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- Le lendemain de l'entrée de S. M. à Paris, la capitale fut témoin d'un spectacle, tel que nous n'en avions jamais vu, et que nous n'en verrons jamais. Il y eut une revue générale des troupes alliées : elles défilèrent devant le Roi, qui s'étoit rendu, pour cet effet, à une des fenêtres du pavillon, du côté du Pont-Royal. A côté du Roi étoit Madame. Les deux empereurs d'Autriche et de Russie étoient près de S. M., et lui nommoient les différens corps qui défiloient devant elle. Le roi de Prusse étoit aussi de cette réunion de souverains, qui avoit attiré une foule immense, avide de voir nos libérateurs. Derrière ces monarques étoient les grands-ducs Constantin, Michel et Nicolas, frères de l'empereur Alexandre; les princes de Prusse, et les généraux alliés. On y voyoit entr'autres, lord Wellington, arrivé depuis peu à Paris. Les regards se portoient souvent sur ce général célèbre, qui joint aux talens d'un grand capitaine, la modération d'un sage et la douceur d'un ami de l'humanité. L'ambassadeur anglois, et beaucoup de seigneurs assistoient également à cette revue, qui offroit le coup d'oeil le plus imposant. La foule se pressoit sur le pont et sur les quais adjacens pour voir ces princes généreux à qui nous devons notre salut. Rangés autour du Roi, ils pouvoient s'applaudir là de leur ouvrage : ils ont été salués par des acclamations réitérées. Les applaudissemens ont redoublé à la fin de la revue, quand le Roi s'étant levé pour se retirer, l'empereur Alexandre s'approcha de lui, et lui présenta son bras avec autant de grâce que de bonté pour l'aider à marcher : on eût dit un fils qui soutenoit son père. Tous les spectateurs ont été frappés de cette attention filiale, et ont saisi avec transport l'allusion. On a crié long-temps: Vive le Roi! vive l'empereur Alexandre!

Nos lecteurs savent tout ce qu'a souffert M. l'évêque de Troyes dans un temps où c'étoit un crime que de montrer du courage et de l'attachement à ses devoirs. Emprisonné, exilé, emprisonné de nouveau, ce prélat n'a recouvré la liberté que dans l'heureux moment de la délivrance générale. Il a repris de suite le gouvernement du diocèse, dont on avoit voulu le séparer avec autant d'injustice que de violence. Il vient d'adresser à son clergé et à son troupeau un Mandement(1), daté du 10 mai, sur les grands événemens dont se réjouissent l'Eglise et l'Etat. Il a bien voulu nous en donner communication, et nous a même permis d'en enrichir notre Journal. Associés autrefois à ses travaux, nous avons revendiqué l'honneur de publier, les premiers, cette nouvelle production de son talent et de son zèle. C'est, en quelque sorte, pour nous un héritage, que nous n'avions garde de laisser échapper. Les lecteurs retrouveront dans ce Mandement l'énergie des pensées et la beauté du style, par lesquelles l'illustre auteur s'est si fort distingué, soit dans la carrière de la chaire, soit dans un autre genre d'écrits, où nous nous efforcerons de le prendre pour modèle. On verra que sa captivité ne lui a rien ôté de son talent et de sa vigueur, et nous espérons que nos abonnés liront les morceaux suivans avec autant de plaisir que nous en avons à les leur offrir, et qu'ils nous sauront gré d'avoir posé quelque temps la plume pour laisser parler une voix éloquente bien connue de la plupart d'entr'eux, et chère aux amis de la religion et des lettres.

(1) Se trouve à Paris, chez Adrien Le Clere, quai des Augustins, no. 35; prix, 50 cent, port franc.

Tome I. L'Ami de la R. et du R. No. VII.

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Nous ne citerons que les deux morceaux suivans, en regrettant que les bornes de ce Journal ne nous permettent pas de faire connoître le reste, qui n'est ni moins fort de pensées, ni moins brillant de style.

«Enfin, Nos très-chers Frères, après trois années environ d'exil ou de captivité où nous retenoit la plus injuste tyrannie, pour avoir défendu, de tout notre pouvoir, les droits du Saint-Siége, inséparables de ceux des évêques; et ensuite pour n'avoir pas voulu souscrire à des propositions non moins contraires à notre honneur qu'à notre conscience, il nous est permis de faire entendre notre voix à ce troupeau chéri, dont on a pu nous séparer par la violence, mais que rien n'a pu nous faire oublier. Combien il nous est doux et consolant de vous annoncer notre délivrance, en même temps que nous vous annonçons la délivrance de la France entière ! Quel plus ample dédommagement pouvions-nous recevoir de nos tribulations et de nos peines, que d'en voir la cessation concourir avec la fin des malheurs de l'Etat et des souffrances de la patrie, et pourrons-nous assez bénir cette Providence toute miséricordieuse, qui rend à ce diocèse son légitime pasteur, en même temps qu'elle rend à la nation son légitime souverain?

