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sent les jeunes filles suivant leur conduite, la meilleure discipline se trouve constamment maintenue. Le sentiment de l'honneur renaît peu à peu et on cite des jeunes filles que l'ambition du concours agricole auquel la ferme se prépare pour 1883, a transformées. A Nevers, l'une d'elles ne voulait accepter aucun travail; à Darnetal elle est citée comme la plus laborieuse.

Ce succès a une importance d'autant plus grande qu'en ce moment la maison de Darnetal poursuit une demande en reconnaissance qui est pendante au Conseil d'État. Il n'est pas douteux que de tels résultats ne contribuent à hâter une solution que toutes les autorités locales souhaitent avec une égale ardeur.

M. LE PRÉSIDENT.

Messieurs, nous ouvrons ce soir la 7o session de nos travaux. Ce chiffre a sa signification, je dirais presque son éloquence. Il démontre, au même titre que la prospérité de notre Bulletin aujourd'hui si apprécié et si répandu à l'étranger comme en France, combien était juste la pensée qui a présidé à la création de notre Société et de quel secours elle devait être pour les idées qui nous sont chères.

Les circonstances au milieu desquelles nous reprenons cette année nos travaux, en sont une preuve nouvelle. Lorsqu'il y a sept ans, nous nous réunissions pour la première fois, notre but principal était de secouer l'indifférence publique, devenue. si profonde sur l'objet cependant si grave de l'urgence d'une réforme de notre système pénal et pénitentiaire. Il n'y a pas de question, disions-nous, qui intéresse à un plus haut degré l'ordre public, la sécurité des citoyens, la paix sociale; il n'y en a pas qui tienne moins de place dans les préoccupations publiques, et nous gémissions de voir ce que cet état des esprits apportait d'entraves au mouvement de réforme jugé si urgent par les esprits éclairés.

Les circonstances sont, à l'heure qu'il est, bien changées. La société se réveille enfin de sa longue apathie. Un cri d'alarme retentissant a été jeté, il a trouvé de nombreux échos. De toutes parts, on s'occupe, on s'inquiète du danger que fait courir à la sûreté publique, le flot toujours montant de la récidive. Des hommes d'État considérables, le gouvernement lui-même s'émeuvent à leur tour, la presse leur apporte son actif concours et de tous côtés surgissent des projets destinés à conjurer le mal. On voudrait que les mesures propres à y remédier pussent. être discutées et votées sur l'heure et aucun sacrifice d'argent ne semble trop lourd pour les mettre à exécution sans délai.

Il ne m'appartient pas de rechercher, dans cette brève allocution, si ce mouvement d'opinions n'a pas, dans son revirement soudain, un peu dépassé les limites d'une saine et froide appréciation de la réalité des choses, si les solutions proposées se sont suffisamment inspirées des vrais principes de la science pénitentiaire et si elles ne portent pas quelques marques de la précipitation un peu trop hâtive avec lesquelles elles ont été préparées. L'examen attentif et éclairé des pouvoirs publics aura sans doute raison de ces défauts inhérents aux œuvres aussi rapidement conçues.

Je veux seulement prendre acte aujourd'hui de la part assurément importante que la Société générale des Prisons a prise, par la publication de ses travaux, à ce réveil salutaire de l'opinion, et me féliciter avec vous de la vaste carrière qu'il ouvre à nos études.

Ce n'est, en fait, que sur les moyens de combattre la récidive que portent les propositions soumises au parlement. Mais il ne peut vous échapper que, dans ce cadre en apparence restreint, rentre l'ensemble presque entier des questions pénitentiaires. Comment séparer, en effet, dans l'examen de ce vaste problème dans lequel doivent se condenser toutes les préoccupations du législateur, les moyens propres à prévenir la récidive de ceux par lesquels il convient de la réprimer?

N'est-il pas évident pour tous ceux qui ont réfléchià ces graves questions, que si la récidive est souvent uniquement imputable à la perversité des coupables, elle se complique fréquemment aussi des causes multiples qui naissent de l'insuffisance de nos institutions préventives? Le nombre des récidivistes ne se trouverait-il pas, par exemple, considérablement diminué, si l'assistance de l'enfance abandonnée était plus complètement organisée, si le libéré animé du désir de se bien conduire trouvait toujours au sortir de la prison une main secourable pour lui procurer du travail? Donc, meilleure organisation de l'assistance, puis de l'éducation correctionnelle de l'enfance pour corriger dès le premier âge les penchants inconscients vers le mal, développement du patronage pour soutenir l'homme déjà tombé dans l'effort personnel vers le bien. La libération préparatoire qui offre, dès la prison, la récompense de la liberté à la bonne conduite, et retient ensuite par la crainte de la réintégration, et la réhabilitation qui réveille le sentiment de l'honneur dans le

cœur encore susceptible de le comprendre, ne doivent-elles pas être également comptées parmi les moyens préventifs?

Disons en passant qu'il n'est pas une de ces questions qui n'ait pas été discutée dans nos précédentes sessions.

Que d'améliorations n'y aurait-il pas à faire en ce sens et quels fruits ne serait-on pas en droit d'en attendre au point de vue de la diminution de la récidive?

Et si l'on veut, pour limiter les études, s'abstraire dans l'examen isolé des moyens répressifs, quelle vaste carrière encore aux délibérations! Tous les problèmes que soulèvent les questions si complexes de l'adaptation de la peine au délit, de să gradation, de sa duréc, de son efficacité, celles de la mesure des droits de la société sur l'individu, puis l'étude des tentatives faites dans les législations étrangères, l'histoire des procédés divers de transportation, de leur influence à la fois sur la criminalité et sur la colonisation.

