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EXPLICATION

DES

MAXIMES DES SAINTS

SUR LA VIE INTÉRIEURE.

EXPOSÉ HISTORIQUE

DU QUIÉTISME,

ET DES DOCTRINES DU LIVRE INTITULÉ : EXPLICATION DES MAXIMES DES SAINTS.

Dans tous les temps, dans toutes les religions, il y a eu des hommes qui ont cherché la perfection, et qui se sont égarés sur cette route.

Tel fut, à la fin du dix-septième siècle, Michel Molinos, prêtre espagnol, qu'on peut regarder comme le patriarche des quiétistes modernes.

La doctrine de Molinos se réduit à trois maximes :

1o La contemplation parfaite est un état où l'âme ne raisonne point, ne réfléchit ni sur Dieu, ni sur elle-même; mais reçoit passivement l'impression de la lumière céleste, sans exercer aucun acte d'amour, d'adoration, ou tout autre acte quelconque de la piété chrétienne. C'est cet état d'inaction et d'inattention absolue q Molinos appelle quiétude.

2o Dans cet état de contemplation parfaite l'âme ne désire rien, pas même son salut; elle ne craint rien, pas même l'enfer; elle n'éprouve plus d'autre sentiment que celui d'un entier abandon au bon plaisir de Dieu.

3o Une âme arrivée à cet état de contemplation parfaite est dispensée de l'usage des sacrements, et de la pratique des bonnes mœurs. Tous les actes, tous les exercices de la piété chrétienne lui deviennent indifférents; les représentations et les imaginations les plus criminelles peuvent affecter la partie sensitive de l'âme sans la souiller, et elles restent étrangères à la partie supérieure, où réside l'intelligence et la volonté.

Molinos déduisait de ces principes cette conséquence pernicieuse qu'une âme, parvenue à l'état de contemplation parfaite, cessait d'être coupable envers Dieu en s'abandonnant aux actions les plus criminelles ; que son corps n'était plus alors que l'instrument du démon, sans que l'âme, intimement unie à Dieu, éprouvât la plus légère altération du désordre qui agite les sens.

FÉNELON. -TOME II.

Les écrits de Molinos furent proscrits, en 1687, par une bulle du pape Innocent XI, et leur auteur, condamné à une prison perpétuelle, y finit, dit-on, ses jours dans des senti ments de repentir et de piété.

Ce fut peu de temps après la condamnation de Molinos que le quiétisme s'introduisit en France sous une forme moins grossière, et dégagée des extravagances impies et criminelles que le saint-siége avait si justement frappées d'anathème.

C'est Bossuet qui nous servira d'interprète dans l'exposition de ce quiétisme mitigé, tel qu'il l'avait puisé dans l'analyse des écrits de madame Guyon.

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«< ceux qu'on nomme parfaits contemplatifs, beaucoup « d'actes essentiels à la piété, et expressément commandés « de Dieu; par exemple, les actes de foi explicite contenus << dans le Symbole des Apôtres; toutes les demandes et « même celles de l'Oraison Dominicale; les réflexions, les actions de grâces, et les autres actes de cette nature qu'on trouve commandés et pratiqués dans toutes les pages de l'Écriture, et dans tous les ouvrages des saints 1. » Bossuet expose ensuite et discute le principe fondamental de cette nouvelle doctrine, savoir, que la perfection consiste, même dès cette vie, dans un acte continuel et invariable de contemplation et d'amour ; d'où il suit que lorsqu'on s'est une fois donné à Dieu, l'acte en subsiste toujours s'il n'est révoqué, et qu'il n'est nécessaire ni de le réitérer, ni de le renouveler.

Bossuet observe que ce principe, pris dans son sens naturel, conduit à d'étranges conséquences.

1o C'est une suite nécessaire de ce principe, qu'il ne faut point se recueillir dans l'oraison, quelque distrait que l'on ait été, puisque, selon cette doctrine, les actes, une fois parfaits, ne périssent point.

2o Ce même principe tend à relâcher, dans les parfaits, le soin de renouveler les actes les plus essentiels à la piété, tels que les actes explicites de foi, d'espérance et de de

Instruction de Bossuet sur les états d'oraison.

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mande: car pour ces prétendus parfaits, il n'y avait plus qu'un seul acte perpétuel et universel, dans lequel ils prétendent que tous les actes de religion se trouvent compris éminemment.

