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faire dans sa province des fanfaronnades de guerre civile. C'est là une démarche qu'il serait facile de qualifier : quant à moi, j'estime plus Maury, Despréménil et autres qui n'ont pas craint de défendre jusqu'à la fin une cause désespérée, que ces hommes à prétendus principes, à idées semi-libérales, ces monarchiens, qui se sont dépités, comme des enfants en voyant se fondre leurs bulles de savon, et ont cru frapper l'assemblée d'un coup mortel en la privant de leurs personnes.

La motion la plus remarquable de Mounier fut celle relative au nom que prendrait l'assemblée en se constituant (1): bien qu'elle ait été vivement appuyée, je l'ai toujours regardée comme une proposition ridicule, et propre à laisser subsister cet état d'incertitude dont nous vou lions nous tirer. A plus forte raison, pouvait-on lui faire le reproche que Mirabeau adressait à la motion de Sieyes, d'être insignifiante, puisque la réunion des ordres exigerait son changement.

(1) Mounier avait proposé à ses collègues de se constituer en assemblée légitime des représentants de la majeure partie de la nation, agissant en l'absence de la mineure partie. (Note de l'éditeur.)

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Mirabeau! voilà l'homme éloquent et fort de nos premiers jours de représentation populaire voilà l'assemblée constituante incarnée. L'ascendant merveilleux qu'il a pris sur nos délibérations n'étonnera pas ceux qui l'ont vu à la tribune. Il fallait, j'en conviens, une grande fermeté d'ame, un sang-froid à toute épreuve pour résister à l'entraînement de sa parole. Dès nos premiers débats, il prit sa place et cette place fut la première. Je crois encore l'entendre nous jeter du haut de la tribune ces hautes et retentissantes paroles (1): « Oui, c'est parce que le nom du peuple n'est pas assez respecté en France, parce qu'il est obscurci, couvert de la rouille du préjugé; parce qu'il nous présente une idée dont l'orgueil s'alarme et dont la vanité se révolte; parce qu'il est prononcé avec mépris dans les chambres des aristocrates; c'est pour cela même que nous devons nous imposer non seulement de le relever, mais de l'ennoblir, de le rendre désormais respectable

(1) Mirabeau avait proposé à l'assemblée de se constituer` sous le nom de représentants du peuple français. (Note de l'éditeur.)

aux ministres, et cher à tous les coeurs. » Je me serais volontiers rangé à l'opinion de Mirabeau dans cette discussion mémorable, mais l'assemblée n'était point encore mûre pour ces hautes vérités; à la veille de faire la conquête des choses, elle s'effarouchait encore des mots. Elle ne voulait pas être peuple, quand il fallait s'en faire gloire.

Ces débuts brillants de Mirabeau m'attacherent à son talent il me sembla voir en lui l'homme appelé à réaliser toutes les espérances des bons citoyens. Attaqué par lui dans plus d'une circonstance, j'ai négligé, oublié ce que ses vives agressions pouvaient avoir de pénible pour mon amour-propre, mais j'ai gémi sur des erreurs qu'il ne m'était pas permis de croire involontaires. Avec un génie si puissant, quand il tenait dans ses mains les destinées de sa patrie, renoncer vivant à ce beau rôle, et peutêtre se vendre pour un peu d'or!.... Non, quel que soit le prestige qui entoure le génie, la vertu seule est adorable.... J'ai admiré Mirabeau comme un des plus beaux ouvrages de la création; quand il parlait, j'étais suspendu à ses lè

vres; aujourd'hui il repose au Panthéon : j'ai contribué moi-même à ce grand acte de la reconnaissance nationale ; mais pour sa gloire, je voudrais lui conserver moins d'admiration et plus d'estime.

La discussion mémorable que je viens de rappeler avait été soulevée par un homme qui arrivait à l'assemblée avec une réputation immense. L'abbé Sieyes avait pris rang parmi nos publicistes les plus distingués, par sa brochure Qu'est-ce que le tiers-état? Ses paroles étaient attendues comme des oracles, et comme les oracles, il n'en a pas été prodigue. Mirabeau, qui maniait le sarcarme avec une supériorité qu'on n'a jamais approchée, porta un coup mortel à Sieyes en disant de lui: le silence de Sieyes est une calamité publique. C'était dire, et il ne s'en cachait pas Je lui ferai une réputation qu'il ne pourra supporter. En effet, Sieyes, prenant au sérieux l'ironie de Mirabeau, s'est avisé de sortir de sa taciturnité pour imposer ses idées à l'assemblée, tantôt en défendant les abus du clergé, tantôt en présentant comme modèle une profession de foi qu'on ne lui demandait pas; il

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s'est perdu dans l'esprit du peuple. Tout ce qui restera de lui comme législateur, ce sera peut-être sa motion de nous constituer, et sa fameuse phrase, qui du reste était dans tous nos cœurs: Nous sommes aujourd'hui ce que nous étions hier, délibérons (1).

L'assemblée était définitivement constituée : une délibération prise par le clergé avait enfin décidé en notre faveur la question de la vérification des pouvoirs en commun. L'aristocratie était aux abois. La chambre de la noblesse n'opposait que des bravades à notre conduite ferme et mesurée ses membres, en vrais chevaliers croisés, ne délibéraient plus que la main sur l'épée pour contenir les dissidents. La cour était dans une anxiété mortelle. Le parti qui avait juré haine et guerre à notre régénération s'agitait dans l'ombre et menaçait d'un dernier effort. On le tenta, et la séance du jeu de paume vint mettre au jour la faiblesse des partisans du privilége, et la puissance dont le peuple avait revêtu ses mandataires.

(1) Mot de Sieyes à la suite de la séance royale du 25 juin. (Note de l'éditeur.)

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