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Intion, elle doit lui être refusée, à moins qu'il n'ait réparé le dommage, et on lui imposera pour pénitence de servir un an contre les Turcs en Palestine, ou contre les Maures en Espagne. Si un archevêque ou un évêque se relâche sur quelqu'un de ces articles, il payera le dommage fait par l'incendiaire, et de plus, il demeurera un an interdit de ses fonctions.

V. Après le concile de Reims, Innocent demanda au roi de France son agrément pour fixer son séjour à Auxerre, en attendant que le roi Lothaire d'Allemagne fût en état de le rétablir sur son siége. Le roi y consentit avec empressement, et les évêques, ainsi que les abbés de France, se firent un devoir de fournir libéralement à l'entretien du Pape et de la cour romaine pendant cette espèce d'exil. Innocent fut reçu dans toutes les villes où il passa avec de grandes démonstrations de joie et de respect. A Noyon, cependant, il eut à essuyer quelques insultes. Un immense incendie, qui consuma, peu de temps après, presque toute cette ville, fut regardé comme une vengeance une vengeance que Dieu tirait de ces outrages.

L'attention du Pontife fut bientôt appelée sur l'Aquitaine, où Gérard d'Angoulême fomentait le schisme. Innocent députa Joscelin, évêque de Soissons, et saint Bernard de Clairvaux, vers Guillaume IX, duc d'Aquitaine et comte de Poitiers, pour détacher ce prince du parti de l'antipape. Guillaume parut respecter la sainteté de Bernard et se rendre à son autorité. Mais, après le départ, des légats, influencé par Gérard d'Angoulême, il retomba dans le schisme. La lettre éloquente que lui écrivit saint, Bernard à ce sujet ne put triompher de l'opiniâtreté du duc. L'abbé de Clairvaux eut plus de succès, comme nous l'avons déjà fait remarquer, auprès d'Hildebert, évêque du Mans (puis archevêque de Tours), qui paraissait sus pendre son jugement, et délibérer encore sur le parti qu'il devait prendre. Quant aux évêques, ils donnèrent un bel exemple de fermeté, et payèrent de l'exil, ainsi que les principaux d'entre leurs clercs, leur attachement au Pontife légitime.

Avant de quitter la France, Innocent voulut visiter l'abbaye de Clairvaux, où il fut édifié de la piété et de la vie angélique des religieux; puis il reprit le chemin de l'Italie. C'est dans la ville d'Astie qu'il célébra la fête de Pâques de l'année 1132. De là, il se rendit à Plaisance, où il tint un concile avec les évêques et les autres prélats de Lombardie, de la province de Ravenne et de la marche d'Ancône. Il attendait Lothaire pour marcher sur Rome; mais l'empereur d'Allemagne était arrêté par de graves

affaires.

VI. Cependant l'arrivée soudaine du Pape fit une profonde sensation. Grâce à l'intervention de saint Bernard qu'il emmenait avec lui, une paix définitive fut conclue

(192) Muratori, Annali d'Italia, ann. 1132. (195) L'Acte porte la date du 8 juin 1133.

entre les Pisans et les Génois. Roger, qui avait obtenu de l'antipape le titre de roi des Deux-Siciles, voit ses sujets renoncer, malgré lui, à l'obédience d'Anaclet, dont le gouverneur est en même temps chassé par les habitants de Bénévent (192) .

Sur ces entrefaites arrive Lothaire ; mais à la tête de deux mille chevaliers à peine. A Noël de l'année 1132, il se trouvait à Méduine, dans la marche trévisane; et, bientôt après, il tenait à Roncaglia une assemblée générale de la Lombardie, à laquelle assistait le Pape, relativement à l'état de l'Eglise et de l'empire. Au printemps de l'année suivante, le Pontife et l'empereur convinrent, dans une conférence tenue à Pise, de marcher incessamment sur Rome. Cette résolution fut mise à exécution dès le 1" mai 1133. Innocent logea au palais de Latran, et Lothaire campa sur le niout Aventin. Cependant les Pisans et les Génois arrivèrent avec une armée navale, et soumirent Civita-Vecchia ainsi que toute la côte. Saint Bernard, qui était avec le Pape, écrivit alors au roi d'Angleterre, pour l'exciter, par un exposé fidèle de l'état des choses, à secourir le Pontife légitime qu'il avait reconnu.