Aussi madame Guyon, dans son explication du Cantique des cantiques, paraît-elle enseigner formellement que le désir et la demande du salut sont entièrement supprimés dans son état prétendu de perfection, et que dans ce même état l'âme doit renoncer à tous les actes distincts et explicites quelconques.

ne renferment rien qui ne soit manifestement conforme à la règle immuable de la foi et des mœurs évangéliques, il me paraît néanmoins que cette matière demande une espèce de secret. Le commun des lecteurs n'est point préparé pour faire avec fruit de si fortes lectures. C'est exposer ce qu'il y a de plus pur et de plus sublime dans la religion à la dérision des esprits profanes, aux yeux desquels le mystère de Jésus-Christ crucifié est déjà un scandale et une folie. C'est mettre, entre les mains des hommes les moins recueillis et les moins expérimentés, le secret ineffable de

Il existe une différence très-importante entre le quiétisme Dieu dans les cœurs; et ces hommes ne sont capables ni de de Fénelon et celui de madame Guyon.

Madame Guyon supposait et avait même entrepris de tracer une méthode par laquelle on pouvait conduire les âmes les plus communes à cet état de perfection, où un acte continuel et immuable de contemplation et d'amour les dispensait pour toujours de tous les autres actes de religion, ainsi que des pratiques de piété les plus indispensables, selon la doctrine de l'Église catholique.

Mais Fénelon n'alla pas, à beaucoup près, si loin : les propositions de ses Maximes des Saints, prises à la rigueur, expriment seulement la possibilité d'un état habituel de pur amour, d'où étaient exclus, comme autant d'imperfections, tous les actes explicites des autres vertus, même le désir du salut, et la crainte de l'enfer.

Aussi on a observé que toute la doctrine de Fénelon, condamnée par le bref d'Innocent XII, pouvait se réduire à ces deux points :

1o Il est dans cette vie un état de perfection dans lequel le désir de la récompense et la crainte des peines n'ont plus lieu.

2° Il est des âmes tellement embrasées de l'amour de Dieu, et tellement résignées à la volonté de Dieu, que si, dans un état de tentation, elles venaient à croire que Dieu les a condamnées à la peine éternelle, elles feraient à Dieu le sacrifice absolu de leur salut.

Tels sont les véritables principes de Fénelon, d'après M. de Beausset, dont nous n'avons fait que reproduire, en les abrégeant, les excellentes observations : voilà ce que la cour de Rome a condamné, voilà ce que renferme le livre des Maximes des Saints, c'est-à-dire les doctrines fondamentales du quiétisme, doctrines qui remuèrent le monde théologique, et sur lesquelles seulement on doit juger Fé(A. M.) nelon1.

EXPLICATION

DES

MAXIMES DES SAINTS

SUR LA VIE INTÉRIEURE.

AVERTISSEMENT.

J'ai toujours cru qu'il fallait parler et écrire le plus sobrethent qu'on pourrait sur les voies intérieures. Quoiqu'elles

1 Voyez le jugement sur cette doctrine, dans la Vie de Fénolen, t. rer de cette édition.

s'en instruire, ni de s'en édifier. D'un autre côté, c'est tendre à toutes les âmes crédules et indiscrètes un piége pour les faire tomber dans l'illusion; car elles s'imaginent bientôt être dans tous les états qui sont représentés dans les livres par là elles deviennent visionnaires et indociles; au lieu que si on les tenait dans l'ignorance de tous les états qui sont au-dessus du leur, elles ne pourraient entrer dans les voies d'amour désintéressé et de contemplation que par le seul attrait de la grâce, sans que leur imagination échauffée par des lectures y eût aucune part. Voilà ce qui m'a persuadé qu'il fallait garder autant qu'on le pourrait le silence sur cette matière, de peur d'exciter trop la curiosité du public, qui n'a ni l'expérience, ni la lumière de grâce nécessaire pour examiner les ouvrages des saints. Car l'homme animal ne peut ni discerner, ni goûter les choses de Dieu telles que sont les voies intérieures. Mais puisque cette curiosité est devenue universelle depuis quelque temps, je crois qu'il est aussi nécessaire de parler qu'il eût été à souhaiter de se taire.

Je me propose, dans cet ouvrage, d'expliquer les expériences et les expressions des saints, pour empêcher qu'ils ne soient exposés à la dérision des impies. En même temps, je veux éclaircir aux mystiques le véritable sens de ces saints auteurs, afin qu'ils connaissent la juste valeur de leurs expressions. Quand je parle des saints auteurs, je me borne à ceux qui sont canonisés, ou dont la mémoire est en bonne odeur dans toute l'Église, et dont les écrits ont été solennellement approuvés après beaucoup de contradictions. Je ne parle que des saints qui ont eté canonisés ou admirés de toute l'Église, pour avoir pratiqué et fait pratiquer au prochain le genre de spiritualité qui est répandu dans tous leurs écrits. Sans doute il n'est pas permis de rejeter de tels auteurs, ni de les accuser d'avoir innové contre la tradition.

