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C'est une erreur de croire que les dépôts au montde-piété doivent diminuer en proportion des versemens à la caisse d'épargnes.

Ces deux genres d'établissement ne sont pas fréquentés par les mêmes personnes. Ceux qui ont contracté le goût de l'épargne ne songent qu'à augmenter leurs économies; ils sont bien éloignés de recourir au mont-de-piété.

Ceux qui, au contraire, recourent aux prêts du mont-de-piété, connaissent peu le chemin de la caisse d'épargnes. On conçoit que, lors de la cessation des travaux de fabrique, l'un des établissemens soit plus fréquenté et que l'autre le soit moins, mais ces deux effets différens sont le résultat de la

même cause, la diminution des produits du travail.

Il ne faut pas croire que le nombre des dépôts au mont-de-piété influe sur celui des versemens à la caisse d'épargnes. Depuis que ces deux établissemens opèrent simultanément, le nombre des dépôts au mont-de-piété n'a pas sensiblement diminué, mais celui des versemens à la caisse d'épargnes a progressivement augmenté.

Il résulte aussi des comparaisons sur le nombre des dépôts faits avant et depuis la suppression de la loterie et des jeux, que cette suppression a exercé peu d'influence sur les opérations du mont-de-piété. Ce qui en exerce le plus, ce sont les crises commerciales qui suspendent ou ralentissent les travaux des fabriques, le bas prix ou la cherté des subsistances,

la douceur ou la rigueur des hivers, les besoins réels, les vicissitudes de perte ou de gain.

Le mont-de-piété qui répond à ces besoins, a dit M. Dupin, rend donc toujours le service qu'en avaient espéré ses premiers et religieux fondateurs; c'est toujours comme au siècle des Médicis et des Borromée, à Florence, à Rome, à Milan, pour le nécessiteux momentané, pour l'homme frappé de soudaine détresse, pour l'indigent aux prises avec les rigueurs des saisons, une institution de charité ; c'est toujours un trésor de bienfaisance, une accumulation, un amoncellement, un mont-de-piété, et, comme l'appelle le peuple de Naples, un mont sacré.

C'est en même temps pour le petit commerce un moyen puissant de travail et de production. A chaque instant des chefs d'atelier y viennent déposer un mobilier improductif, de l'argenterie, des joyaux, des parures, afin d'obtenir un capital qui leur permette de suffire à des commandes pressées, pour lesquelles il faut des avances immédiates de matières et de main-d'œuvre.

Ainsi, les monts-de-piété sont autant de banques de France pour la classe ouvrière et pour les petits fabricans. Ces établissemens, quoiqu'ils subviennent à d'humbles besoins, ont droit à la même estime; et l'ami du peuple doit les juger avec encore plus d'intérêt que la grande institution des riches capitalistes.

La preuve que les monts-de-piété rendent de véritables services à ceux qui y trouvent de l'argent pour leurs besoins, c'est que les dix-neuf vingtièmes des dépôts sont dégagés dans le delai accordé par les règlemens pour le remboursement des prêts.

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Pendant une période de vingt-deux ans, de 1815 à 1833, le mont-de-piété de Paris a reçu 21,166,840 dépôts, sur lesquels il a prêté 376,372,453 fr. Les dégagemens par retrait ou renouvellement se sont élevés à 19,994,264 dépôts, pour une valeur de 353,943,231 fr. Les dépôts vendus se sont bornés à 1,115,559, pour une valeur de 19,816,110 fr.

Pendant la même période, celui de Lyon a reçu 1,405,517 dépôts et prêté 24,016,073 fr. Sur ce nombre, il n'y a eu de vendu que 75,297 articles pour une somme de 1,307,541 fr.; ainsi les objets non dégagés sont à peine le vingtième de la totalité.

Les ventes ont été à peu près dans la même proportion à Bordeaux, Marseille, Rouen, etc. Si les objets déposés sont retirés en très-grande partie, il faut tirer la conséquence naturelle que le plus grand nombre des déposans ont trouvé une ressource momentanée dans les prêts qui leur ont été faits.

La valeur moyenne de chaque article déposé est à Paris de 17 fr. 78 c.; à Lyon, de 17 fr. 08 c. ; à Bordeaux, de 14 fr. 94 c.; à Marseille, de 18 fr. 57 c.; à Strasbourg, de 6 fr. 17 c.; à Besançon, de 8 fr. 29 c.

La modicité de ces valeurs démontre l'urgence des besoins qui oblige les propriétaires à les déposer.

Un établissement semblable est surtout utile dans les villes manufacturières où les ouvriers éprouvent fréquemment les fâcheux effets des alternatives d'ac tivité, de ralentissement ou de suspension dans les travaux des fabriques. N'est-ce pas venir à leur sécours que de leur offrir un crédit qu'ils ne trouve, raient pas ailleurs dans des momens de détresse, par le dépôt de quelqu'un de leurs effets mobiliers?

Toutefois, ces maisons de prêt ne rempliront le but qu'avaient en vue les fondateurs des premiers établissemens, que lorsque les prêts pourront avoir lieu à un taux modéré.

D'après les règlemens spéciaux, l'intérêt qui, à Avignon, n'est que de 4 pour cent, est de 6 à Marseille, de 7 1/2 à Metz, de 9 à Paris, de 10 à SaintQuentin, de 12 à Lyon, à Nantes, à Rouen, à Strasbourg, à Dijon, à Nîmes, à Nancy, à Versaillon; de 13 à Dieppe, à Tarascon; de 15 à Bordeaux, de 18 au Havre et à Calais.

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Les bénéfices des monts-de-piété profitent, il est vrai, aux hospices des villes où ils sont établis, mais comme on l'a observé avec raison pour venir au secours des pauvres entretenus dans les hospices, il ne faut pas percevoir un impôt sur d'autres pauvres. D'autre part, une maison publique de prêt qui ne retrouverait pas dans ses opérations un produit suffisant pour faire face aux frais de gestion et à

l'intérêt de ses emprunts, tomberait bientôt en liquidation. Il est donc nécessaire que l'intérêt exigé des déposans puisse couvrir la dépense.

Un moyen propre à remédier à l'inconvénient d'un intérêt trop élevé serait qu'aucun bénéfice ne fût attribué aux hospices, et que celui qui serait réalisé chaque année par les monts-de-piété fût consacré à former un fond d'amortissement à l'aide duquel on éteindrait successivement une partie du passif. Dans un assez court espace de temps, l'établissement arriverait à opérer avec ses propres ressources, ce qui permettrait de faire jouir la classe indigente d'une réduction progressive sur le taux de l'intérêt.

* En 1836, la mairie de Saint-Etienne, convaincue de l'utilité des monts-de-piété, avait conçu le projet d'en établir un dans cette ville. Le Mercure Segusien publia plusieurs articles qui en démontraient les avantages; il fut établi qu'un mont-de-piété était convenable dans une ville manufacturière dont la population, y compris celle de la banlieue, dépasse 60,000 habitans. Il en a été établi dans des villes beaucoup moins considérables, telles que Dijon, Besançon, Avignon, Brest, Nancy, Versailles, Dieppe, Saint-Quentin.

Nonobstant les motifs qui avaient déterminé le projet, l'administration des hospices ne crut pas devoir s'y prêter; elle craignit qu'en facilitant les prêts à certaines classes d'ouvriers, on ne les excitât à la

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