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Au clergé et aux fidèles de l'Eglise catholique de France nous offrons ces pages faites de sincérité et de bonne foi...

L'heure n'est plus aux paroles, mais aux actes. Qu'on le veuille ou non, la nécessité s'impose d'édifier sans retard un régime nouveau sur les ruines du régime concordataire violemment renversé par le législateur, et d'asseoir les intérêts temporels de la religion sur des bases qui puissent défier les épreuves du temps et les attaques des passions. Ce sera l'œuvre de demain, œuvre à laquelle, réunis dans une communauté nécessaire de pensées et d'aspirations, confondant leurs efforts et leur dévouement, prêtres et laïques auront à travailler de concert, suivant le plan qu'il leur sera tracé, d'après l'avis de l'Episcopat, par le Chef suprême de la grande famille catholique.

Pour mener à bien cette entreprise, il est indispensable, quelle que soit l'attitude adoptée à l'égard de la législation nouvelle, d'en posséder une connaissance exacte et complète, dégagée de tout parti pris comme de toute illusion sur sa portée et ses conséquences, ses avantages et ses inconvénients. C'est à cette nécessité que répond le présent Commentaire.

Donner une interprétation rigoureusement juridique de la Loi de 1905; la montrer telle qu'elle est, telle que l'ont comprise et voulue ceux-là mêmes qui la votèrent; en indiquer l'application possible aux mesures de réorganisation du culte catholique c'est là l'unique but que nous nous étions proposé.

Pour peu qu'il nous ait été donné de l'atteindre et que ce Commentaire contribue à élucider des textes trop souvent obscurs et mal coordonnés, nous estimerons avoir fait, en l'écrivant, une œuvre modeste mais utile, et avoir bien servi le pays, en ce moment si troublé, qui est notre pays, la religion catholique si éprouvée qui est notre religion.

Grenoble, 1er Juin 1906.

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TITRE PREMIER

PRINCIPES

Sous ce Titre (1) la loi formule les quatre principes suivants: -1° liberté de conscience et des cultes;

2o neutralité religieuse et laïcité de l'Etat ;

3° suppression du budget des cultes;

4° suppression des établissements publics du culte.

§ Ier. Liberté de conscience.

des cultes.

Libre exercice

ENONCÉ DU PRINCIPE. Art. 1er La République assure « la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice ades cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans « l'intérêt de l'ordre public. »

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Au moment où un régime nouveau vient modifier des coutumes séculaires, écrit M. Briand dans son rapport à la Chambre des députés, il a paru« sage, << avant tout, de rassurer la susceptibilité éveillée des « fidè« les » en proclamant solennellement que, non seulement « la République ne saurait opprimer les consciences ou gêner dans ses formes multiples l'expression extérieure « des sentiments religieux, mais encore qu'elle entend res«pecter et faire respecter la liberté de conscience et la « liberté des cultes. >>

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Et, revenant sur cette idée dans la discussion (2), il a ajouté Par cette disposition, la République assure la << liberté de conscience, c'est-à-dire la liberté de toutes les « croyances, de toutes les religions..... Envisageant les

(1) « Dans une matière si importante et si délicate, il était difficile de ne << pas formuler, dès le début, les grandes lignes de la nouvelle législation, << afin de ne laisser aucun doute sur son esprit aux citoyens qui devront « l'observer, aux magistrats qui devront l'appliquer.» (Rapport de M. Maxime Lecomte au Sénat).

(2) Chambre des députés, 12 avril 1905 (J. off., p. 1347).

a manifestations extérieures des croyances ou des religions « qui constituent l'exercice des cultes, elle s'engage à en garantir la pleine et entière liberté. » (1).