Je veux montrer combien ces saints auteurs sont éloignés de blesser le dogme de la foi, et de favoriser l'illusion. Je veux montrer aux mystiques que je n'affaiblis rien de tout ce qui est autorisé par les expériences et par les maximes de ces auteurs, qui sont nos modèles. Je veux les engager par là à me croire quand je leur ferai voir les bornes précises que ces mêmes saints nous ont marquées, et au delà desquelles il n'est jamais permis d'aller. Les mystiques à qui je parle ne sont ni des fanatiques, ni des hypocrites qui cachent sous des termes de perfection le mystère d'iniquité. A Dieu ne plaise que j'adresse la parole de vérité à ces hommes qui ne portent point le mystère de la foi dans une conscience pure! ils ne méritent qu'indignation et horreur. Je parle aux mystiques simples, ingénus

et dociles. Ils doivent savoir que l'illusion a toujours suivi de près les voies les plus parfaites. Dès l'origine du christianisme, les faux gnostiques, hommes exécrables, voulurent se confondre avec les vrais gnostiques, qui étaient les contemplatifs et les plus parfaits d'entre les chrétiens. Les béguards ont imité faussement les contemplatifs de ces derniers siècles, tels que saint Bernard, Richard, et Hugues de Saint-Victor. Bellarmin remarque que les expressions des auteurs mystiques ont été souvent critiquées sur des équivoques. Il arrive d'ordinaire, dit-il1, à ceux qui écri- | vent de la théologie mystique, que leurs expressions sont blámées par les uns et louées par les autres, parce qu'elles ne sont pas prises par tout le monde dans le même sens. Le cardinal Bona dit aussi2 que ceux qui sont dans la contemplation passive sont les moins habiles pour s'exprimer, mais les plus excellents dans la pratique et dans l'expérience. En effet, rien n'est si difficile que de faire bien entendre des états qui consistent en des opérations si simples, si délicates, si abstraites des sens, et de mettre toujours en chaque endroit tous les correctifs nécessaires pour prévenir l'illusion, et pour expliquer en rigueur le dogme théologique. Voilà ce qui a scandalisé une partie des lecteurs qui ont lu les livres des mystiques, et qui a jeté dans l'illusion plusieurs autres de ces lecteurs. Pendant que l'Espagne était remplie, dans le siècle passé, de tant de saints d'une grâce merveilleuse, les illuminés furent découverts dans l'Andalousie, et rendirent suspects les plus grands saints. Alors sainte Thérèse, Balthazar Alvarez, et le bienheureux Jean de la Croix, eurent besoin de se justifier. Rusbrok, que Bellarmin appelle un grand contemplatif, et Taulère, cet homme apostolique si célèbre dans toute l'Allemagne, ont été défendus, l'un par Denis le Chartreux, et l'autre pas Blosius. Saint François de Sales n'a pas été exempt de contradiction; et les critiques n'ont point su connaître combien il joint une théologie exacte et précise avec une lumière de grâce qui est très-éminente. Il a fallu une apologie au saint cardinal de Bérulle. Ainsi la paille à souvent obscurci le bon grain, et les plus purs auteurs de la vie intérieure ont eu besoin d'explication, de crainte que des expressions prises dans un mauvais sens n'altérassent la pure doctrine.

Ces exemples doivent rendre les mystiques sobres et retenus. S'ils sont humbles et dociles, ils doivent laisser aux pasteurs de l'Église non-seulement la décision absolue sur la doctrine, mais encore le choix de tous les termes dont il est à propos de se servir. Saint Paul ne veut jamais manger de viande, plutôt que de scandaliser le moindre de ses frères pour qui Jésus-Christ est mort. Comment pourrionsnous donc être attachés à quelque expression dès qu'elle scandalise quelque âme infirme? Que les mystiques lèvent donc toute équivoque, puisqu'ils apprennent qu'on a abusé de leurs termes pour corrompre ce qu'il y a de plus saint: que ceux qui ont parlé sans précaution, d'une manière impropre et exagérée, s'expliquent, et ne laissent rien à désirer pour l'édification de l'Église que ceux qui se sont trompés pour le fond de la doctrine ne se contentent pas de

Bell. de Script. Eccles. ' Compend.

f

condamner l'erreur, mais qu'ils avouent de l'avoir crue; qu'ils rendent gloire à Dieu, qu'ils n'aient aucune honte d'avoir erré, ce qui est le partage naturel de l'homme, et qu'ils confessent humblement leurs erreurs, puisqu'elles ne seront plus leurs erreurs dès qu'elles seront humblement confessées. C'est pour démêler le vrai d'avec le faux dans une matière si délicate et si importante, que deux grands prélats ont donné au public trente-quatre propositions qui contiennent en substance toute la doctrine des voies intérieures; et je ne prétends, dans cet ouvrage, qu'en expliquer les principes avec plus d'étendue.

