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Quoiqu'on ne voie rien dans les peintures d'Herculanum qui prouve que les écoles grecques aient jamais exprimé la diversité des étoffes, on aurait tort d'en conclure qu'ils ont négligé une partie aussi importante de la vérité pittoresque. On peut dire en général que, comme il n'y a point ou qu'il n'y a que fort peu de groupes dans ces tableaux, il n'y point aussi de clair-obscur, et par conséquent point de ce que nous appelons harmonie et accord: chaque figure a, pour ainsi dire, sa lumière et son ombre, en sorte qu'elle est comme isolée; il n'y en a aucune qui porte ombre sur l'autre, et les reflets ne sont point exprimés; de plus, les ombres sont également fortes depuis le haut jusqu'au bas d'une figure, et ne sont jamais rompues, c'est-à-dire qu'elles sont faites avec la même couleur que les demi-teintes, et .qu'il y entre seulement un peu moins de blanc. L'art de faire fuir les objets était donc, en quelque façon, inconnu aux peintres d'Herculanum. Le seul moyen qu'ils aient employé à cet effet, a été de tenir les corps qu'ils mettaient sur les premiers plans, plus forts que ceux qu'ils destinaient aux plus éloignés. Au reste, ces peintures sont faites facilement, on y trouve une touche hardie, et un pinceau manié librement, quelquefois haché, quelquefois fondu ; en un mot, un faire léger, et le même à-peu-près que celui de nos décorations de théâtre : tout, dans ces ouvrages, indique une grande pratique ; mais il nous semble que l'on peut reprocher à leurs auteurs une grande ignorance dans l'art de rendre les carnations et les détails de la nature. Il y a beaucoup de compositions de petites figures: ces morceaux sont presque tous d'une couleur de chair nuancée et placée sur différens fonds; non-seulement l'ordonnance en est mieux entendue que celle des grands morceaux, mais ils sont touchés avec esprit, le dessin en est correct, et la couleur trèsbonne. Les fruits, les fleurs et les vases de verre sont bien rendus; ils ont de la vérité, mais ils sont faibles de teintes et d'effet. L'on peut encore reprocher à ces petits ouvrages le défaut de plan; car la perspective s'y trouve souvent mal observée, et le haut des vases ne tend point au même horizon que le bas. Que faut-il conclure de

ces diverses observations? Que les artistes qui ont exécuté les peintures trouvées à Herculanum, étaient faibles en comparaison de ceux qui, dans le même temps, brillaient dans les grandes villes.

Parmi les ouvrages de l'art que le temps ne nous a pas ravis, il en est peu qui soient aussi dignes de notre attention que les vases de terre peints. Les anciens ont en général montré, dès les temps les plus reculés, beaucoup de goût et une grande magnificence pour ces sortes de vases *. Nous avons pris dans ces précieux monumens de l'art les peintures les plus remarquables **. Ces vases sont faits d'une terre plus ou moins fine et légère, selon les fabriques d'où ils sortent. Leur couverte, jaune ou rougeâtre, ne paraît contenir aucune substance métallique; elle est composée d'une terre particulière,

