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DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

Les ouvrages contenus dans ces trois volumes ne sont qu'une partie de ceux que j'ai rédigés d'après les manuscrits de M. Bentham, et que j'avais annoncés, il y a cinq ans, dans la Bibliothèque britannique. J'ai continué les mêmes travaux et les ai amenés au point de pouvoir les faire paraître successivement.

Si, en travaillant sur ces manuscrits, j'avais pu me renfermer dans une simple traduction, je serais plus tranquille sur le succès; mais je ne suis pas dans une position si propre à m'inspirer de la confiance. Je dois au public de ne point dissimuler ce qui n'est que de moi dans leur rédaction; je dois à l'auteur de déclarer qu'il ne les a cédés qu'aux sollicitations de T'amitié, et qu'il me livrait souvent à regret des ouvrages incomplets, et quelquefois des matériaux informes.

En donnant une idée générale de ce qui me concerne plus particulièrement dans cette entreprise, je commence par une déclaration qui doit me mettre à l'abri de tout reproche injuste, comme de tout éloge pénible pour moi, parce qu'il ne serait pas mérité. Je déclare que je n'ai aucune part, aucun titre d'association dans la composition de ces divers ouvrages; ils apparliennent tout entiers à l'auteur, et n'appartiennent qu'à lui. Plus je les estime, plus je m'empresse à désavouer un honneur qui ne serait qu'une usurpation aussi contraire à la foi de l'amitié qu'à mon caractère personnel. Cette déclaration, que je me dois à moi-même, serait superflue, je le sais, s'il n'y avait que des lecteurs philosophes: de tels lecteurs reconnaitront bien d'eux-mêmes, dans la diversité de ces écrits, l'empreinte de la même main, l'unité de plan, le génie original, analytique

1 Ce discours préliminaire a été placé, par M. Dumont de Genève, en tête des trois premiers volumes qu'il a tra

et profond dans l'ensemble du dessein comme dans l'exécution des parties.

Mon travail, d'un genre subalterne, n'a porté que sur des détails. Il fallait faire un choix parmi un grand nombre de variantes, supprimer les répétitions, éclaircir des parties obscures, rapprocher tout ce qui appartenait au même sujet, et remplir les lacunes que l'auteur avait laissées pour ne pas ralentir sa composition. J'ai eu plus à retrancher qu'à ajouter, plus à abréger qu'à étendre. La masse de manuscrits qui ont passé entre mes mains, et que j'ai eu à déchiffrer et à comparer, est considérable. J'ai eu beaucoup à faire pour l'uniformité du style et la correction, rien ou très-peu de chose pour le fond des idées. La profusion de ces richesses ne demandait que les soins d'un économe. Intendant de cette grande fortune, je n'ai rien négligé pour la faire valoir et la mettre en circulation.

Les changements que j'ai eu à faire ont varié selon la nature des manuscrits. Lorsque j'en ai trouvé plusieurs relatifs au même sujet, mais composés à différentes époques et avec des vues différentes, il a fallu les concilier, et les incorporer de manière à n'en faire qu'un tout. L'auteur avait-il mis au rebut quelque ouvrage de circonstance, qui ne serait aujourd'hui ni intéressant ni même intelligible; je n'ai pas voulu qu'il fût perdu en entier, mais j'ai, pour ainsi dire, déménagé, comme d'une maison abandonnée, tout ce qui était susceptible d'ètre conservé. S'était-il livré à des abstractions trop profondes, à une métaphysique je ne dirai pas trop subtile, mais trop aride; j'ai essayé de donner plus de développement aux idées, de les rendre sensibles par des applications, des

duits de Bentham, sous le titre de Traité de Législation civile et pénale, (Éditeurs de Bruxelles.)

faits, des exemples, et je me suis permis de semer avec discrétion quelques ornements. J'ai eu même des chapitres à faire en entier, mais toujours sur les indications et les notes de l'auteur, et la difficulté de le suppléer m'aurait ramené à un sentiment modeste de moimême si j'avais eu la tentation de m'en écarter.