Toutes les voies intérieures tendent à l'amour pur ou désintéressé. Cet amour pur est le plus haut degré de la perfection chrétienne; il est le terme de toutes les voies que les saints ont connues. Quiconque n'admet rien au delà est dans les bornes de la tradition: quiconque passe cette borne est déjà égaré. Si quelqu'un doute de la vérité et de la perfection de cet amour, j'offre de lui en montrer une tradition universelle et évidente, depuis les apôtres jusques à saint François de Sales, sans aucune interruption, et je donnerai là-dessus au public, quand on le désirera, un recueil de tous les passages des Pères, des docteurs de l'école, et des saints mystiques, qui parlent unanimement. On verra, dans ce recueil, que les Pères ont parlé aussi fortement que saint François de Sales, et qu'ils ont fait, pour le désintéressement de l'amour, les mêmes suppositions sur le salut, dont les critiques dédaigneux se moquent tant, quand ils les trouvent dans les saints des derniers siècles. Saint Augustin même, que quelques personnes ont cru opposé à cette doctrine, ne l'enseigne pas moins que les autres. Il est vrai qu'il est capital de bien expliquer ce pur amour, et de marquer précisément les bornes au delà desquelles son désintéressement ne peut jamais aller. Son désintéressement ne peut jamais exclure la volonté d'aimer Dieu sans bornes ni pour le degré, ni pour la durée de l'amour; il ne peut jamais exclure la conformité au bon plaisir de Dieu, qui veut notre salut, et qui veut que nous le voulions avec lui pour sa gloire. Cet amour désintéressé, toujours inviolablement attaché à la loi écrite, fait tous les mêmes actes et exerce toutes les mêmes vertus distinctes que l'amour intéressé, avec cette unique différence qu'il les exerce d'une manière simple, paisible, et dégagée de tout motif de propre intérêt.

La sainte indifférence, si louée par saint François de Sales, n'est que le désintéressement de cet amour, qui est toujours indifférent et sans volonté intéressée pour soimême, mais toujours déterminé, et voulant positivement tout ce que Dieu nous fait vouloir par sa loi écrite et par l'attrait de sa grâce.

Pour parvenir à cet état, il faut purifier l'amour, et toutes les épreuves intérieures ne sont que sa purification. La contemplation, même la plus passive, n'est que l'exercice paisible et uniforme de ce pur amour. On ne passe insensiblement de la méditation, où l'on fait des actes méthodiques et discursifs, à la contemplation, dont les actes sont simples et directs, qu'à mesure qu'on passe de l'amour intéressé au désintéressé. L'état passif et la transformation avec les noces spirituelles, et l'union essentielle ou immé. diate, ne sont que l'entière pureté de cet amour, dont l'état

J.

est habituel en un très-petit nombre d'âmes, sans être jamais ni invariable, ni exempt de fautes vénielles. Quand je parle de tous ces différents degrés dont les noms sont si peu connus du commun des fidèles, je ne le fais qu'à | cause qu'ils sont consacrés par l'usage d'un grand nombre de saints approuvés par l'Église, et qui ont expliqué par ces termes leurs expériences. De plus, je ne les rapporte que pour les expliquer avec la plus rigoureuse précaution. Enfin, toutes les voies intérieures aboutissent au pur amour comme à leur terme; et le plus haut de tous les degrés dans le pèlerinage de cette vie est l'état habituel de cet amour. Il est le fondement et le comble de tout l'édifice. Rien ne serait plus téméraire que de combattre la pureté de cet amour si digne de la perfection de notre Dieu, à qui tout est dû, et de sa jalousie, qui est un feu consumant. Mais aussi rien ne serait plus téméraire que de vouloir, par un raffine ment chimérique, ôter à cet amour la réalité de ses actes dans la pratique des vertus distinctes. Enfin il ne serait ni moins téméraire, ni moins dangereux, de mettre la perfection des voies intérieures dans quelque état mystérieux au delà de ce terme fixe d'un état habituel de pur amour.

