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vant les tribunaux, charge ou dégrève son budget, sans l'intervention ou la tutelle d'une autorité supérieure. «< En France, dit le même écrivain, le percep« teur de l'État lève les taxes communales (1); en Amérique le percepteur de la commune lève la taxe de « l'Etat.» Ce trait peut servir à caractériser la différence des deux gouvernemens.- Parmi nous le gouvernement central prête ses agens à la commune, il est sur le premier plan; aux Etats-Unis, la commune, levant par ses mains les deniers de l'État, est en première ligne; l'État se trouve sur un plan secondaire.

La société, en Amérique, est démocratique et communale dans ses élémens et dans son organisation; le publiciste qui en examine les institutions doit remonter de la commune à l'État, car la commune y fait vraiment le fond de la société.

En France, l'élément démocratique a une grande importance, comme nous le verrons plus tard; mais l'organisation est monarchique et représentative. La centralisation subordonne l'action de la commune et des autres divisions administratives à l'unité prédominante de l'État. Il faut donc se placer au sein de cette unité, sous peine de perdre toute vue d'ensemble, toute intelligence de notre organisation politique et administrative: il faut descendre de l'État aux départemens et aux communes.

En suivant cette méthode synthétique, qui va des élémens généraux aux élémens les plus simples, nous aurons à déterminer, dans notre constitution actuelle, les principes qui embrassent toutes les divi

(1) Cela est vrai seulement en ce sens que le percepteur de l'État remplit les fonctions de receveur municipal, aux termes de la loi; mais les communes qui ont plus de 30,000 fr. de revenus peuvent avoir particulièrement un receveur municipal, qui est nommé par le roi sur trois candidats que le conseil municipal présente. (Lói du 18 juillet 1837, art. 65.) Voir ci-dessous, liv. 2, chap. 2.

sions politiques et territoriales, qui s'étendent sur tous les degrés de la hiérarchie administrative.

Ils se résument en deux grandes idées, l'ACTION et la DÉLIBÉRATION, et en deux grandes institutions qui les représentent : le pouvoir exécutif ou administratif, le pouvoir délibératif.

Le même principe d'organisation qui a placé au sommet de l'État la royauté et la représentation nationale, a organisé, dans les sphères inférieures, des institutions correspondantes, qui représentent aussi, dans les départemens et les communes, l'action et la délibération, le pouvoir administratif et le droit d'examen ou de contrôle; en d'autres termes, le pouvoir et l'intervention sociale. « Le gouverne« ment représentatif (disait M. Martin de Gray << à la tribune) est l'intervention du peuple, par ses

délégués, dans l'exercice des pouvoirs publics, afin << que les pouvoirs s'exercent dans son intérêt. Il in<<< tervient par ses députés dans la législation et l'impôt, dans les tribunaux par le jury, dans les ad<«< ministrations locales par des magistrats ou des << conseils de son choix, dans l'ordre et la défense << du pays par la garde nationale (1). »

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Ainsi toutes les divisions de notre sujet, considéré dans son ensemble, seront soumises au principe essentiel qui place l'organisation des institutions politiques et administratives sous le double point de vue de l'action et de la délibération, et qui les résume, par conséquent, dans l'union du pouvoir et de la liberté.

Quant au Droit administratif, proprement dit, il est une loi de méthode générale qui nous a paru dominer ses divisions logiques et pénétrer ses par

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(1) Discours à la chambre des députés, du 17 mai 1820. - Moniteur.

ties les plus intimes on verra, dans le cours de ce livre, que tout le plan du Droit administratif repose sur deux idées fondamentales: la CONSERVATION de la société, le DÉVELOPPEMENT de la société (1). Toutes les lois qui constituent le droit administratif de l'État, des départemens, des communes, nous ont paru subordonnées à ces deux principes, qui sont les principes mêmes de la vie sociale.

Cette division ne s'est présentée à notre esprit qu'après de longs travaux qui venaient toujours échouer devant le nombre et le désordre des dispositions légales; une fois trouvée, elle a de suite aidé notre marche et simplifié le système. C'est dans l'espérance que ce principe de méthode pourra ne pas être inutile, que j'offre mon faible tribut à une science qui est encore près de son berceau, et qui ne peut marcher que dans une voie progressive.

