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DES

PONTS ET CHAUSSÉES.

LOIS, DÉCRETS, ARRÊTÉS ET AUTRES ACTES

CONCERNANT

L'ADMINISTRATION DES PONTS ET CHAUSSÉES.

(N° 894)

22 novembre 1863.]

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Dommages aux personnes; homicide par imprudence causé par l'entrepreneur de travaux pour le compte d'une compagnie de chemin de fer; condamnation correctionnelle; action civile contre la compagnie; conflit. (Boisseau.) Lorsque l'entrepreneur des travaux d'un chemin de fer pour le compte de la compagnie concessionnaire a été condamné correctionnellement comme coupable d'avoir causé par imprudence la mort d'un particulier qui est tombé dans une tranchée, l'action en indemnité dirigée par la veuve contre la compagnie, comme responsable de la négligence et de la faute de son agent, n'est pas de celles qui peuvent être décidées par application des clauses du cahier des charges de l'entreprise, et dont il appartient aux conseils de préfecture de connaitre en vertu de l'article 4 de la loi du 28 pluvióse an VIII.

Nous empruntons au Recueil des Arrêts du conseil de MM. Lebon et HallaysDabot les conclusions présentées dans cette affaire par M. Faré, commissaire du gouvernement:

Annales des P. et Ch. Lois, DECRETS.

TOME IV.

153233

<< Devant le tribunal de la Seine, la veuve Boisseau disait à la compagnie du Nord « Votre préposé, Farina, a ouvert sur l'ancienne route de Senlis à <«< Chantilly une tranchée de 7 mètres; il a négligé d'en interdire l'approche par << une barrière suffisante; il ne l'a pas éclairée; par sa négligence et son im<«< prudence, mon mari a été tué: vous êtes civilement responsable du fait de « votre préposé. »

<< La compagnie répondait : « Farina n'est pas mon agent; j'ai traité avec un << entrepreneur général qui s'est engagé à me garantir de tous risques résultant « de l'exécution des travaux; d'ailleurs votre demande est exagérée. »

« Nous estimons que c'est à tort que M. le préfet de la Seine a élevé le conflit. Suivant nous, il n'y avait aucun intérêt public engagé dans l'affaire : il ne s'agissait pas d'une contestation relative à l'exécution d'un travail public; le tribunal de la Seine était saisi d'un débat portant exclusivement sur les conséquences d'un quasi-délit, d'une infraction aux règlements de police qui obligent tous les citoyens; il n'y avait en question que l'interprétation de conventions passées entre une compagnie et ses sous-traitants.

« Nous estimons qu'à ces deux points de vue, examen des conséquences d'un quasi-délit, interprétation d'un sous-traité, c'est à l'autorité judiciaire qu'il appartient de connaître de la demande en responsabilité dirigée contre la compagnie du Nord.

« M. le préfet soulève d'abord une question préjudicielle. Il soutient que, pour apprécier si la compagnie doit être déclarée responsable de l'accident, il y a lieu, pour l'autorité administrative, de rechercher et de décider préalablement si les prescriptions du cahier des charges et celles des règlements de police ont été observées.

« Cette prétention est condamnée par votre jurisprudence, et notamment par un décret, en date du 13 juin 1858 (affaire Vachier et Roussel), rendu dans des circonstances analogues à celles de l'espèce. M. le préfet du Puy-deDôme revendiquait également pour l'autorité administrative l'examen de la question préjudicielle de savoir si ledit Vachier, agent de l'administration, avait accompli les instructions à lui données et obéi aux règlements de l'administration; et cependant vous avez annulé le conflit, par le motif que l'accident, dont la cause (le défaut d'éclairage des travaux) n'était d'ailleurs pas contestée, et dont deux agents de l'administration se renvoyaient de l'un à l'autre la responsabilité, ne soulevait aucune question préjudicielle. (Voir les termes de cet arrêt.)

« Au fond, le préfet affirme que la loi du 28 pluviôse an VIII a donné aux tribunaux administratifs une compétence exclusive et absolue, relativement aux réclamations des particuliers qui se plaindraient de torts et dommages causés par le fait personnel des entrepreneurs.

<< Cette doctrine, Messieurs, s'était déjà produite devant vous, et vous l'aviez nettement repoussée. Contrairement à l'opinion émise par M. le ministre des travaux publics dans une affaire Maugeant, vous avez déclaré (4 février 1858) que, comme il s'agissait d'apprécier les obligations d'un entrepreneur vis-à-vis de ses ouvriers, la contestation soulevée par le sieur Maugeant devait être jugée par l'application des règles du droit commun ; que, dès lors, le conseil de

préfecture n'était pas compétent. Et vous vous rappelez que, dans cette affaire, M. le ministre, invoquant un arrêt du tribunal des conflits du 17 avril 1851 (Rougier), prétendait réserver à l'autorité administrative, dans tous les cas, la connaissance de l'action civile qu'un particulier aurait à diriger contre un entrepreneur de travaux publics pour obtenir réparation de torts et dommages causés par ce dernier dans l'exécution de son entreprise. Il ajoutait qu'en établissant cette compétence exceptionnelle, le législateur avait voulu que le particulier pût se faire rendre justice promptement et économiquement.

« Ainsi donc, Messieurs, les tribunaux administratifs ne sont pas compétents dans tous les cas. Leur compétence cesse quand il s'agit de contestations entre l'entrepreneur et ses ouvriers, ou, d'une façon plus générale et suivant une jurisprudence constante, quand il y a débat entre l'entrepreneur et ses sous-traitants. Le motif est facile à saisir. Dans le débat entre le sous-traitant et l'entrepreneur, l'administration est désintéressée: elle n'est point partie au procès : ses droits ne sauraient être compromis, quelle que soit la décision qui inter

vienne.