C'est pour prévenir tous ces inconvénients que je me propose de traiter, dans cet ouvrage, toute la matière par articles rangés suivant les divers degrés que les mystiques nous ont marqués dans la vie spirituelle. Chaque article aura deux parties. La première sera la vraie que j'aprouverai, et qui renfermera tout ce qui est autorisé par l'expérience des saints, et réduit à la doctrine saine du pur amour. La seconde partie sera la fausse, où j'expliquerai❘ l'endroit précis dans lequel le danger de l'illusion commence. En rapportant ainsi dans chaque article ce qui est excessif, je le qualifierai et je le condamnerai dans toute la rigueur théologique.

Ainsi mes articles seront, dans leur première partie, un recueil de définitions exactes sur les expressions des saints, pour les réduire toutes à un sens incontestable, qui ne puisse plus faire aucune équivoque, ni alarmer les âmes les plus timorées. Ce sera une espèce de dictionnaire par définitions, pour savoir la valeur précise de chaque terme. Ces définitions rassemblées formeront un système simple et complet de toutes les voies intérieures, qui aura une parfaite unité, puisque tout s'y réduira clairement à l'exercice du pur amour, aussi fortement enseigné par les anciens Pères que par les saints les plus récents.

D'un autre côté, la seconde partie de mes articles montrera toute la suite des faux principes qui peuvent former l'illusion la plus dangereuse contre la foi et contre les mœurs, sous une apparence de perfection. En chaque article je tåcherai de marquer où commence l'équivoque, et de censurer tout ce qui est mauvais, sans affaiblir jamais en rien tout ce que l'expérience des saints autorise. Les mystiques, s'ils veulent m'écouter sans prévention, verront bien que je les entends, et que je prends leurs expressions dans la juste étendue de leur sens véritable. Je leur laisse même à juger si je n'explique pas leurs maximes avec plus d'exactitude que la plupart d'entre eux n'ont pu jusqu'ici les expliquer, parce que je me suis principalement appliqué à réduire leurs expressions à des idées claires, précises, et autorisées par la tradition, sans affaiblir le fond des cho

ses. Tous les mystiques, qui n'aiment que la vérité et l'édification de l'Église, doivent être satisfaits de ce plan. J'aurais pu y joindre une quantité prodigieuse de passages formels des plus anciens Pères, aussi bien que des docteurs de l'école et des saints mystiques; mais cette entreprise me jetait dans une longueur et dans des répétitions innom brables qui m'ont épouvanté pour le lecteur. C'est ce qui me fait supprimer ce recueil de passages déjà rangés dans leur ordre. Pour épargner la peine du lecteur, je suppose d'abord cette tradition constante et décisive, et je me borne à montrer un système clair et suivi dans des défini-tions théologiques. La sécheresse de cette méthode me paraît un inconvénient très-fâcheux, mais moindre que celui d'une longueur accablante.

Il ne me reste qu'à exécuter ce plan, que je viens d'expliquer. J'en attends la force non de moi, mais de Dieu, qui se plaît à se servir du plus vil et du plus indigne instrument. Ma doctrine ne doit point être ma doctrine, mais. celle de Jésus-Christ, qui envoie les pasteurs. Malheur à moi si je disais quelque chose de moi-même! Malheur à moi si, dans la fonction d'instruire les autres, je n'étais moi-même le plus docile et le plus soumis des enfants de l'Église catholique, apostolique et romaine!

Je commencerai l'exécution de ce plan par une exposition simple des divers sens qu'on peut donner au nom d'amour de Dieu, pour faire entendre nettement et précisé-ment l'état des questions en cette matière; après quoi le lecteur trouvera mes articles qui approuvent le vrai et con-damnent le faux sur chaque point des voies intérieures.

EXPOSITION

DES DIVERS AMOURS

DONT ON PEUT AIMER DIEU

1. On peut aimer Dieu, non pour lui, mais pour les biens distingués de lui, qui dépendent de sa puissance, et qu'on espère en obtenir. Tel était l'amour des Juifs charnels, qui observaient la loi, pour être récompensés par la rosée du ciel et par la fertilité de la terre. Cet amour n'est ni chaste ni filial, mais purement servile. A parler exactement, ce n'est pas aimer Dieu; c'est s'aimer soi-même, et rechercher uniquement pour soi, non Dieu, mais ce qui vient de lui.

2. On peut, quand on a la foi, n'avoir aucun degré de charité. On sait que Dieu est notre unique béatitude, c'est-à-dire le seul objet dont la vue peut nous rendre bienheureux. Si en cet état on aimait Dieu comme le seul instrument propre à notre bonheur, et par l'impuissance de trouver notre bonheur en aucun autre objet; si on regardait Dieu comme un moyen de félicité, qu'on rap

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