids des impôts porté par le travailleur, d'améliorer le sort du pauvre, d'éteindre le paupérisme... Prétendrait-on que ces trois milliards, consacrés à l'entretien d'une armée qui n'a servi qu'à aveugler la royauté et ses ministres, en leur donnant le mépris coupable du droit, puisé dans le sentiment présomptueux de la force, prétendrait-on que ces trois milliards ont été plus utilement employés à solder des capitaines qu'à rétribuer des instituteurs, à former des soldats qu'à former des citoyens?

La Révolution de Juillet et la Révolution de Février ont montré quelle était, sous le régime de la liberté de la presse, la fragilité des gouvernements tenus en équilibre sur la pointe d'une baïonnette.

De deux choses l'une ou le pays est satisfait du gouvernement qu'il s'est donné, ou il en est mécontent; s'il en est satisfait, une armée exagérée est inutile au maintien de l'ordre, elle ne sert qu'à nuire au développement de la richesse; s'il en est mécontent, si nombreuse qu'on suppose l'armée, le soldat n'oubliera jamais qu'avant tout il est ci

toyen, qu'il l'était hier avant d'être sous les drapeaux, et qu'il le sera demain en retournant dans ses foyers.

Il n'y a pas besoin d'une armée considérable et dispendieuse pour réprimer les malfaiteurs; la gendarmerie départementale et la police urbaine suffisent à ce soin.

Il n'y a pas besoin d'une armée considérable pour faire justice d'une conjuration d'ambitieux ou d'une émeute sans causes légitimes; cette tâche n'est pas au-dessus de la sévérité de l'opinion publique et de la presse périodique.

Impuissante à soutenir contre le vœu populaire un gouvernement issu d'une révolution, une armée de cinq cent mille hommes coûtant quatre cent millions de francs n'est donc nécessaire qu'en vue de la guerre.

Or, une agression est-elle à craindre? d'où nous viendrait-elle ?

De l'Angleterre? - Mais l'Angleterre n'a pas d'armée : elle n'a qu'une flotte et elle traîne aux pieds une dette de vingt milliards, des finances épuisées, des impôts exagérés et impopulaires, sans parler ni de l'Irlande ni des chartistes.

De la Russie? Mais, pour arriver jusqu'à notre poitrine découverte, il faudrait que l'armée moscovite marchât sur le corps de toute l'armée révolutionnaire insurgée, armée combattant à la fois pour la nationalité germanique violée et pour la liberté européenne menacée. L'empereur Nicolas le sait bien; aussi rien de plus pacifique, au fond, que son manifeste basé sur une hypothèse imaginaire: celle où il serait porté atteinte à l'inviolabilité des frontières russes. Liberté de la presse. Réduction des impôts! (la réduction des impôts implique partout la réduction de l'effectif militaire) ces deux mots protégeront plus efficacement à Berlin, à Munich, à Stuttgard, la République française, que deux cent mille soldats que nous échelonnerions de Lille à Strasbourg.

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La liberté de la presse faisant le tour de l'Europe, c'est la fraternité des peuples rendant impossible la coalition des souverains.

Or, qui dit avec sincérité Fraternité des peuples, porte écrits au fond de sa pensée ces mots : Respect des nationalités.

Pourquoi donc une armée nombreuse et dispendieuse, si elle ne peut pas servir au dedans, si elle ne doit pas servir au dehors?

N'avons-nous donc pas un emploi plus utile de l'argent des contribuables?

Quels progrès n'eussent pas fait la civilisation, la fraternité entre citoyens et nations, si tous les milliards qui ont été employés à acquérir de la gloire avaient été consacrés à éteindre la misère, à honorer le travail, à améliorer l'existence du pauvre, à instruire le peuple, à développer l'énergie de son intelligence et la noblesse de ses instincts!

1848.

L'ABOLITION DE L'ESCLAVAGE MILITAIRE.

I.

15 avril 1848.

Un journal annonce que l'on signe dans ses bureaux une pétition pour le rappel immédiat des troupes dans Paris. A quoi bon cette pétition?

A quoi bon ce rappel?

Quelle garantie l'ordre public aurait-il quand les régiments auraient repris possession de leurs casernes ?

Est-ce que la garde nationale, sans distinction d'origine, ne veut pas fermement l'ordre ?

Qui donc pourrait le troubler?

Des malfaiteurs et des esprits exaltés ?

Si haut que l'on en porte le nombre, ils ne formeront jamais qu'une minorité imperceptible et peu dangereuse.

Pour que l'ordre courût à Paris des dangers sérieux, il faudrait que les membres du Gouvernement provisoire se rangeassent, en totalité ou en partie, du côté des perturba

teurs.

Alors, répétons-le, à quoi bon le rappel des troupes dans Paris? Ce serait une complication et un danger de plus ; ce ne serait ni une garantie ni une force.

Jamais la nécessité de l'ordre n'a été plus généralement

et plus profondément sentie. En doutez-vous? - Quittez votre habit, mettez une blouse, parcourez les ateliers nationaux, pénétrez dans tous les rassemblements d'ouvriers, et prêtez l'oreille aux discours qui s'y tiennent.

Ceux-là mêmes des travailleurs qui s'étaient déclarés las de travailler, commencent à être plus las encore de ne rien faire; ils reconnaissent que l'ordre et la sécurité, le crédit et le travail, sont les quatre faces de la même question; ils sont humiliés de penser qu'ils aggravent la charge de l'État, déjà si obéré, et que la terre qu'ils remuent, c'est à la fois de l'argent, du temps et de la peine perdus ; ils aspirent à reprendre l'outil qu'ils étaient exercés à manier; leurs yeux se sont ouverts; ils voient qu'il est dans les sociétés des ressorts forgés par le temps qu'on ne saurait briser, des anneaux rivés par les siècles qu'on ne saurait détacher sans aggraver les souffrances et les privations des travailleurs; ils condamnent avec sévérité des erreurs que quelques semaines d'expérience ont suffi pour leur faire apprécier; ils s'indignent contre les malfaiteurs qui tenteraient de prolonger une situation si précaire et si douloureuse pour tous les travailleurs, et particulièrement pour les bons, pour ceux qui gagnaient de 6 à 3 fr. par jour, et qui en sont réduits depuis six semaines à se contenter de 1 à 2 fr. payés par les mairies. Que l'ordre soit troublé, que l'on mette en présence les malfaiteurs et les travailleurs; ces derniers seront plus de dix contre un; il ne faudra pas les pousser, il faudra plutôt les retenir !

La signature d'une pétition pour le rappel immédiat des troupes dans Paris nous paraît donc une idée qui appartient au régime déchu; c'est un anachronisme. La pétition qu'il faudrait signer serait une pétition conçue dans un esprit tout opposé, dans l'esprit suivant :

AU GOUVERNEMENT PROVISOIRE.

« La France républicaine n'a point à craindre la guerre européenne.

» La Liberté n'a plus rien à redouter de la Royauté.

» La liberté de la presse, faisant le tour de l'Europe, par la fraternité des peuples, rend impossible la coalition des souverains.

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