Le 4 juin, Lothaire fut couronné par Innocent, ainsi que la reine Richilde, son épouse. La cérémonie eut lieu dans l'église de Saint-Sauveur à Latran, et non dans celle de Latran, dont l'anti-pape Anaclet était encore maître. Avant le couronnement, Lothaire jura fidélité et obéissance au Pape, qui lui accorda, moyennant un cens annuel de cent marcs d'argent, l'usufruit des domaines de la comtesse Matbilde, à lui, à sa fille et à son gendre, Henri, duc de Bavière (193).

Peu de temps après son couronnement, Lothaire revint en Allemagne, et Innocent, no se croyant pas en sûreté à Rome, se retira dans la ville de Pise, où il convoqua un concile général pour le commencement de l'année 1134. L'ouverture en fut retardée par la mauvaise volonté de Louis le Gros, qui, gratuitement faché contre Innocent, empêchait les évêques de son royaume de se rendre à son appel. C'est à cette occasion que l'illustre saint Bernard écrivit une lettre de remontrance au roi de France (194); avertissement qui eut heureusement son effet. Car ce concile put s'ouvrir le 30 mai 1134, sous la présidence du Souverain Pontife. Là fut de nouveau excommunié Pierre de Léon, avec ses partisans. La déposition fut prononcée contre Alexandre, usurpateur de l'évêché de Liége, ainsi que contre Anselme V, archevêque de Milan, déjà précédemment excommunié pour son attachement au schisme, et que les Milanais avaient chassé l'année précédente pour reconnaître le Pape légitime.

VII. L'Eglise de Milan rentre bientôt dans le sein de l'unité catholique; et Innocent, puissamment secondé par le zèle et l'ascendant que saint Bernard exerce partout, cou

(194) S. Bernard, epist. 255,

tinue, à réconcilier entre eux les peuples d'Italie, et fait cesser les guerres particulières qui compromettaient la sûreté publique. Bien plus, le seul partisan du schisme en France, Guillaume d'Aquitaine, abandonne enfin le parti de l'anti-pape, qui se voit réduit au seul appui de Roger, comte de Sicile. L'empereur, et surtout saint Bernard, qui reparaissent en Italie en 1135, achèvent de porter les derniers coups au parti de Pierre de Léon. Voy. l'article BERNARD (saint), n XV. - Dieu frappe ce faux pasteur d'une mort presque subite, au commencement de l'année 1138.

Les cardinaux de son obédience, de concert avec ses parents et Roger de Sicile, élurent, peu de temps après, Grégoire, prêtre-cardinal, qu'ils nommèrent Victor. Toutefois, ils ne le firent pas tant dans l'intention de perpétuer le schisme que de gagner du temps, afin de se réconcilier plus avantageusement avec le Pontife légitime. Et en effet, le 29 mai 1138, tous les schismatiques, même les frères de Pierre de Léon, vinrent se jeter aux pieds d'Innocent. Roger de Sicile fut le seul qui s'abstint: nous allons bientôt revoir ce perfide Normand.

Après cette pacification complète, le pape reprit dans Rome l'autorité tout entière. On venait le visiter de tous côtés, les ans par alfaires, les autres pour Jui adresser des félicitations. On faisait dans les églises, des processions solenuelles; le peuple, avant quitté les armes, accourait pour entendre la parole de Dieu : la sûreté et l'abondance se rétablissaient. Avec le temps, le Pape rétablit le service des églises et en répara les ruines, rappela les exilés et repeupla les colonies désertes, Enfin, pour extirper plus efficacement les désordres introduits par le schisme, il convoqua un concile à Rome, qui fut le deuxième de Latran, et le dixième œcuménique (195), -Voy, l'article LATRAN (X Concile général tenu à Saint-Jean-de-Latran à Rome, en 1139.)

