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§ 7.

La Diana, bâtiment prussien, entrant en relâche forcée dans un port français.

Le texte de l'ordonnance du 12 mai 1696 porte que les vaisseaux qui échoueront sur les côtes et qui y seront jetés par la tempête, seront jugés suivant les articles de l'ordonnance de 4681; or, cette célèbre ordonnance prescrit la confiscation de tout vaisseau échoué qui sera de fabrique ennemie, ou qui aura eu, originairement, un propriétaire ennemi. Le réglement du 17 février 1794 renferme la même disposition.

Toutefois, le conseil des prises, dans une affaire que nous allons indiquer, rendit un arrêt plus conforme à la justice, à l'équité et à l'humanité; malheureusement, cet arrêt n'a pas formé, à jamais, la jurisprudence en pareille matière.

Le 17 pluviose an VII (5 février 1799), au milieu d'une tempête, et naviguant sous pavillon prussien, la Diana, sortit de Guernesey avec un chargement de tabac et autres marchandises; elle fut bientôt obligée de se réfugier dans le port de Dunkerque. Le second capitaine de la batterie flottante de la rade, trouvant ce bâtiment suspect, le fit entrer et amarrer dans le port. L'état des papiers de bord ne permit pas d'établir, d'une manière certaine, la neutralité de la Diana. Mais le procureur général près le conseil des prises, trouva qu'il existait une raison plus puissante que la neutralité, eût-elle été démontrée, de prononcer la nullité de la prise: c'est le respect dú aux malheureux.

« La Diana, a-t-il dit, a été jetée sur nos rivages par la tempête; c'est pour se soustraire à un péril imminent qu'elle a cherché un asile dans un port français; le danger qui a déterminé sa relâche lui promettait, sur nos côtes, protection et sûreté ; cependant on viole à son égard le droit de protection et d'asile; ....... l'exercice d'une pareille rigueur étant contraire au droit des gens, à nos lois, à l'usage constant des nations, je croirais manquer à mon caractère et au conseil auprès duquel j'ai l'honneur de représenter le gouvernement, si j'insistais d'avantage sur des principes aussi solennellement consacrés par nos lois et par celles de tous les peuples. Que la loyauté déployée dans toutes les circonstances par le gouvernement français serve de base à votre décision; prouvons qu'il est toujours généreux et juste.»

Nous préférons cet appel aux sentiments de loyauté du conseil des prises, pour déterminer une décision favorable à la Diana,

à l'appel qui fut fait, trente ans plus tard, par le procureur général près de la cour de cassation, dans l'affaire du Carlo-Alberto: << Magistrats! Vous devez vous décider non par les exemples de « la chevalerie, mais par les lois. » (§ 11.)

La position de la Diana comme neutre n'était pas démontrée; mais ce bâtiment eût-il été ennemi, l'appel fait en faveur du malheur par le procureur général, aurait été entendu par le conseil, nous nous plaisons à le penser. L'arrêt qui fut rendu le 13 ventose de l'an IX (4 mars 1801) déclara invalide et nulle la prise de la Diana, posant le principe qu'un navire qui, pour échapper au naufrage, cherche un asile dans un port français, doit être relâché sans considérer s'il est neutre ou ennemi.

Les magistrats qui rendirent cet arrêt étaient animés des sentiments nobles et généreux qui guidèrent, en 1746, la conduite du gouverneur de l'ile de Cuba, et celle, en 1780, du gouverneur du fort San Fernando d'Omoa.

La doctrine sur laquelle s'est appuyé le conseil des prises, en rendant son arrêt du 13 ventose an X (4 mars 1801) devrait être la seule applicable aux bâtiments de commerce de la nation ennemie, que la tempête jette sur les côtes des États belligérants:

« Res sacra miser ».

Il y a barbarie, absence complète de dignité et de générosité, à profiter du malheur des naufragés, ou des hommes qui, en vue du péril imminent, viennent réclamer l'hospitalité protectrice d'un port appartenant à l'ennemi.

« Le malheur opère de plein droit une trève», a dit, en 1832, dans un mémoire produit devant la cour royale d'Aix, en Provence, Me Burel, défenseur des hommes de l'équipage du bâtiment sarde, le Curlo-Alberto, dont nous nous proposons de parler plus loin, au § 11 de ce chapitre.