En résumant ces observations préliminaires, nous disons séparer le droit administratif du droit public, ce serait lui enlever sa raison d'existence, séparer le droit public des principes philosophiques, pris dans la nature de l'homme et de la société, ce serait lui enlever sa base scientifique. Droit philosophique, droit public, droit administratif, telles sont donc les trois parties dans lesquelles se divise le cours; mais le Droit administratif se subdivise lui-même en trois livres: l'administration générale, l'administration locale, la juridiction, lesquelles sont considérées, du point de vue de notre méthode, par rapport à la conservation et au but de la société.

(1) Voir pour le développement de ce plan, le chapitre préliminaire, intitulé: Matière spéciale et plan du droit administratif.

DROIT PHILOSOPHIQUE'.

Le droit, dans le sens universel, c'est la raison appliquée aux rapports naturels, politiques et civils de l'homme et de la société.

Considéré dans chacun de nous, le droit, c'est la liberté de l'homme dans ses rapports avec la loi du devoir.

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L'homme et la société sont inséparables. L'homme n'existe comme être physique, intellectuel et moral que dans la société. Comme être physique, il ne vit et ne se soutient que par les soins des père et mère ou de la famille, ce qui constitue la première société; comme être moral et intellectuel, il ne vit et ne se développe que par l'éducation de la famille et de la société. L'action du droit s'exerce par suite de ce lien naturel et indissoluble entre l'homme et la société. Hors de la société humaine, il n'y a pas de rapports possibles, et là où il n'y aurait pas de rapports possibles, il n'y aurait ni droits ni devoirs. L'état de nature, confondu avec l'idée d'isolement absolu, et opposé à l'état de société, détruit toute application de la notion du droit, et détruit l'homme lui-même, qui, d'après ses conditions

(1) On peut consulter : 1o le Traité des lois, de Domat, en tête de ses Lois civiles; 2o L'ouvrage de Portalis, sur l'Usage et l'abus de l'esprit philosophique, 2 vol.; 3o Le Discours préliminaire sur le projet du Code civil, par Portalis; 4o Les Études de droit public, de M. Schutzemberer, professeur à la Faculté de droit de Strasbourg, 1 vol. in-8°, 1837;

5o L'Introduction philosophique au cours de législation pénale, par M. Ortolan, professeur à la Faculté de droit de Paris, 1839;

6o L'Introduction à l'Histoire du droit et la Philosophie du droit, de M. Lerminier, 3 vol. in-8°.

d'existence matérielle et spirituelle, ne peut vivre qu'en société, et qui, d'après l'histoire, ce grand témoin de l'humanité, n'a jamais vécu que dans la société de famille, de tribu, de peuple. Ainsi le droit, et même ce qu'on appelle le droit naturel, est essentiellement rationnel et social. Né de la raison, il s'applique aux rapports des hommes entre eux et avec la société.

Les publicistes qui se rattachent au système de Th. Hobbes sur l'origine des sociétés, comme Rousseau en France et Bentham en Angleterre, regardent l'homme comme un être isolé, ou, s'ils traitent de ses relations avec ses semblables, ce n'est pas en posant la loi de société comme loi naturelle. Ils sont préoccupés d'un état de nature distinct même de celui des peuplades sauvages. La société semble un accident de l'humanité, la condition sociale un état arbitraire qui pouvait ne pas être et qui n'a d'autre but que l'utilité. Ils ne voient pas que la vie humaine ne pouvant se développer sous ses rapports physiques, intellectuels et moraux, que dans le sein de la société, la société est vraiment l'état naturel de l'homme. - Mais, en adoptant le système fondamental de Hobbes sur l'origine des sociétés, ils lui demandent des conclusions entièrement opposées. Hobbes, dans son livre du citoyen, fondait sur les effets de la convention primitive le pouvoir d'un seul; Rousseau fondait sur le contrat social la souveraineté absolue de tous: en partant du même point, l'état de nature antérieur à toute société, le premier voulait arriver au despotisme, le second à la liberté. Le publiciste anglais du temps de Charles II avait été plus grand logicien en cette matière que le philosophe du XVIIIe siècle. - En effet, il voyait l'état de guerre individuelle dans l'état de nature, et il admettait la domination de la force comme le vrai et légitime résultat de l'association humaine. A ses yeux la force de tous, résumée et régularisée dans la puissance d'un seul, valait mieux que le combat perpétuel des individus, l'anarchie de l'état primitif. La société, même sous le joug du despotisme, était done, en ce sens, un progrès, une conquête utile sur l'état de nature. Mais c'était le même principe,

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