Page images
PDF
EPUB

4

cette assemblée, il est impossible de conceyoir quelle maxime assez essentielle de l'ordre social lui défend de déléguer les fonctions anté-judiciaires de la police de sûreté, aux officiers de la gendarmerie nationale, pour enchaîner sur ce point le libre exercice de son autorité suprême. La règle primitive de toute délégation des fonctions publiques est toujours de la faire pour le plus grand avantage de la société ; et notre devoir, dans les circonstances où se trouve le royaume, quand la nation est encore agitée par les secousses inévitables d'une grande révolution, est de déléguer le pouvoir de la police de manière à lui assurer, dès le premier instant, une exécution sûre et énergique.

4

Le besoin de la police est de tous les lieux et de tous les instans: il est donc nécessaire que les dépositaires de ce genre de pouvoir soient disséminés dans toutes les subdivisions des districts, afin qu'ils soient aisément accessibles à tous les citoyens, et qu'ils puissent aussi se transporter promptement partout. Ces motifs vous ont déterminés, suivant notre projet, à confier les fonctions de la police aux juges de paix; mais nous ne pouvons pas vous laisser ignorer que la résolution de vos deux comités, sur ce premier

point, est essentiellement liée à cette autre proposition, que les capitaines et les lieutenans de la gendarmerie nationale soient chargés concurremment d'une partie de ces mêmes fonctions. La nécessité de cette concurrence est telle que, si elle n'avoit pas lieu, la police n'existeroit dans ce royaume que de nom seulement et sans véritable efficacité.

Les juges de paix seront propres à remplir les fonctions communes et ordinaires de la

police de sûreté, qui n'exigent en général qu'un jugement sain, et l'amour de l'ordre, naturel aux bons habitans des campagnes.

s y seront très-propres, sur-tout lorsqu'ils se seront instruits, lorsque les citoyens plus éclairés sur l'importance de ces officiers auront senti l'intérêt de les bien choisir, lorsqu'enfin les campagnes, mieux peuplées, présenteront plus de latitude aux bons choix. Dans le moment actuel, il ne faut ni s'étonner ni se décourager du produit des premières élections; mais on voudroit en vain se dissimuler qu'il n'offre pas par-tout des sujets propres à satisfaire, d'une manière suffisante, au pressant besoin d'une police éclairée active et courageuse : il est donc indispensable, dans ces premiers instans, d'établir

une concurrence avec les juges de paix pour les fonctions de la police. Elle sera même nécessaire dans tous les temps pour assurer l'impartialité et l'activité de ce service, qui ne seroient pas assez garanties à la société par un seul fonctionnaire en chaque canton.

L'assemblée a dû connoître qu'on ne lui a fait, pour l'exercice de cette concurrence, aucune proposition qui ne fût ou moins convenable, ou même plus dangereuse que celle des officiers de la gendarmerie nationale.

Quelques opinans ont proposé un des juges du tribunal de district; mais cette concurrence seroit illusoire, parce qu'un concurrent unique pour tout le district, placé rarement au centre, et le plus souvent vers une des. extrémités, seroit trop éloigné de la plus grande partie du territoire. Soit qu'il fallût aller le trouver et lui mener les témoins, soit qu'il fût obligé de se transporter pour constater les traces du délit, il y auroit dans les deux hypothèses trop d'incommodités et de lenteurs pour que le service pût être fait toujours avec exactitude. On retomberoit d'ailleurs dans cet inconvénient très-grave,

que l'un des juges du tribunal de district ordonnant l'arrestation, lorsqu'un autre juge du même tribunal doit, en qualité de directeur

du juré, examiner si elle a été justement ordonnée, la liberté des prévenus se trouveroit exposée aux dangers de la partialité, de la prévention et des complaisances de la confraternité. On perdroit ainsi un des grands avantages de la division de la police et de la justice; on ruineroit le premier résultat de. cette combinaison si précieuse à la sûreté individuelle, qui fait que, si un fonctionnaire public a le droit d'arrêter provisoirement, un autre doit reviser sans délai les motifs de l'arrestation, lorsque d'autres jugeront ensuite s'il y a lieu à l'accusation, d'autres encore s'il y a conviction sur le fait, et d'autres enfin appliqueront la peine.

La concurrence de l'accusateur public seroit de toutes la plus inconstitutionnelle. Celui qui accuse est la partie poursuivante; tous les principes et toutes les convenances seroient blessés, s'il avoit le droit de donner l'authenticité aux preuves, et de décerner les mandats d'arrêt. Ajoutons qu'on ne pourroit pas, sans renverser dans un de ses points essentiels le projet de vos comités, instituer plus d'un accusateur public par département.

Il ne resteroit donc plus que le parti de donner la concurrence des fonctions de la police de sûreté aux maires des villages, ou

aux procureurs des communes. Comment ceux qui vous l'ont proposé, n'ont-ils pas apperçu que toutes les raisons qui rendent le service des juges de paix insuffisant, sont communes, à plus forte raison, aux maires et aux procureurs des municipalités villageoises? Comment n'ont-ils pas vu que diviser ainsi l'action de la police entre autant de petits fonctionnaires qu'il a de villages, c'étoit l'énerver, et exposer son autorité à être journellement provoquée, ou, ce qui seroit pis encore, prostituée et avilie pour des rixes de voisinage et des altercations de la moindre importance? Le dépôt de la police de sûreté dans les mêmes. mains auxquelles la simple police municipale ́est remise, n'introduiroit-elle pas une confusion fâcheuse de deux institutions si essentiellement différentes?

Hâtons-nous, messieurs, de reconnoître unanimement que la concurrence des fonctions de la police de sûreté ne peut être utilement déléguée qu'aux officiers de la gendarmerie "nationale.

La concurrence est nécessaire pour remédier à la partialité du juge de paix, toutes les fois qu'il sera ou l'ennemi de celui qui veut se plaindre, ou le parent, ou l'allié, on l'ami du prévenu. Ces liaisons sont fréquentes dans les

« PreviousContinue »