VII. Le concile avait à peine terminé ses travaux que mourut Rainulfe, duc d'Apulie, le plus ferme soutien des Catholiques dans cette contrée. Aussitôt Roger envahit l'Apulie. Le Pape, à cette nouvelle, sort de Rome avec toutes les troupes qu'il peut réunir, et s'avance jusqu'à San-Gerusano, au pied du Mont-Cassin. On envoya des députés de part et d autre pour négocier la paix. Mais pendant les négociations, le fils du roi, à la tête de mille chevaux, surprit le Pape et l'amena prisonnier à son père (10 juillet 1125) On pouvait craindre de grands malheurs pour l'Eglise ; mais Roger, Toin de faire aucun mal à son auguste captif, envoya lui demander la paix dans les termes les plus soumis. Les principales conditions de la réconciliation furent que le Pontife accorderait à Roger le royaume de Sicile, à l'un de ses fils le duché (195) Labbe, tom. X; Mausi, tom. XXI, p. 256 et 258 (196) Monnaie d'or.

de Pouille, et à l'autre la principauté de Capoue. Ces points une fois arrêtés, le roi et ses fils vinrent se jeter aux pieds du Pape, lui demandèrent pardon, et ini jure rent délité à lui et à ses successeurs. Innocent donna aussitôt à Roger l'investi. ture du royaume par l'étendard. C'est ainsi que le rusé Normand se fit confirmer le titre de roi qu'il avait reçu de l'anti-pape Anaclet, son beau-frère. Dans sa Bulle d'inves titure, Innocent ne fait pas mention de la concession de l'antipape, mais seulement des services rendus à Eglise par Robert Guis: card, aïeul du nouveau roi, ainsi que par son père; et du titre de duc accordé à luimême par le Pape Honorius. « C'est pourquoi, dit-il, nous vous confirmous le royaude Sicile, avec le duché de Pouille et la principauté de Capcue, à vous et à vos successeurs, qui nous feront hommage-lige, à la charge d'un cens annuel de 600 schifates (196). »il importe de remarquer à quelles conditions le royaume des Deux-Siciles, demandé au Pape, fut accordé par lui.

IX. Innocent vint ensuite à Bénevent, où il fut reçu comme si c'eût été saint Pierre en personne. Il en chassa pour la seconde fois l'archevêque intrus Rossiman, sacré par l'antipap. Le second jour de septembre, il retourna à Rome, où il était extrêmement désiré. Et comme les Romains l'exhoriaient à rompre la paix qu'il avait faite avec le roi Roger, il rejeta ce conseil absolument, et dit que ç'avait été la volonté de Dieu que sa prise fût l'occasion de cette paix. Aussi fut-elle approuvée de tout le monde.

Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, en félicita Roger, par ses lettres. Saint Bernard lui écrivit aussi, moins pour le féliciter que pour l'engager à rapporter à Diou seul la gloire de ses succès. Pierre avait déjà en Sicile un monastère de sa Congrégation; le roi Roger en demanda un à saint Bernard de la Congrégation de Citeaux: il souhaitait même l'y posséder en personne. Bernard lui envoya de ses religieux avec une lettre, où nous lisons: « Si vous me cherchez, me voici, et moi et les enfants que Dieu m'a donnés.... qui me séparera de ceux que je vous envoie? Je les suis, quelque part qu'ils ailleat; vinssent-ils à demeurer aux extrémités de la mer, ils n'y seront pas sans moi. Avec eux, prince, vous avez la lumière de mes yeux, vous avez mon cœur et mon âme. Qu'est-ce que cela y fait, sl y manque la portion la plus petite de 'nousmême ? je veux dire ce chétif corps, ce vil esclave que la nécessité retient, lors même que la volonté le sollicite. Il ne saurait suivre l'âme qui vole, infirme comme il est et n'attendant plus que le sépulcre (197). » Le roi de Siciler çut avec une munificence royale les chers enfants de saint Bernard, qui lui en témoigna sa reconnaissance par une nouvelle lettre (198).