Cette parole devrait dominer la question toutes les fois qu'il s'agit de bâtiments de commerce naufragés, ou obligés de chercher un refuge dans un port, par suite d'avaries éprouvées, ou de l'état de la mer, soit qu'ils appartiennent à la nation momentanément ennemie, soit que neutres ils se trouvent chargés de marchandises réputées contrebande militaire; il n'en est point ainsi, nous devons l'avouer. Si l'arrêt du 13 ventôse de l'an X (4 mars 1801) est conforme à la doctrine de l'humanité et de l'équité, les lois en avaient décidé autrement, ainsi que le démontrent l'ordonnance du 12 mai 1696, l'article XV du réglement du 26 juillet 1778, et les articles XIX et XX de l'arrêté du 6 germinal an VIII (27 mars 1800).

Nous avons, avec intention, dans les observations qui précèdent, parlé exclusivement des bâtiments de commerce, parcequ'il nous semble, en effet, difficile (avec M. Bravard-Veyrières, professeur du droit commercial à la faculté de droit à Paris), tout en rendant d'ailleurs hommage aux nobles sentiments qui ont inspiré le gouverneur de l'ile de Cuba, en 1746 (§ 4); il nous parait difficile, disons nous, que la doctrine énoncée en faveur des bâtiments de commerce de la nation ennemie, naufragés, échoués ou entrés dans le port en reláche forcée, devienne jamais applicable aux vaisseaux de guerre. «Relâcher un vaisseau de « guerre ennemi (dit M. Bravard-Veyrières) dont par le fait on se « trouve le maître, serait plutôt manquer de prudence que faire acte de générosité. »

Dans l'affaire de la Diana, le conseil des prises s'est montré juste, équitable, humain; mais, il faut bien l'avouer, dans l'affaire du navire prussien la Maria Arendz, qui se trouvait dans une position à peu près analogue, le conseil s'était prononcé tout autrement qu'il le fit dans l'affaire de la Diana; son arrêt du 20 fructidor de l'an VIII (7 septembre 1800) a été strictement conforme aux dispositions des lois et ordonnances de 1681, 1696, 1778, 1794 et 1800.

§ 8.

Naufragés de Calais.

Dans les années 1797 à 1799, le gouvernement français a donné un exemple bien mémorable du respect dù au malheur : Res sacra miser.

Un bâtiment anglais, bâtiment ennemi, échoue sur les côtes du Pas-de-Calais; un grand nombre d'émigrés français qui avaient servi dans l'armée des princes exilés et qui avaient porté les armes contre la France, étaient au nombre des naufragés; ils se rendaient aux Indes orientales, engagés au service de l'Angleterre, mais ayant formellement stipulé d'ailleurs dans leur engagement, qu'ils ne seraient jamais employés contre la France.

La législation qui existait à cette époque contre les émigrés, était une législation de haine, de mort, d'extermination; mais la France, après avoir traversé les temps de la plus hideuse et de la plus féroce barbarie, voyait siéger dans les conseils de la nation, des hommes disposés à écouter la voix de l'équité et de l'humanité. Le directoire, pouvoir exécutif de l'État, consulta le conseil des anciens et celui des cinq cents. Une commission fut

nommée dans le conseil des anciens pour l'examen de la proposition faite par le directoire de rembarquer les naufragés. M. Portalis, rapporteur de la commission, exprima en cette circonstance les plus nobles maximes.

<< Point de crime », dit-il, «sans une intention criminelle; or, << quelle est donc la volonté de l'émigré jeté sur nos côtes par la << tempête ? Le malheureux naufragé n'est-il pas absous par la for<< tune? Je cherche la volonté de l'homme et je n'aperçois que la << volonté du destin .....; comment lui demander compte des orages? « La France doit devenir pour lui, non un sol dévorant, mais une << terre hospitalière; il demeure sous l'empire de la nature; il ne << tombe pas sous celui de la loi.

