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en moins de trois jours il ne resta pas un feul foldat dans la Ville. Ces lâches firent encore plus que d'abandonner leur Gouverneur. A mesure qu'ils rencontroient quelque corps de Chinois qui accouroit à la défense de Koueilin, ils ne manquoient pas de lui faire entendre que cette bonne volonté étoit deformais inutile; que le Viceroi avec fon grand zéle n'étoit au fond qu'un homme entêté de l'opinion de fon mérite, & déterminé à périr; qu'avant leur arrivée à la vue de la Place, elle feroit prife, ou tout au moins inveftie par une prodigieufe armée de Mancheoux. De pareils difcours firent une telle impreffion fur ceux à qui on les débita, qu'aucun de ces fecours n'ofa aller plus avant; ils prirent tous une route oppofée, & la Ville de Koueilin continua d'être comme elle étoit, entièrement dégarnie de troupes.

Dans cette extrémité les habitans repréfentèrent au Viceroi Thomas, qu'ils n'étoient pas en

état de réfifter eux feuls à l'armée ennemie, au rifque évident de voir leur Ville ruinée de fond en comble par les Tartares. Le fage Mandarin ne prétendoit pas non plus exiger de ces Bourgeois un effort généreux à la vérité, mais qui après tout n'eût abouti à rien dans la circonftance présente; auffi n'y eut-il à cet égard aucune conteftation entr'eux & lui. Il n'en fut pas de même lorfqu'ils voulurent lui perfuader de fortir de la Place, pour mettre fa perfonne en fûreté. Tout ce qu'on put lui dire à ce fujet fut inutile. Il voulut demeurer dans la Place pour y maintenir le bon ordre, & ne pas concourir par fon exemple à augmenter le nombre des traîtres. Mais, lui difoient ces bonnes gens les larmes aux yeux, déterminé que vous êtes à ne pas reconnoître l'Empereur Mancheou, fes Généraux infailliblement vous feront mourir. Votre inviolable attachement au Prince de Kouei, fa proclamation qui fut votre ouvrage, & vos victoires fur les

armées de nos Conquérans ne vous promettent pas un traitement plus doux. A la bonne heure, répondoit gravement le Mandarin; j'aurai fait mon devoir, & je mourrai content. Hé ferois-je digne de vivre, fi un trait de lâcheté prolongeoit mes jours?

Chantonchang, un des plus intimes amis du Viceroi, commandoit à quelques lieuës de Koueilin un petit corps de troupes qu'il lui fut impoffible d'amener au fecours de cette Place. Mais ayant appris ce qui s'y paffoit, & la réfolution où étoit fon ami de refter dans la Ville, il lui écrivit lettres fur lettres pour le détourner de ce deffein. Ces lettres furent fans effet; Thomas y répondit comme il l'avoit fait aux Bourgeois, qu'il ne pouvoit abandonner fon pofte, fans fe rendre coupable de trahifon. Chantonchang voulut faire un dernier effort fur cet homme intrépidé; il vint lui-même à Koueilin, pour l'arracher comme de force au péril où il le voyoit :

mais il ne gagna rien. Le Viceroi lui expofa même fes raifons d'une manière fi touchante, que ce généreux ami fe détermina à refter avec lui; puifqu'auffi bien, une fois que Koueilin feroit pris, fa troupe ne manqueroit pas de décamper, pour fe mettre à couvert des partis Mancheoux.

Leur armée parut bientôt à la vue de la Place; elle en trouva les portes ouvertes, & y entra comme dans une Ville entièrement fou

Le Viceroi

Tho

mas &

fon ami

Chan

voir des

mife. La première chofe que fit tonle Général des Troupes Tartares, tombet chang (c'étoit Kongionte, Prince de au pou Tingnanouang) fut d'appeller en fa préfence le Viceroi Thomas & cheoux. Chantonchang. Lequel de vous deux, dit-il en les accueillant avec politeffe, eft le principal Miniftre du Prince de Kotei ? C'eft moi; répond Thomas. Ayant eu le malheur de perdre une Ville auffi importante que l'eft Koueilin, je n'ai plus rien qui m'attache à la vie ; & je m'attends fans peine à mourir bientôt. A mou rir bientôt ! repart le Prince. He

ce de

gnan

pour qui donc nous prenez-vous ? Vains Sommes-nous des barbares ou des briefforts duPrin- gands? Les hommes de votre mérite ne doivent s'attendre qu'à de nouTin- veaux honneurs de la part des fages ouang Mancheoux. Voyez le rang où ils pouren- m'ont élevé, & la confiance qu'ils gager le Viceroi ont en moi ; fuivez mon exemple, en vous donnant à eux de bonne ami à fe foumet. grace; auffi-bien votre Prince Ming ne peut se foutenir plus long-temps; cheoux. & il vous abandonne le premier.

& fon

tre aux

Man

Chantonchang d'un naturel vif & fenfible ne put entendre ce langage de Kongionté, fans éclater auffi-tôt en militaire indigné. Quel deshonneur, s'écria-t-il, pour la mémoire du grand Confucius! Un homme de fon fang exhorte les Chinois à quitter leur légitime Souverain, pour fe livrer à des étrangers: la dépravation des mœurs peut aller plus loin? Non, c'en eft ici le comble. Certainement l'apostrophe étoit déplacée: auffi mit-elle un peu en defordre la gravité philofophique du Prince de Tingnanouang. A T'heure même il fit apporter des

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