Le champ est immense. J'ajouterai qu'il ne pouvait s'ouvrir dans un moment plus favorable. Ces dernières années ont, en effet. réuni les éléments d'étude les plus considérables et les plus abondants sur ces matières. Aux travaux publiés sur les délibérations des derniers Congrès pénitentiaires de Londres, de Stockholm, viennent se joindre ceux plus nombreux encore et plus variés que les revues spéciales, récemment fondées dans divers pays, ont empruntés à l'initiative privée. Enfin la statistique généralisée par les soins de la Commission internationale formée à la suite de ces Congrès nous apporte les plus précieux documents, et vous me trouveriez assurément incomplet si je ne citais, au premier rang de ces utiles productions, le rapport si considérable, si complet, déjà si apprécié des criminalistes qui vient de résumer en tête de notre dernier compte rendu de la justice criminelle, dans le style le plus clair et le plus attachant, le mouvement de la criminalité et des institutions criminelles en France, de 1826 à 1880. Je suis heureux que la présence de l'éminent M. Yvernès au milieu de nous, me permette de lui adresser ce public hommage au nom de la Société. (Applaudissements.)

En présence de ces faits nouveaux, nos délibérations vont prendre un nouveau caractère. Il ne s'agit plus, à l'heure actuelle, d'études spéculatives sur des conceptions en quelque sorte idéales; nous allons entrer dans le vif de la réalité. En mettant à notre ordre du jour l'examen des nouveaux projets de

lois sur les récidivistes, votre Conseil de direction vous convie à entrer dans la discussion pratique de propositions d'un intérêt immédiat et actuel, sur la solution desquelles votre compétence peut exercer une légitime part d'influence.

Notre tâche va ainsi s'accroître et s'élever. Il nous appartiendra d'apporter aux débats qui vont s'ouvrir le tribut des connaissances spéciales et de l'expérience acquise, de dire ce que les nouveautés émises ont de conforme aux principes, de signaler les points sur lesquels elles peuvent s'en éloigner, de nous montrer, en un mot, gardiens vigilants de la science, sans toutefois nous refuser aux sages idées de progrès. J'ose espérer que l'importance de ce devoir sera comprise de chacun des membres de la Société, qu'elle nous assurera le concours assidu de tous et qu'à ces conditions, notre session sera à la fois intéressante et féconde. (Applaudissements.)

L'ordre du jour appelle le rapport de la deuxième Section sur la question de la récidive. La parole est à M. Fernand Desportes. M. FERNAND DESPORTES, avocat à la Cour de Paris. Messieurs, votre deuxième Section m'a fait l'honneur de me charger de vous présenter le Rapport suivant :

LA RÉCIDIVE

Examen du projet de la loi sur la relégation des récidivistes

Présenté par le gouvernement.

I

LA LUTTE CONTRE LA RÉCIDIVE

Danger de la récidive. Le but de la science pénitentiaire est de la réduire à ses moindres proportions. Précédentes études de la Société générale des Prisons. Projet de loi préparé par le Conseil supérieur des Prisons en 1878. Nouveau projet présenté par le gouvernement.

La science pénitentiaire a pour objet de sauver les misérables qui se perdent, soit qu'elle les retienne sur la pente du crime, soit qu'elle cherche à les relever après leur chute, et de mettre la société à l'abri de leurs atteintes en les empêchant eux-mêmes de nuire ou de répandre autour d'eux la funeste

contagion du vice. Elle protège, en un mot, la société contre les criminels et les criminels contre eux-mêmes. Dire à des hommes tels que vous qui consacrez à cette science vos méditations et vos labeurs, que le nombre des crimes augmente, ou, tout au moins, demeure stationnaire au chiffre élevé qu'il a atteint; que le châtiment, loin d'intimider et de corriger les criminels, les attire et les pervertit; dire que ceux-ci sortent de prison plus menaçants et plus dangereux qu'ils n'y sont entrés et que, cinquante fois sur cent, au minimum, ils n'en sortent que pour commettre de nouveaux forfaits, le plus souvent dans l'année même de leur libération, c'est jeter parmi vous un cri d'alarme, c'est vous mettre en demeure de redoubler d'efforts pour chercher, pour indiquer le remède que demande un tel état de choses.

La récidive est votre ennemie, mais c'est une ennemie qui peut être vaincue. Cette persistance du criminel dans le mal, après sa libération, démontre moins la perversité de sa nature, que l'insuffisance, l'inutilité, le danger même du châtiment qu'il a subi. S'il en est ainsi, il est possible de réagir contre ce mal social, incurable en apparence; il est possible, sinon de le faire disparaître, du moins de le réduire à ses moindres proportions.

C'est votre conviction, depuis le jour où vous vous êtes réunis. Vous n'avez pas oublié que l'une de vos premières séances générales a été consacrée à la lecture d'un travail plein de vues originales et neuves sur les moyens de combattre, ou plutôt de prévenir la récidive (1). Ce travail était l'œuvre d'un de nos collègues étrangers que nous avons eu, cet été, la douleur de perdre. Vous me permettrez de saluer, au début de cette discussion, la mémoire de M. le comte Sollohub.

Le rapport du comte Sollohub fut suivi d'une enquête auprès de nos correspondants étrangers, enquête dont les résultats ont été consignés dans notre Bulletin (2); et d'une première discussion qui nous a permis de recueillir, dans cette enceinte, les échos de celle qui avait eu lieu, quelques mois auparavant, au sein du Conseil supérieur des Prisons (3).

En effet, le Conseil supérieur, héritier direct de la Commission pénitentiaire de l'Assemblée nationale, s'était, en vertu de

(1) Bulletin de la Société générale des Prisons, t. I, p. 44.

(2) Idem, t. II, p. 253 et s., 362 et s., 573 et s.

(3) Idem, t. II, p. 244 et s., 342 et s.

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