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pays. Ce n'est au fond, qu'une question de mot.
Dans la langue des Grecs et des Romains,
qui n'avoient pas l'idée de la monarchie,
ainsi que l'observe très-bien Montesquieu,
parce qu'ils ne la distinguoient pas du des-
potisme, le nom de citoyen étoit réservé aux
républiques. Dans notre usage, il s'applique
aux monarchies, pour désigner non- seule-
ment les vertus civiles, mais encore des
droits politiques qui n'appartiennent ni au
voyageur, ni à l'étranger domicilié, mais non
naturalisé, ni à ceux qu'une sentence en
dernier ressort a retranchés du corps de
la société. Rousseau se moque avec quel-
que raison d'un Ecrivain qui, dans une ré-
ponse au citoyen de Genève, s'intituloit ci-
toyen de Toulouse. Nos villes n'étoient pas
des cités proprement dites: elles faisoient
partie de la cité qui comprenoit la France
toute entière. Les Parisiens étoient bourgeois
et non citoyens de Paris. Mais tout Fran-
çais pouvoit se dire citoyen de la France.
Car tout Etat constitué forme une cité, et
tout membre de la cité est citoyen. Ce sont
les Français républicains qui n'ont pas com-
pris la signification du titre de citoyen, puis-
qu'ils le donnent et aux femmes, et à la

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classe indigente du peuple qu'ils ont exclue. de leurs assemblées politiques.

Concluons, en reconnoissant que la vraie liberté consiste dans la soumission aux lois, que les souverains en sont les gardiens et les défenseurs, et qu'elle disparoît du moment que le peuple ose se croire au-dessus des lois et du souverain. Le désir effréné de la liberté conduit toujours à la servitude; avidè ruendo ad libertatem, in servitutem delapsos.(*)

CHAPITRE, III.

De l'Egalité.

Vers la fin du quatorzième siècle, un certain Jean Ball, disciple de Wiclef, souleva en Angleterre les paysans contre le clergé, la noblesse et les magistrats. Il préchoit l'Egalité, et prenoit pour texte de ses déclamations séditieuses le proverbe anglais : Quand Adam béchoit, et qu'Eve filoit, où étoient les nobles? Avec la même doctrine, les Anabaptistes, au seizième siècle, embrasèrent une partie de l'Allemagne. Du temps de Cromwel, le fanatisme de l'Egalité enfanta (*) Tite Live.

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la secte des levellers, ou desj niveleurs. Tels ont été les préludes, et comme les premiers essais de la révolution française.

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Selon le premier article de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, „ les hommes naissent, et demeurent égaux en droits: les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. ". Et dans l'article VI, „ la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit » qu'elle punisse. Tous les citoyens, étant » égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talens. «

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4.

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Est-ce de l'homme vivant en société, estce de l'homme considéré dans l'Etat de nature qu'ont voulu parler les rédacteurs de la déclaration, lorsqu'ils ont dit que les hommes naissent, et demeurent égaux en droits? Ou plutôt, n'ont-ils pas affecté cette expression vague et indéterminée, si indigne, je ne dis pas d'une assemblée de législateurs, mais d'un philosophe, afin de laisser à la populace, dont ils vouloient faire l'instrument de la Révolution, le droit de donner

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à cette maxime équivoque toute l'étendue que demandoient leurs projets destructeurs ? Pour nous qui, ne cherchant que le vrai, avons besoin de mettre de l'ordre et de la précision dans nos idées, nous distinguerons, comme nous avons fait en parlant de la liberté, l'égalité naturelle, l'égalité civile, et l'égalité politique.

L'égalité naturelle suppose que tous les hommes, dans l'état de nature, auroient et pourroient exercer les mêmes droits.

L'égalité civile demande que tous les membres, d'un même Etat soient également soumis à la loi commune.

L'égalité politique consiste en ce que tous les membres de l'Etat ayent un droit égal à l'administration de la chose publique, sans autre distinction que celle des vertus et des talens,

Or je dis premièrement, que si l'égalité naturelle existe dans le droit, elle ne peut subsister dans le fait,

Secondement que l'égalité politique n'est

pas compatible avec l'ordre social, sur-tout dans un grand empire.

Troisièmement, que l'égalité civile est

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la seule que le citoyen soit en droit de réclamer.

L'état de nature est essentiellement un état de liberté et d'égalité; et c'est parce que le genre humain ne sauroit se conserver avec cette liberté, et cette égalité parfaite, que l'état de nature a fait place à l'état social.

Dans l'état de nature l'égalité existe de droit: mais tout concourt à la détruire. Car, si d'un côté, tous les hommes sont égaux, en ce sens, qu'ils ont une même nature, une même origine, une même fin; d'un autre côté, ils sont extrêmement inégaux en force, en lumières, en vertu; et l'on voit assez que l'égalité métaphysique qui résulte de l'identité de nature, ne tardera pas à disparoître devant l'inégalité réelle que produit nécessairement la différence des qualités phy-" siques, intellectuelles et morales. Il n'y „a dans la nature, dit un Ecrivain non sus"pect aux amis de la Révolution, qu'une

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égalité de droit, et jamais une égalité de fait. Les sauvages même ne sont pas égaux, dès qu'ils sont rassemblés en hordes: ils ne le sont que lorsqu'ils errent dans les bois, et alors même, celui qui

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