* La dénomination d'Etrusque a été appliquée aux vases antiques en général par l'effet de plusieurs causes dont nous ne rendrons pas compte ici; mais la plus générale de ces causes fut l'habitude qu'eurent les premiers antiquaires d'expliquer par les mœurs, l'histoire et la religion des Romains, tout ce qu'on trouvait d'antiquités en Italie. Cette erreur se trouve toujours entretenue dans l'opinion vulgaire, par le nom impropre que la routine n'a pas cessé de donner aux vases antiques. Winckelmann cependant avait été presque jusqu'à nier qu'aucun de ces vases fût dû à l'Etrurie. La similitude qui règne sur quelques points entre les vases grecs et ceux de l'Etrurie, aura probablement été une des causes de la méprise générale. Les vases étrusques sont d'une seule couleur noire, sans figure, ou avec des figures noires fort grossières, sur un fond rouge. La correspondance du goût de l'Etrurie avec celui du plus ancien style grec, correspondance si bien constatée sur d'autres points, fit croire naturellement que les vases grecs, d'ancienne origine, étaient des ouvrages étrusques. Cette confusion eut d'autant plus de facilité à s'introduire dans cette partie de l'histoire de l'art, que les fouilles auxquelles on doit le plus grand nombre des vases que nous possédons, ont toujours été faites, surtout dans les commencemens, par hasard, sans méthode, et sans qu'aucun esprit observateur se soit avisé de lier ces recherches à l'histoire des temps et des lieux. Devenus bientôt objets de commerce et de curiosité, les vases prétendus étrusques ont circulé entre les mains des marchands et des amateurs, sans qu'aucun renseignement indiquât le lieu précis de leur découverte. Considérés particulièrement, isolément et sans rapport, avec leur universalité et la généralité de leur emploi, ils conservèrent, dans les premières collections et dans les cabinets des curieux, le nom que le préjugé leur avait d'abord assigné.

** On voit beaucoup de toilettes de noces sur les peintures des vases grecs; et il paraît qu'on choisissait ce sujet de préférence lorsque le vase était destiné à un présent pour cette occasion. Voye , par exemple, Tischbein, Recueil de Gravures d'après les vases antiques, t. I, pl. 3, 47 ; t. II, pl. 34, 36; Explication des vases, par Boettiger, 1er cahier, pl. 140 et suiv.

que quelques savans croient être de la manganèse, mais qui semble être une espèce d'ocre jaune ou rouge réduite par le broiement en une pâte très-fine, mêlée avec un corps gommeux ou huileux, et appliquée au pinceau; mais la couverte noire a un éclat qui la rend semblable à l'émail. Les couleurs sont appliquées de différentes manières; les plus anciens vases ont un vernis noir, et quelques figures tracées avec le même noir que le vernis, et formant une espèce de silhouette sur le fond jaune ou rouge qui a été épargné dans le lieu où l'on a placé la peinture ou les ornemens. Il paraît qu'on a regardé comme un perfectionnement de couvrir tout le vase d'un vernis noir, en épargnant seulement la place des figures qui sont de la couleur de la pâte du vase : les contours, les traits nécessaires pour exprimer les cheveux, les vêtemens, etc. sont de la même teinte que le vernis. Quelques parties sont peintes d'un rouge foncé; trèssouvent les vêtemens, les accessoires sont touchés de blanc : on trouve quelquefois du bleu dans les ornemens. Les artistes qui ont peint ces vases n'étaient pas tous d'un grand mérite; mais si l'on réfléchit aux difficultés que leur opposait la masse sur laquelle ils opéraient, on admirera davantage la hardiesse de ces élégans contours. Il est certain que l'artiste devait les faire avec précision et promptitude d'un seul trait; mais, pour diriger sa main, il commençait par tracer grossièrement ces mêmes contours avec une pointe sur la terre encore molle; les marques de cette pointe subsistent sur un grand nombre de vases. L'artiste, muni d'un roseau ou d'un léger pinceau, faisait ensuite le véritable contour avec du noir, sans s'astreindre à suivre servilement le premier. On trouve des vases dont chaque côté offre également un sujet tiré de la mythologie ou de l'histoire héroïque. La composition entoure quelquefois le vase entier : le col même de quelques-uns est orné de peintures. Les anses portent aussi des figures peintes qui sont relatives à l'objet pour lequel le vase a été fait, et qui forment, avec les sujets principaux et les autres accessoires, un système complet. Ces peintures paraissent avoir été exécutées par de bons artistes relativement au temps où elles ont été faites, et même par d'habiles

maîtres. Nous n'avons malheureusement point le nom de leurs auteurs; aucun n'est cité par Pline, ni par les écrivains qui ont parlé des arts. Quelques-uns seulement sont inscrits sur les vases: on y lit ceux de Alsimos, Taléides, Astéas et Kalliphon; mais il faudrait avoir les noms de ceux qui ont fait les magnifiques peintures dont quelques vases sont décorés, pour connaître les plus habiles artistes en ce genre.