Le pontificat laborieux d'Innocent II fu
(197) S. Bernard, epist. 207, 208.
(198) Ibid., epist 209.

consolé par l'apparition de grands et saints personnages, qui ornèrent l'Eglise de Dieu par leurs vertus et leurs talents. A leur tête brille l'illustre saint Bernard, le dernier des Pères de l'Eglise, duquel nous avons eu Souvent occasion de parler. Puis viennent en second ordre, Alger, de Liége; Rupert de Tuy; Hugues Métellus, de Toul; Hugues et Richard de Saint-Victor; saint Malachie, archevêque d'Armagh, etc.

Innocent, néanmoins, connut plus les traverses que les consolatious. La fougue de Louis VII troubla l'Eglise de Bourges, en voulant exclure du siége de cette ville le candidat canoniquement élu par le chapitre, pour y placer un courtisan nommé Carduque. Défenseur intrépide des libertés de Eglise, Innocent n'hésita pas à jeter, pour ce fait, l'interdit sur les domaines du roi.

C'est encore sous ce Pontife que s'éleva entre Louis VII et son vassal, le comte de Champagne, une sanglante querelle dont les suites furent si terribles, et cansèrent au roi de France un tel regret qu'il entreprit la seconde croisade pour expier ses torts trop réels. Innocent II ne vit pas cette réparation. Depuis longtemps il avait excommunié les Tiburtins, et tenait leur ville assiégée. Enfin il les contraignit à faire leur soumission et les traita avec douceur. Les Romains, se souvenant d'avoir été battus par eux l'année précédente, furent indignés de cette bienveillance à leur égard. Ils eussent voulu que le Pape abattit les murailles de Tibur, et contraignit tous les habitants à sortir de la province. Ils s'assemblèrent donc en tumulte au Capitole, rétablirent le sénat aboli depuis longtemps, et, méconnaissant l'autorité pontificale, recommencèrent la guerre contre les Tiburtins. Le Pape s'opposa autant qu'il put à cette sédition, employant les menaces et les présents; mais sa voix ne fut pas écoutée. Au milieu de ces efforts pour ramener le peuple, Innocent 11 tomba malade le 24 septembre de l'année 1143, et mourut après 13 ans et 7 mois de pontificat.

INNOCENT III, Pape. Le Pontife dont nous allons esquisser l'histoire, naquit dans la ville d'Anagni, vers l'an 1160 ou 1161. Sa famille était illustre et fort ancienne. I reçal à son baptême le nom de Lothaire ; mais nous savons peu de chose sur sa première

enfance.

1. Après avoir commencé ses études à Rome, il vint les continuer et les achever à l'Université de Paris, où la réputation des profe-seurs attirait la jeunesse de toutes les parties de l'Europe, et qu'on regardait avec raison comme la pépinière de toutes les célébrités intellectuelles.

Parmi tous les professeurs, Lothaire s'attacha particulièrement à Pierre de Corbeil, qui était aussi célèbre par ses connaissances en théologie que distingué par sa probité et la pureté de ses mœurs. Ce furent les leçons de ce maître qui eurent le plus d'influence sur la direction et le développement de l'es

prit de celui qui devait, plus tard, tant illustrer le Saint-Siége sous le nom d'Innocent III.

