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la charge de la Société. En quelques années, la famille entière a disparu.

En présence de cette misère, le médecin s'est encore mis à la tête de ceux qui revendiquaient le droit à la santé et à la vie; le législateur s'est ému; on a fait des lois pour la protection des travailleurs; je ne les étudierai pas toutes, cela nous entraînerait dans des discussions trop étendues, je me bornerai à signaler les actes législatifs dans lesquels le médecin a été visé et je montrerai quelle influence ces lois ont sur l'exercice de notre profession.

1.

PROTECTION DES ENFANTS DU PREMIER
AGE. LOI TH. ROUSSEL

Cette loi, promulguée le 23 décembre 1874, a pour but la protection des enfants du premier âge et en particulier des nourrissons. Voici ses dispositions principales:

Tout enfant âgé de moins de deux ans, qui est placé moyennant salaire en nourrice ou en garde hors du domicile de ses parents, devient par ce fait même, de la part de l'autorité publique, l'objet d'une surveillance ayant pour but de sauvegar

der sa vie et sa santé. Cette surveillance est confiée aux Préfets assistés d'un Comité central, qui, dans les départements où l'industrie nourricière est particulièrement développée, a des ramifications dans les principaux centres.

Les personnes soumises à la surveillance légale sont les personnes ayant un nourrisson, un ou plusieurs enfants en sevrage ou en garde moyennant salaire, il en est de même des bureaux de placement et de toutes les personnes qui s'emploient au placement des nouveau-nés.

Une lacune de la loi est la suivante. L'enfant n'est sous la protection légale que s'il est élevé par une nourrice salariée hors du domicile de ses parents; or, l'enfant soigné chez ses grandsparents, chez un frère, peut recevoir de mauvais soins qui échappent à toute surveillance. Espérons, puisqu'une loi nouvelle de protection des enfants en bas âge, destinée à remplacer la loi Roussel, est à l'étude, que les législateurs combleront cette grave lacune.

En vertu de l'article 5 de cette loi, un médecin est chargé de l'inspection des enfants placés en nourrice; ce médecin est nommé par le Pré

fet ; le bénéfice qu'il en retire est minime, mais sa responsabilité peut se trouver parfois sérieusement engagée. Si la mortalité des nourrissons semble trop considérable, on accuse le médecin de négligence, sa responsabilité est engagée visà-vis de l'administration; de plus, le médecin peut se trouver compromis, sans qu'il y ait aucune faute de sa part, notamment dans les cas d'hérédosyphilis.

Les manifestations de la syphilis héréditaire ne paraissent pas toujours au moment de la naissance et d'après une statistique de Diday, les accidents se produiraient 50 fois sur 100 dans le premier mois, 30 fois sur 100 au cours du second et 20 fois entre le second et le quinzième. Les statistiques les plus récentes donnent à ce délai une durée encore plus longue. Le diagnostic est parfois difficile et ne peut être fait qu'à la suite de plusieurs examens. Je puis rapporter un exemple typique.

Le 5 avril 1886, je fus commis, avec MM. Fournier et Vibert, à l'effet de dire « si, d'après les do cuments de la cause et les données de la science, il peut être affirmé que l'enfant remis à la

femme Font-Renaud, le 5 janvier 1883, portait dès ce jour les signes révélateurs de la syphilis ou tout au moins des indices pouvant faire craindre l'existence de ce mal; si notamment le muguet et le coryza dont il était atteint étaient de nature à éveiller l'attention des médecins ou s'ils constituaient, au contraire, un obstacle à la constatation du mal, si enfin un examen attentif et consciencieux eût dû déterminer l'homme de l'art à interdire, provisoirement ou définitivement l'allaitement, par une nourrice saine et eût ainsi prévenu la contagion ».

Or, cet enfant avait été examiné le 2 janvier 1883 par Parrot, alors médecin en chef de l'hospice des Enfants assistés, homme très consciencieux, qui avait écrit de nombreux travaux sur la syphilis héréditaire et était par conséquent très compétent en cette matière; il ne découvrit aucun stigmate d'hérédo-syphilis.

L'enfant, envoyé en nourrice, est examiné le 3 janvier par le médecin inspecteur des nourrissons. L'enfant est noté comme chétif et présente un peu de coryza qui semble dû à un refroidissement survenu au cours du voyage.

Quelques jours plus tard, le médecin constate la présence d'une plaque de muguet sur la langue; mais ce n'est que le 21 janvier qu'il découvre des signes évidents de syphilis héréditaire.

La nourrice prit la syphilis, la transmit à son mari, et un enfant né peu après succomba à la syphilis héréditaire.

Des poursuites furent engagées et on nous demanda de rechercher dans notre enquête quelle pouvait être la responsabilité du médecin. Le médecin fut mis hors de cause et les indemnités réclamées furent payées par l'Assistance publique.

La question de la protection des enfants du premier âge est des plus intéressantes, puisque l'on peut estimer que chaque année il meurt 150,000 enfants de 0 à 1 an. D'après une statistique établie par MM. Balestre et Giletta SaintJoseph, portant sur les décès s'étant produits dans 681 villes principales de France pendant six années de 1892 à 1897, sur 1000 décès il y a en moyenne, 167 décès de 0 à 1 an. Le chiffre le plus élevé est fourni par le département du Nord, 283,67 décès de 0 à 1 an sur 1000 décès de tout

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