Lorsqu'on retire les vases des fouilles, ils sont couverts d'une couche de terre blanchâtre qui ressemble à du tartre, et qui est de nature calcaire, puisqu'elle disparaît avec l'eau forte. Quelques vases sont aussi bien conservés que s'ils sortaient des mains du potier; d'autres ont été endommagés par les sels terreux avec lesquels ils ont été en contact; d'autres même sont brisés.

Quelques modernes se sont attachés à imiter les vases antiques, mais la grossièreté de la terre qui rend leurs vases plus pesans, et l'éclat métallique du vernis, décèlent la supercherie. Quelquefois les vases sont antiques, mais une main moderne y a placé des peintures pour en rehausser le prix. Les figures sont faites en enlevant la couche noire pour laisser paraître la couleur du vase, ou en peignant dessus avec une couleur à l'huile. Il suffit d'examiner attentivement la couleur, pour s'en apercevoir. Si le peintre s'est servi d'une couleur détrempée avec de la gomme, ou de l'alcohol, il ne faut passer dessus que de l'eau ou de l'esprit-de-vin, pour la faire disparaître, tandis que la couleur antique qui a été cuite avec le vase, résisterait à ces épreuves.

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Pline, ni aucun des auteurs grecs ou romains qui ont traité des arts, n'ont parlé des vases peints: ainsi on ne peut dire si les anciens en ont fait des collections, et s'ils les ont placés dans leurs galeries. On lit seulement dans Suétone, que les Colons établis par César dans la ville de Capoue, en vertu de la loi Julia, détruisaient, pour bâtir des maisons de campagne, les plus anciens tombeaux, et qu'ils le faisaient avec d'autant plus d'ardeur, qu'en les fouillant ils trouvaient des vases antiques.

Nous avons cru faire quelque chose d'agréable aux amateurs, en faisant précéder le recueil de ces peintures, d'un catalogue de tous les peintres de l'antiquité, dont il est fait une mention quelconque dans les auteurs grecs et romains, laissant à nos lecteurs le soin d'attribuer les sujets dont nous leur mettons le trait sous les yeux, à ceux de ces artistes dont ils croiront reconnaître le genre de composition, d'après ce que les auteurs grecs et romains en auront dit. Nous avons puisé à toutes les sources pour rendre ce catalogue complet. Puisse la critique n'avoir à nous reprocher que des omissions! Nous avions d'abord formé le projet de le disposer par ordre chronologique; mais l'impossibilité où nous nous sommes trouvés d'indiquer d'une manière précise, pour quelques-uns, et approximative pour le plus grand nombre, l'époque où ils ont vécu, nous a déterminé à suivre de préférence l'ordre alphabétique.

C'est à Pline que nous sommes redevables des notions les plus détaillées sur les anciens artistes et sur leurs productions. Il rapporte les dates de la vie de quelques peintres, et même de plusieurs autres qu'il place dans la même époque; il détermine le tout par les olympiades; et, de cette manière, il a fixé une suite d'époques d'après lesquelles le temps où les artistes célèbres ont vécu, peut être fixé ou comparé avec celui qui en a vu naître d'autres. On s'imagine communément, et Winckelmann même paraît l'insinuer partout, que ces époques sont de l'invention de Pline. On ne réfléchit pas qu'ici Pline est seulement compilateur, et ne fait que prendre ces notions de plusieurs auteurs grecs et latins. Mais ces mêmes auteurs grecs, que Pline a consultés, quelle raison pouvaient-ils avoir de déterminer la vie d'un ou de plusieurs artistes, d'après une certaine olympiade? La vie d'un artiste, même cette partie de sa vie où il possède le plus haut degré de talent, comprend plus d'une olympiade. Bayle, avec sa sagacité ordinaire, avait déjà remarqué (dans son article Zeuxis) que la manière dont les anciens ont établi la chronologie de leurs hommes célèbres, était bien faite pour causer des doutes, mais non pas pour les lever. Le temps de la plus

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