Lothaire se rappela toujours avec reconnaissance et bonheur son séjour en France et ce qu'il devait à l'Université de Paris, qu'il regarda constamment comme sa mère spirituelle. Aussi le voyons-nous, lorsqu'il est élevé sur la Chaire de saint Pierre, la prendre sous sa protection spéciale, lui accorder de nombreux priviléges, rendre plusieurs décrets tendant à augmenter sa prospérité, et lui recommander à elle-même la stricte observation de ses règlements. Quelques années avant sa mort, il envoya en France le cardinal Robert de Courçon en qualité de légal avec plein pouvoir de confirmer, en son nom, les droits de l'Ecole, et de la doter d'utiles institutions, dont il déclare l'inviolabilité, en vertu de son omnipolence pontificale.

Les études du jeune Lothaire à Paris embrassaient surtout l'Ecriture sainte, le mode d'explication usité à cette époque, et son application aux discours publics destinés au clergé et au peuple, le système doctrinal de l'Ecole avec ses profondes subtilités dont plusieurs étonnent plus par leur finesse qu'elles ne parlent au cœur; enfin la connaissance de tout ce qui, dans les siècles précédents, avait été écrit ou pensé par les hommes les plus éclairés sur le Christianisme, comme règle de conduite et de salut. Il ne négligea pas l'étude de la sagesse humaine. Il donna la préférence au livre De la Consolation de la philosophie, de Boèce, devenu le manuel d'un grand nombre d'hommes d'Etat et de savants du moyen âge (199). Il possédait également l'histoire ecclésiastique, ainsi que celle des empereurs sous le règne desquels le Cbristianisine, se propageant au milieu des persécutions, affermit son organisation intérieure, et se prépara aux grands événements dans lesquels il devait remplir un rôle si important pour le monde entier. Non-seulement il connaissait ce que l'Ecriture sainte nous rapporte de l'histoire du peuple juif, mais il avait fait aussi une étude spéciale des ouvrages de l'historien Josèphe. Il paraît qu'il lisait les auteurs grecs dans leur langue originale, et qu'il se délassait, par la lecture des poëtes anciens, des fatigues de l'etude. C'est ce qui, sans doute, le décida à s'essayer dans la poésie.

Pendant son séjour à Paris, Lothaire alla faire un pèlerinage au tombeau de saint Thomas de Cantorbéry. De quel sentiment dut-il être pénétré en présence des reliques de ce généreux athlète, qui avait combattu jusqu'à la mort pour la liberté et les droits de l'Eglise Combien dut s'affermir cette vocation à laquelle il se sentait appelé, de se dévouer tout entier à la même cause !

De Paris, Lothaire se rendit à Bologne. Là florissaient depuis longtemps des écoles de droit, où l'on accourait de toute l'Italie

(199) Voy. notre article Bożce, n. VI et VII, tom. III, col. 325 et suiv. Dictionn. de L'HIST. Univ. de L'Eglise. V.

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plus il sera sévèrement jugé au tribunal de Dieu. Aussi a-t-il besoin des prières de ses frères et de ses fils, afin que sa foi ne chancelle point (202).

et des pays les plus éloignés. Il y étudia le droit canon, dont l'importance l'emportait de beaucoup sur celle du droit romain. Revenu de Bologne à Rome, Lothaire devint d'abord chanoine de Saint-Pierre. Le Pape Grégoire VIII l'ordonna sous-diacre. Clément III, qui était son oncle maternel, le fit cardinal diacre de Saint-Serge, qui avait été son titre à lui-même. Lothaire, parmi les membres de sa famille, comptait non-seulement ce saint Pontife, mais encore plusieurs cardinaux.

Sévère dans ses mœurs, simple dans ses habitudes, pauvre au milieu des grandeurs, Lothaire ne brillait parmi ses frères les cardinaux que par ses talents et ses vertus. Il mettait à profit tous les loisirs que lui laissaient ses devoirs envers l'Eglise pour agrandir le cercle de ses connaissances, et composer plusieurs ouvrages justement renommés dans son siècle. Son principal est le livre Sur les misères de la vie humaine, ou du mépris du monde, où il s'élève aux considérations les plus hautes de l'ordre philosoque aussi bien que de l'ordre religieux.