« Cette restriction n'est même pas la seule que votre doctrine eût apportée à la juridiction administrative en la matière. Pour reconnaître la compétence administrative, vous exigez encore deux conditions: la première, que le débat soit une conséquence directe, immédiate des travaux publics; la seconde, qu'il ne s'agisse pas d'une contravention aux règlements de police. Vous l'avez décidé notamment à la date du 23 juin 1848, dans une affaire héritiers Boyer contre Clément Richaud et la ville de Marseille. Le sieur Clément Richaud, employé à la journée par l'administration du canal que la ville de Marseille faisait construire pour amener les eaux de la Durance, descendant une côte rapide avec une lourde voiture attelée de plusieurs chevaux, rencontre la voiture du sieur Boyer, qui est blessé gravement et meurt peu de jours après. Action en dommages-intérêts contre le sieur Richaud et contre la ville de Marseille comme civilement responsable poursuite correctionnelle par le ministère public. Le tribunal, statuant sur l'action publique, condamne Richaud à six mois de prison, mais se déclare incompétent sur l'action civile. Appel de ce chef par les héritiers Boyer: déclinatoire rejeté par la cour d'Aix conflit. Et vous proclamez la compétence de l'autorité judiciaire, parce que l'accident résulte d'une faute commise en contravention aux règlements sur la conduite des voitures et qui ne rentre pas dans l'exécution du travail public, et qu'ainsi il appartient à l'autorité judiciaire de statuer d'après les règles du droit commun.

<< Dans cette espèce, vous répondiez, par avance, à la distinction que le préfet de la Seine s'est efforcé d'établir entre l'action en dommages-intérêts dirigée contre l'auteur du délit, et l'action en responsabilité civile, car la ville de Marseille est renvoyée, comme le sieur Richaud, devant les tribunaux ordinaires.

<«<< Examinons les faits à la lueur de cette jurisprudence. 1o Les faits sont clairs pas plus que dans l'affaire Vachier, il n'y a lieu de rechercher s'il y a eu inobservation des règlements ou des ordres de l'administration; il ne se présente aucune question préjudicielle. 2o Le fait sur lequel le débat a porté devant le tribunal de la Seine n'était pas la conséquence directe et immédiate de l'exécution d'un travail public: pas plus que dans l'affaire Vachier, aucun

ordre de l'administration n'était intervenu. 3° Il y avait eu, comme dans l'affaire Richaud, quasi-délit, contravention à des règlements de police. 4° Au fond, le débat portait sur l'interprétation des conventions passées entre la compagnie du Nord et ses sous-traitants. La cour d'Amiens, dans son arrêt, le tribunal de la Seine, les parties elles-mêmes dans leurs conclusions en appel le reconnaissent. « A tous ces titres, c'était à l'autorité judiciaire qu'il appartenait de connaître de la contestation.

« Nous aurions pu borner là nos observations; mais le ministre des travaux publics soutient que l'ordre public est intéressé au maintien de la juridiction administrative telle qu'il la comprend, telle que le législateur aurait voulu l'établir pour statuer sur les réclamations de l'espèce.

a Recherchons donc ce qu'a voulu le législateur et remontons à l'origine de la juridiction: elle est dans cette loi annexe de l'organisation judiciaire, en date des 7-11 septembre 1790, intitulée : Décret sur la forme de procéder devant les tribunaux administratifs et judiciaires, en matière de travaux publics, et qui, pour le dire en passant, supprimait en trois articles trente-sept sortes de tribunaux spéciaux et exceptionnels. »

M. le commissaire du gouvernement donne lecture des articles 3, 4 et 5 de cette loi (V. coll. Duvergier, I, p. 359), et il continue ainsi :

<< Permettez-nous de vous faire, après cette lecture, une question qui vous a déjà été adressée. Pourriez-vous tirer de ces textes le droit de traduire devant la municipalité du lieu l'entrepreneur qui, par sa faute, aurait causé la mort d'un homme?

« Qu'a donc fait la loi de pluviôse an VIII? Elle a réuni en un seul article les deux articles de la loi de 1790 qui statuaient, l'un sur les réclamations provenant du fait de l'administration, et l'autre sur celles provenant du fait personnel des entrepreneurs; elle a substitué à plusieurs tribunaux un tribunal unique.

« Elle n'a rien fait de plus. L'esprit qui avait dicté la loi de 1790 animait encore le législateur de l'an VIII. Pas plus en l'an VIII qu'en 1790, en créant une juridiction pour statuer sur les contestations que pouvait faire naître l'exécution des travaux publics, on ne songeait à étendre sa compétence au delà de la propriété, au delà des biens: on n'entendait pas donner à ces mots torts et dommages ce sens si général dans lequel ils comprendraient à la fois les choses et les personnes. Le rapport de Ræderer sur la loi du 28 pluviôse an VIII disait, dans ses termes brefs et expressifs, qu'elle avait pour but d'assurer à la propriété des juges accoutumés au ministère de la justice. Dans un document dont tous les termes étaient soigneusement pesés et mesurés, ces expressions sont significatives.

«< D'ailleurs, il était si peu question d'accorder alors à cette juridiction nouvellement créée ou réorganisée une telle extension, qu'elle ne possédait pas même encore la compétence en matière de grande voirie (*), qui ne lui fût at

(*) Ceci est une erreur. La loi du 28 pluviôse an VIII (article 4) porte que le conseil de préfecture prononcera sur les difficultés qui pourraient s'élever en matière de grande voirie. (Note du Secrétariat.)

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