Son Introduction aux Principes de morale et de législation, considérée par un petit nombre d'appréciateurs éclairés comme une de ces productions originales qui font époque et révolution dans une science, malgré son mérite philosophique, ou peut-être par ce mérite même, ne fit aucune sensation et resta presque ignorée du public, quoiqu'en Angleterre, plus qu'ailleurs, on pardonne à un livre utile de n'être pas un livre facile et agréable. En employant plusieurs chapitres de cet ouvrage pour en former les Principes généraux de Législation, j'ai dû éviter ce qui avait nui à son succès, les formes trop scientifiques, les subdivisions trop multipliées et les analyses trop abstraites. Je n'ai pas traduit les mots, j'ai traduit les idées: j'ai fait à quelques égards un abrégé, et à d'autres un commentaire. Je me suis guidé sur les conseils et les indications de l'auteur dans une préface postérieure de plusieurs années à l'ouvrage même; et j'ai trouvé dans ses papiers toutes les additions de quelque importance.

En considérant combien cette entreprise, que je croyais borner à deux ou trois volumes, s'est étendue par degrés, et quelle vaste carrière j'ai parcourue, je regrette que ce travail ne soit pas tombé en de meilleures mains, mais j'ose pourtant m'applaudir de ma persévérance, convaincu que ces manuscrits seraient restés longtemps enfouis dans leur masse, et que l'auteur, toujours porté en avant, n'aurait jamais eu ni le loisir ni le courage de se livrer au travail ingrat d'une révision générale.

Cette ardeur à produire, et cette indifférence à publier, cette persévérance dans les plus grauds travaux, et cette disposition à les abandonner au moment de les finir, offrent une singularité qui a besoin d'être expliquée.

Dès que M. Bentham eut trouvé les grandes divisions, les grandes classifications des lois, il embrassa la législation dans son ensemble, et conçut le vaste projet de la traiter dans toutes ses parties. Il la considéra moins comme

composée d'ouvrages détachés, que comme formant un ouvrage unique. Il avait sous les yeux la carte générale de la science, et avait formé sur ce modèle les cartes particulières de tous ses départements aussi le caractère le plus frappant de ses écrits, c'est leur parfaite concordance. J'ai trouvé les premiers pleins de renvois à des traités qui étaient simplement en projet; mais dont les divisions, les formes, les idées principales existaient déjà sur des tableaux séparés. C'est ainsi qu'ayant subordonné toutes ses matières à un plan général, chaque branche de législation occupe une place qui lui est propre, et qu'aucune ne se trouve répétée dans deux divisions. Cet ordre suppose nécessairement un auteur qui a considéré longtemps son sujet dans tous ses rapports, qui le domine tout entier, et qui n'a pas eu la puérile impatience de la renommée.

Je l'ai vu suspendre un ouvrage à peu près fini, et en composer un nouveau, uniquement pour s'assurer de la vérité d'une seule proposition qui lui paraissait douteuse. Un problème en finance l'a ramené sur toute l'économie politique. Des questions de procédure lui firent sentir la nécessité de s'interrompre jusqu'à ce qu'il eût traité de l'organisation judiciaire. Tout ce travail préparatoire, ce travail dans les mines, est immense. A moins de voir les manuscrits mêmes, les catalogues et les tableaux synoptiques, on ne saurait s'en former aucune idée.

Mais ce n'est pas un panégyrique que je fais. Il faut bien avouer que le soin d'arranger et de polir a peu d'attraits pour le génie de l'auteur. Tant qu'il est poussé par une force créatrice, il ne sent que le plaisir de la composition; s'agitil de donner des formes, de rédiger, de finir, il n'en sent plus que la fatigue. Que l'ouvrage soit interrompu, le mal est irréparable: le charme disparaît, le dégoût succède, et la passion éteinte ne se rallume que pour un objet nou

veau.

La même disposition l'a éloigné de contribuer à la rédaction que je donne au public; je n'ai pu obtenir que rarement les éclaircissements et les secours dont j'avais besoin ; il lui en coûtait trop de suspendre le cours actuel de ses idées pour revenir sur d'anciennes traces

Mais c'est peut-être à ce genre de difficultés que j'ai dù ma persévérance. Si je n'avais en

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