Nous ne pouvons résister au désir de citer un court passage tiré des différents écrits qu'il composa avant son élection, passage où il expose ses idées sur les qualités que doit réunir le Chef suprême de l'Église. Nous y verrons en même temps la croyance de Cette époque sur la Primauté du Pontife romain. Jésus-Christ, dit-il, a établi un seul de ses apôtres, Pierre, prince des autres apôtres. Il fui a donné la primauté avant sa mort, pendant sa passion, et après sa résurrection. Tous les pontifes sont appelés à partager les soins du troupeau; mais le Pape seul a été appelé à la plénitude du pouvoir. Il y a un grand mystère dans la réponse que fit Pierre à Jésus-Christ, après cette question adressée à tous les apôtres en commun: Que disent les hommes de moi? Pierre répondit: Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant! Jésus-Christ lui apparut le premier après sa résurrection, et ensuite aux autres apôtres, et enfin aux cinq cents assemblés (200). C'est pour cela que le Pape ne reconnaît point de supérieur après Dieu; il ne veille point seulement sur l'Eglise de Rome, mais sur toutes les autres Eglises. Il existe entre lui et cette Eglise romaine un lien si indissoluble, que la mort seule peut le briser. Le Seigneur seul est son juge (201). Il est surtout le sel de la terre; mais qui peut le rejeter et le fouler aux pieds? Cependant malheur à lui s'il se faisait illusion sur sa grandeur et sur l'excellence de sa dignité. Car, moins il peut être jugé par les hommes,

(200) De mysterio Missæ.

(201) De Consecr. Rom. Pont., serm. 3. (202) Ibid., serm. 4.

(203) De contemptu mundi, lib. 11, cap. 30.

(204) Les Romains d'autrefois oublièrent souvent, hélas! comme ceux d'aujourd'hui, leur gloire et leur bonheur. L'homme animal, selon l'expression de saint Paul, n'a jamais compris, ne comprendra jamais les choses de Dieu (1 Cor. 11, 14).

(205) On sait que l'histoire de ce grand Pape a

« Ce n'est pas la haute position, mais le mérite intérieur; ce n'est pas la dignité, mais une conduite irréprochable qui fait l'homme de bien (203). Que le Pontife de l'Eglise universelle se souvienne sans cesse qu'il ne doit point porter les clefs de la puissance sans porter les clefs de la sagesse... Aujourd'hui Rome est plus élevée par la puissance apostolique de celui qu'elle se glorifie d'avoir pour patron, qu'elle ne l'était autrefois par la puissance des empereurs. Elle est devenue l'Institutrice de la vérité, elle qui était autrefois la capitale de l'erreur, et l'einpereur romain lui-même est soumis à son autorité. Elle a vu briller la splendeur de la

ce terrestre, et maintenant elle voit briller d'un éclat pur encore, la gloire de la puissance céleste (204) »

Le Pape Célestin III, étant tombé malade vers la fête de Noël 1197, fit venir devant lui tous les cardinaux, et leur ordonna de traiter ensemble du choix de son successeur, Il voulait faire élire le cardinal Jean de SaintPaul, de la famille des Colonna, en la vertu et la sagesse duquel il avait la plus grande confiance, et dont il avait fait son vicaire général. Célestin offrait même de se démettre du pontificat, si les cardinaux s'accordaient à élire Jean de Saint-Paul. Son désir ne fut point exaucé. Quelques heures après sa mort, et tandis qu'une partie des cardinaux assistaient à ses funérailles, qui eurent lieu immédiatement, bien que d'une manière solennelle, les autres s'assemblaient dans un monastère nommé Septa Solis. Quand tous furent réunis, ils portèrent leurs suffrages sur le cardinal Lothaire, quoiqu'il ne fût agé que de 37 ans; et malgré sa résistance et ses larmes bien sincères, le revêtirent des insignes du Pontificat. Cette élection causa la joie la plus vive parmi le clergé comme parmi le peuple.