» Qui, Nos très-chers Frères, son légitimé souverain. A ce mot auguste et sacré, tous les ca urs s'épanouissent toutes les ames tressaillent d'allégresse; tous les sentimens à la fois de fidélité, de reconnoissance et d'amour se réveillent; et il n'est pas un seul françois vraiment digne de ce nom qui n'applaudisse avec transport à ces mémorables événemens, qui ont ramené parmi nous lę descendant de saint Louis, le rejeton de cette race antique, le plus illustre qui soit sous le soleil, et l'héritier de tant de monarques, sous lesquels la France a si longtemps fleuri et prospéré. Déjà il est arrivé dans sa capitale, environné de la gloire de ses aïeux, des touchans souvenirs de ses malheurs, de tous les droits impérissables que lui donnent, et Dieu et sa naissance, et la possession de neuf siècles, et le tribut unanime de nos acclamations

et de nos voeux. Déjà brillent partout ces lis éclatans des Bourbons, heureux symboles des jours sereins qui s'ouvrent devant nous; et leur tige superbe qu'avoient flétrie des mains impies, se relevant plus belle que jamais, remplace ces lauriers sanglans et ces noirs cyprès dont le funeste ombrage couvroit depuis plus de vingt ans tout le sol de la France. Déjà nous l'avons vu, orné de toutes les vertus de son cœur et de toutes les grâces de son esprit, apparoître comme un nouveau soleil qui vient pour tout vivifier, comme un nouvel agneau de Dien qui vient effacer les péchés de la France, ou en les pardonnant, ou en les réparant; entouré d'un peuple immense, qui se pressoit autour de lui, enivré du bonheur que lui inspiroit sa présence, le proclamant comme le seul libérateur qui pût briser nos chaînes et mettre un terme à tous nos maux, et ne pouvant se lasser de contempler, sur son auguste front, ce mélange heureux de sensibilité et de noblesse, de bonté et de dignité, qui fait chérir le père et respecter le monarque.

>> Comment, Nos très-chers Frères, s'est opérée cette étonnante révolution à laquelle nos yeux ont encore peine à croire! Qui a donc hâté ce retour fortuné, qui a trompé toutes les prévoyances, ainsi qu'il comble tous nos voeux? Quelle est donc cette main qui a conduit notre Roi à travers tant d'écueils, de périls et d'obstacles? Qui a donc devant lui abaissé les montagnes et comblé les vallées? Pourquoi le demander, Nos très-chers Frères, et qui de nous seroit assez aveugle pour ne pas reconnoître que l'homme n'est ici pour rien, que tout descend ici d'un principe plus haut que nous, et ne pas s'écrier avec un prophète : Oui, Seigneur, c'est-là votre ouvrage, et il n'appartient qu'à vous seul : Domine, opus tuum; ou ne pas chanter avec le Psalmiste: C'est le changement de la droite du Très-Haut, c'est la main du Seigneur qui a fait ce miracle? Non, les merveilleux événemens qui replacerent la couronne sur la tête de David, ne sont pas plus surprenans que ceux qui rétablissent le sceptre des Bor

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bons. Non, le miracle qui fit tomber les murs de Jéricho, n'est pas plus visible que celui qui a sauvé la capitale de la ruine entière où l'auroient précipitée de perfides conseils; pas plus visible que celui qui a fait de nos vainqueurs. des libérateurs, de nos libérateurs des frères; pas plus visible que celui qui remet, sur ses antiques fondemens, sans secousse et sans convulsion, ce trône ébranlé avec tant de violence et tombé avec tant de fracas : de sorte, que si la révolution coupable qui ôta à la France son Roi, fût signalée par tant d'excès et souillée de tant de sang, celle qui nous le rend aujourd'hui est douce comme ses vertus, pure comme ses sentimens, et sans tåche comme sa couronne.....

» Mais pourrions-nous, Nos très-chers Frères, ne pas saisir cette occasion pour vous annoncer un prodige nouveau qui met le comble à tous les autres, et qui s'associe si bien avec le grand événement qui réjouit toute la France. C'est le retour du souverain Pontife dans la ville sacerdotale, dans la ville éternelle; c'est la réstitution du patrimoine de saint Pierre qui lui avoit donné Charlemagne, et que, par une déloyauté insigne, lui avoit enlevé celui qui s'étoit fait le successeur de Charlemagne; c'est le rétablissement de cette souveraineté véritablement paternelle, qui fait depuis mille ans le bonheur et la gloire de Rome. Admirable dessein de Dieu! c'est la puissance qui succombe et la foiblesse qui triomphe; c'est le char du vainqueur qui se brise, et la frêle barque du pauvre pêcheur qui surnage. Ce ne sont pas les enfans du Saint-Siége et ses amis fidèles, mais des hommes étrangers au Saint-Siége, qui, n'écoutant que leur seule justice et leur seule générosité, s'en déclarent les protecteurs et les vengeurs les plus zélés. Tels on vit autrefois les soldats d'Alexandre défendre et protéger le peuple saint, et tels les soldats de Cyrus concourir à rebâtir le temple.

>> Et maintenant, Ños très-chers Frères, le prodige est-il assez frappaut pour tous les yeux? Est-il assez

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