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UTILITÉ. C'est encore M. Briand qui va nous l'indiquer dans son rapport. Une loi qui touche à des questions si complexes contient, dit-il, inévitablement des lacunes et « soulève des difficultés nombreuses d'interprétation. Le juge saura, grâce à l'article placé en vedette de la réforme, « dans quel esprit tous les autres ont été conçus et adoptés. « Toutes les fois que l'intérêt de l'ordre public ne pourra «< être légitimement invoqué, dans le silence des textes ou « le doute sur leur exacte application, c'est la solution libé«rale qui sera la plus conforme à la pensée du législateur. »

Le législateur de 1905 est-il toujours resté fidèle à ce principe inscrit au frontispice de son œuvre? N'a-t-il pas, au contraire, multiplié d'une façon exagérée les restrictions que pouvait commander « l'intérêt de l'ordre << public », et limité à l'excès l'indépendance des cultes dans l'accomplissement de leur mission religieuse et la gestion de leurs intérêts temporels? C'est à l'étude impartiale des textes, qu'il convient de demander la réponse à cette question. Pour le moment, contentons-nous de dégager, des considérations qui précèdent, cette règle indiscutable d'interprétation que, dans le doute, ce sera toujours la solution libérale, la solution sauvegardant le mieux la liberté de conscience qui devra être adoptée.

APPLICATIONS. La liberté pour chacun d'avoir sur les questions religieuses telle opinion qui lui convient, de pra tiquer telle religion que bon lui semble ou, s'il le préfère, de n'en pratiquer aucune, est expressément reconnue et devra être respectée chez tous les citoyens, « sans en excepter les fonctionnaires, qu'ils soient civils ou militaires. »

Sur ce dernier point, les déclarations de M. BienvenuMartin, Ministre des cultes, en particulier, ont été formelles.

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(1) Voir la sanction de ces principes dans les art. 31 et 32 (infrà Titre V). - Cf. art. 1o du Concordat : « La religion catholique, apostolique et romaine sera librement exercée en France. Son culte sera public, en se con<< formant aux règlements de police que le Gouvernement jugera nécessaires << pour la tranquillité publique. »>

Soit à la Chambre, soit au Sénat (1), il a énergiquement repoussé, comme inutile, tout amendement ayant pour but de faire dire par la loi que l'art. 1er s'appliquerait aux fonctionnaires comme aux autres citoyens (2).

RESTRICTIONS. - Le principe du libre exercice des cultes. posé, le texte fait entrevoir que des restrictions vont y être apportées « dans l'intérêt de l'ordre public. »>

C'est particulièrement dans les Titres IV et V que ces restrictions se manifestent. Les deux plus importantes sont, d'une part, la nécessité, pour tout culte public collectif, de se placer sous la tutelle d'associations de fidèles, dites cultuelles, soumises dans leur organisation et leur fonctionnement à un rigoureux contrôle administratif (Titre IV); d'autre part, l'établissement d'une législation exceptionnelle, dite « Police des cultes» (Titre V), en vue de réglementer les manifestations religieuses et de surveiller les ministres du culte dans l'exercice de leurs fonctions (3).

§ II. — Neutralité religieuse et laïcité de l'Etat. ENONCE DU PRINCIPE. Art. 2, § 1er: « La République ne

(1) M. le Ministre : « L'art. 1er est conçu en termes très généraux... par << conséquent il a une portée absolue et garantit à tous les citoyens, quels << qu'ils soient, fonctionnaires ou simples particuliers, leur liberté de con«< science..... J'ai ajouté (devant la Chambre, séance du 11 avril), que le << Gouvernement se considérait comme impérieusement obligé à respecter la << liberté de conscience de tous les citoyens, des fonctionnaires et des mili<< taires comme de tous les autres. >>

Toutefois il a aussitôt laissé entendre que, dans la pensée du Gouvernement, cette liberté n'allait pas sans quelques restrictions:

M. de Goulaine : « Autorisez-vous vos petits fonctionnaires, cantonniers et «< autres, à placer leurs enfants dans les écoles qui ne sont pas les écoles du « Gouvernement ?

M. le Ministre : « C'est une autre question. » (Sénat, 20 novembre, J. off., p. 1414).

(2) V. infrà Titre IV, pour le droit reconnu aux fonctionnaires civils et militaires de faire partie des Associations cultuelles.

(3) « Il n'y a plus d'autres limites au libre exercice des cultes que celles qui << sont expressément édictées dans l'intérêt de l'ordre public par la loi elle<< même... La liberté des cultes est la règle, la restriction est l'exception; et «< cette exception ne peut résulter que d'une disposition expresse de la « loi. » (Lhopiteau et Thibault, les Eglises et l'Etat, no 8).

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