II. Lothaire n'était encore que diacre: il ne voulut point déroger en sa faveur à la règle générale de l'Eglise, qui ne permet d'ordonner les prêtres qu'aux Quatre-Temps. Son ordination sacerdotale fut donc différée jusqu'au samedi 21 février, et le lendemain, fête de la Chaire de Saint-Pierre, il fut sacré évêque. Dans un éloquent discours qu'il fit entendre à cette occasion du haut de la chaire apostolique, le nouveau Pontife exposa comment il entendait les devoirs de sa charge. Nous allons voir que sa conduite fut toujours d'accord avec ses paroles (205). Le

été écrite de nos jours par un protestant que l'Eglise a eu, depuis, la joie de voir revenir dans son sein. Nous voulons parler de Frédéric Hurter, Histoire du Pape Innocent 111 et de ses contemporains, trad. de l'allemand, par J.-B. Haiber, avec une lutroduction par A. de Saint-Cheron, 2° édit. 3 vol. in-8, 1855. En 1840, lorsque cet ouvrage parut, le savant P. Perrone, de la Compagnie de Jésus, donna lecture, à l'Académie de la religion catholique de Rome, d'une docte Dissertation dont le sujet

avaient faites sur l'autorité pontificale, et, par une stricte délimitation des droits de chacun, consolider la bonne intelligence entre le gouvernement et les citoyens. Mais cet état de choses ne pouvait convenir à ceux qui cherchaient des dissensions pour en profiter. Jean, de la famille de Pierre de Léon, se mit à la tête des meneurs, qui s'intitulaient les Bons hommes du bien public. Mais la sagesse et la fermeté d'Innoceut les réduisirent à l'impuissance. Glissons rapidement sur ces intrigues sans grandeur pour admirer la charité inépuisable du Pontife.

DE L'HIST. UNIV. DE L'EGLISE. monde entier réclamait ses soins. A Rome, une population turbulente, engouée des souvenirs classiques de l'antiquité, voulait exhumer l'ancien ordre de choses. En Italie, les Allemands d'un côté, les Normands de l'autre, avaient enlevé ou contestaient à l'Eglise romaine ses antiques patrimoines. L'Espagne était envahie de nouveau parles musulmans, tandis que les rois chrétiens se faisaient la guerre entre eux, ou ne s'alliaient que par des mariages illicites. L'Angleterre, encore gouvernée par le roi soldat Richard Coeur-de-Lion, allait tomber aux mains de l'ignoble Jean Sans-Terre. La France voyait à sa tête le brave et fougueux Philippe-Auguste, qui, dominé par une passion coupable, répudiait sa femme légitime pour en prendre une autre, au grand scandale de ses peuples et de la chrétienté tout entière. Enfin, la Suède en proie à la guerre civile, l'Allemagne divisée entre deux prétendants à l'empire, Constantinople en pleine décadence, l'Orient dévasté par le fanatisme musulman, l'Occident travaillé par une secte plus funeste que le mahométisme, une secte qui, sous une couleur chrétienne, travaille à la ruine de toute religion, de toute morale, de toute société tel est l'état du monde à l'avénement d'Innocent ill.

