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sous nos propres yeux. Que l'on aille dans les cam

pagnes et même dans les villes recueillir les traditions des anciens sur les événements du siècle de Louis XIV et même sur les premières années du siècle actuel : l'on verra quelle altération, quelle confusion se sont introduites, quelle différence s'établit de conteurs à conteurs, de témoins à témoins (1)!»

C'est donc une tâche incontestablement utile aux

intérêts de la vérité que celle qui consiste à recueilâ lir, avant qu'ils ne dépérissent ou ne s'altèrent, les témoignages des faits contemporains, et à préserver de l'oubli quelques-unes du moins de ces révélations qui, peu importantes en elles-mêmes, sans caractère historique, sont précieuses pourtant

(1) VOLNEY, Leçons d'histoire, troisième séance.

par le jour qu'elles répandent sur les grands événements de la scène du monde et sur la physionomie des personnages qui y ont figuré. C'est cet esprit de collection qui donne un mérite particulier aux Hommes illustres de Plutarque, de Plutarque, observateur à la fois malicieux et naïf, venu malheureusement trop tard pour cet emploi contemporain, et trop dépourvu parfois de cet esprit de critique qui rend sévère sur l'adoption des faits et sur le choix des autorités.

Mais, disons-le, cette tâche est spécialement du domaine de la chronique, et l'histoire proprement dite reconnaît des conditions d'un ordre plus élevé. Sobriété dans l'emploi des faits, impartialité rigoureuse dans leur examen, appréciation pénétrante de leurs causes, de leurs caractères et de leur portée,

expression fidèle de la physionomie des person

nages auxquels ils se rapportent, voilà, sauf erreur, ses attributs essentiels. A la différence du chroniqueur et du mémoriographe dont on n'exige rien, si ce n'est de l'exactitude, c'est un devoir impérieux pour l'historien d'éclairer et de conclure. Il doit distinguer avec soin ce que l'erreur ou l'intérêt ont affecté de confondre, et préparer par des jugements élaborés dans le silence des passions, les oracles de la postérité sur les événements dont il a entrepris de dérouler le ta

bleau.

Cette espèce de magistrature, sans doute, est grave et délicate, mais elle est loin d'être insurmontable pour l'histoire contemporaine. Peut-être même est-ce à ce genre de composition qu'il

appartient surtout de conserver aux événements leur couleur originale, de les réduire à leurs proportions naturelles, de retracer avec fidélité les impressions et jusqu'aux illusions qu'ils ont fait naître (et qui sont aussi de l'histoire), et de prévenir enfin ces admirations ou ces dénigrements absolus que l'avenir n'est que trop porté à accueillir, comme toutes les opinions qui présentent ce caractère. Car l'éclectisme historique n'est guère le partage que de deux classes d'hommes, à savoir, ceux qui se sont trouvés en présence des événements eux-mêmes, et les esprits observateurs et philosophiques qui savent que les apparences sont les plus redoutables adversaires de la vérité, que les événements ne sont pas plus absolus que les théories, et qu'ils ont

rarement cet enchaînement simple et régulier, cette

espèce de laisser-aller que nous leur trouvons dans la plupart des livres d'histoire, mais que nous ne rencontrons point dans ce grand livre appelé le monde, champ vaste ou les incidents se croisent en tout sens et avec des péripéties variées auxquelles l'imprévu a souvent le plus de de part.

Un autre reproche qu'on est en possession de formuler contre l'histoire contemporaine, n'est guère moins grave que celui qui vient d'être apprécié. Vouée par sa nature à la mise en lumière de personnages vivants, de personnages placés dans les rangs suprêmes de la société, elle manque nécessairement, dit-on, de cette

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