« Représentants, nos braves marins, nos commerçants, nos « voyageurs, profiteront peut-être un jour des maximes hospita<«<lières que vous aurez proclamées. Votre loi sera citée comme « le sont tous les actes généreux qui ont fondé le droit public << des nations policées et qui ont honoré la nature humaine. »

Ces nobles paroles prononcées en favour des émigrés naufragés servirent, en même temps, la cause de tous les individus qui se trouvaient à bord du bâtiment ennemi, poussé par la tempête sur les côtes françaises.

Une résolution favorable fut adoptée; les deux conseils décidèrent, le 5 thermidor an V (23 juillet 1797) que, conformément au droit des gens, les naufragés devaient être rembarqués dans le plus bref délai et reconduits en pays neutre.

Les événements politiques intérieurs qui survinrent le 48 fructidor suivant (4 septembre 1797) s'opposèrent à l'exécution de cette décision équitable; la loi du 5 thermidor fut rapportée et les naufragés de Calais furent condamnés à la déportation; triste exemple de la mobilité de toutes choses dans les temps de révolutions! Une décision solennelle qui honorait également le gouvernement qui l'avait provoquée, et les assemblées délibérantes qui l'avaient rendue, ne put recevoir son exécution et suivre son cours, un mois après avoir été prise et proclamée ! ......

Les naufragés de Calais furent renfermés au château de Ham, ce château fort, construit dans l'année 1470, où Louis XI fit enfermer le comte de St.-Pol, connétable de France, avant de le faire décapiter; où de nos jours furent détenus les ministres composant le cabinet de Charles X au moment où ce prince fut précipité du trône, par la révolution de 1830, et depuis le prince Louis Napoléon Bonaparte, que la révolution de 1848 a appelé, le 10 décembre de cette même année, à gouverner l'État en qua

lité de président de la république, élu pour quatre ans par le vote populaire. 1)

Dans le courant de l'an VII (1798 à 1799) la question des naufragés de Calais fut mise de nouveau en discussion; ces paroles affligeantes pour l'humanité et la civilisation, furent alors prononcées :

« Le droit des gens ne peut être invoqué par une Puissance << avec laquelle on est en guerre; or, les émigrés sont coupables « de lèse-nation, que la loi condamne, qu'elle doit punir de quelque « manière qu'ils tombent entre ses mains.»

Cette sauvage maxime n'eut pas, pour l'honneur français, le résultat qu'elle tendait à amener; les naufragés de Calais continuèrent à rester au château de Ham.

Un arrêté des consuls leur rendit la liberté; cette mesure réparatrice et juste, mais tardive, fut basée sur le principe: « Qu'il est hors du droit des nations policées de profiter d'un nau«fruge pour livrer, même au juste courroux des lois, des mal<< heureux échappés aux flots. >>

§ 9.

Violation de la mer territoriale des États-Unis, par les Anglais.

Le vaisseau de guerre français l'Impétueux, de l'escadre du contre-amiral Willaumez, séparé par l'ouragan du 19 août 1806, sans mâts, sans gouvernail, sans canons, sans poudre sèche et presque sans vivres, était à la hauteur du Cap Henry, lorsqu'il aperçut deux vaisseaux anglais, une frégate et un brick; il chercha à faire côte plutôt que de se laisser prendre. Il était échoué avant que les bâtiments anglais fussent à la portée du canon. Mais quoique dans cet état, et sur le rivage même des ÉtatsUnis, la frégate anglaise vint le canonner et ne cessa son feu que lorsqu'il eût amené. Le commandant français representa vainement qu'il était sur territoire neutre. Les Anglais firent prisonnier l'équipage et mirent le feu au vaisseau. Par cette conduite la marine anglaise viola un principe généralement admis, celui du respect dû à la mer territoriale, et que son gouvernement

1) Ces lignes ont été écrites en 1849; nous n'avons point à parler des événements qui ont suivi l'acte habile et vigoureux, le coup d'État du 2 décembre 1851, qui a arrêté la France au moment où elle allait être précipitée dans le gouffre de l'anarchie. Un seul fait accompli depuis que le trône impérial a été relevé, appartient à notre ouvrage, c'est la proclamation collective de la France et de la GrandeBretagne, en 1854, concernant le pavillon et les prises. (Voir Livre I, titre III, § 10, ainsi que le chap. XXXVIII.)

CUSSY. II.

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