Le Pontife porta d'abord ses regards sur les réformes à introduire dans son entourage. Par la simplicité de sa vie, il voulait servir de modèle aux prélats et à tout le clergé. Tout faste fut immédiatement éloigné de la cour romaine, où dès lors, selon l'expression d'un historien, les vases d'or et d'argent firent place aux vases de terre et de bois, et les peaux d'hermine aux peaux de mouton. Innocent s'astreignit à tenir trois fois par semaine le consistoire public, y écoutait toutes les plaintes, renvoyait à des commissions les affaires de moindre importance, et examinait par lui-même les causes majeures. Or, il le faisait avec tant de pénétration et de sagesse, qu'il était admiré de tout le monde, et que plusieurs hommes très-savants, jurisconsultes et autres, veDaient à Rome uniquement pour l'entendre; et ils prétendaient s'instruire plus dans ces consistoires qu'ils ne l'eussent fait dans les écoles.

Grâce à la sympathie qu'il avait parmi le peuple, Innocent put faire cesser les usurpations que les magistrats civils de Rome

était Analyse et réflexions sur l'Histoire du Pape Innocent III et de ses contemporains, de Frédéric Hurter. Il a commencé par reconnaitre l'esprit élevé et le jugement exquis avec lesquels M. Hurter a su apprécier l'histoire d'un Pontife qui, dans un siècle d'ignorance, a, comme le soleil, jeté de toutes parts les rayons de la plus vive lumière. Il a fait voir ensuite, par une exacte et sévère analyse, comment l'écrivain allemand, dans le cours de son œuvre, a toujours eu soin de montrer le saint Pontife sous le triple aspect où il doit être considéré, c'est-à-dire comme Chef de l'Eglise universelle, comme souverain temporel de Rome, et comme l'un des chefs de la république chrétienne. Il a montré comment par des recherches pleines de pénétration, des investi

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Au printemps de l'année 1202, toute l'Italie, ainsi que d'autres contrées, est affligée d'une grande disette, causée par les mauvaises récoltes de l'année précédente. Innocent, qui se trouvait à Anagni, revient aussitôt à Rome, et veille à ce que les indigents soient abondamment pourvus. Il fait parvenir secrètement les aumôues à ceux que la honte empêche de mendier: chaque jour il distribue huit mille rations de pain aux mendiants, et approvisionne les maisons de charité. Tout son temps et loutes ses pensées semblent consacrées aux œuvres de bienfaisance. On ne saurait évaluer les sommes employées par lui dans ce but.

III. Après avoir rétabli son autorité dans Rome et les alentours, Innocent tourna son attention vers les autres provinces du domaine de l'Eglise. L'empereur Henri VI avait donné, à titre de fief, la Marche d'Angône et la Romagne à son sénéchal Markwald. Le Pape envoya deux cardinaux pour le sommer de se soumettre à l'Eglise. Markwald, tout en simulant parfaitement d'obtempérer à cette injonction, dévasta d'une horrible manière tout le territoire d'Ancône qui s'était antérieurement soumis au Saint-Siége. Sommé par les légats de congédier ses troupes, Markwald se livra à des dévastations plus affreuses encore: aussi fut-il bientôt excommunié avec tous ses partisans et ses compagnons d'armes.

Mais Innocent ne se contenta pas de confirmer la sentence: il détermina les barons et les comtes restés fidèles à poursuivre Markwald par la force armée, et celui-ci, se voyant hors d'état de résister, s'était réfugié en Sicile.

Henri VI avait aussi cédé à un seigneur allemand, nommé Conrad, le duché de Spo

gations pleines d'intelligence, une critique judicieuse et sagace, une érudition immense et curieuse des moindres détails, le docte historien était parvenu à élever à la gloire du Pontife romain un monument digne, sous tous les rapports, de l'estime et de l'admiration des esprits sérieux. Le P. Perrone, dans sa Dissertation, ne s'est pas seulement borné à analyser l'oeuvre de l'historien protestant, mais it a aussi fait ressortir la haute philosophie et l'impartialité d'esprit vraiment catholique avec lequel M. Hurter a composé son Histoire d'Innocent III. La Dissertation du savant théologien de la Compagnie de Jésus a été insérée dans les Annales des Sciences religieuses que l'abbé de Lucca, aujourd'hui cardinal, publiait alors à Rome.

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