A PEINE les journaux eurent-ils annoncé l'impression des deux premiers volumes de ces Mémoires, qu'il s'éleva une rumeur fâcheuse. Mémoires sur l'intérieur du Palais !!! Quel champ plus vaste pour la malignité et pour la médisance! L'auteur aura-t-il pu se maintenir dans les limites d'une narration convenable? Mes éditeurs furent assaillis de questions, de lettres, de visites même.... On s'imaginait que le voile des intrigues les plus secrètes du sérail allait être levé en un mot, on s'attendait à du scandale.... Mais, n'ayant jamais ambitionné un succès aussi peu honorable que facile, j'avais écarté avec un soin extrême tout ce qui avait quelque rapport avec les bavardages des TOME III. ruelles et des antichambres, pour ne m'attacher qu'à ce côté de la physionomie que néglige la sévérité de l'histoire. La bienveillance avec laquelle on m'a traité m'a prouvé, plus que jamais, que les mœurs, les goûts et les habitudes d'un personnage éminemment célèbre, ne sont pas sans intérêt pour ceux qui aiment à rapprocher, même les plus petits détails d'une vie privée, de ces grandes scènes qui influent sur la destinée des peuples. Il faut laisser à l'histoire le tableau des événemens importans qui changent les empires, les lois et les gouvernemens. Ce genre, nécessairement grave, exige impérieusement de l'éclat et quelque appareil. Plus modeste et plus simple, celui que j'ai choisi permet ces récits naïfs et familiers avec lesquels on est toujours sûr d'intéresser, quand ils sont vrais et fidèles. On m'a presque fait un reproche sérieux d'avoir été trop indulgent, trop laudatif, et de n'avoir vu que le côté favorable. Je l'avoue de bonne foi: mes sentimens m'ont toujours porté à me glisser au milieu des passions con temporaines, en évitant de les froisser et de les heurter. Je voulais plaire sans blesser, je voulais être lu; et je n'ai jamais été plus content de moi que lorsque j'ai trouvé l'occasion de dire du bien de l'un de ces personnages que j'ai, pour ainsi dire, groupés autour de la figure principale dont je voulais faire mieux ressortir les traits et le caractère. On a trouvé de l'exagération dans le récit que j'ai fait de diverses circonstances dans lesquelles Napoléon s'est montré pendant les dix années de ma vie qui lui ont été consacrées : mais l'époque que j'ai voulu dessiner fut à mes yeux brillante de tous les genres de gloire; elle parla si vivement à mon imagination, elle jeta dans mon ame des impressions si profondes, qu'il ne faut point s'étonner d'en retrouver l'empreinte dans des souvenirs qui se présentent encore à moi parés de toute leur fraîcheur. Ce cadre que j'avais à remplir se composait de la prodigieuse prospérité de la France, de l'éclat magique de tant de victoires, de tant d'élévation dans les beaux-arts, de tant de grandeur dans toutes les parties de l'administration d'un empire si vaste, qu'il serait bien temps en vérité que l'on ne demandât plus compte aux gens d'un enthousiasme qu'à peu près toute la France partageait alors avec tant d'abandon. D'ailleurs, depuis quelques années, tant de gens se sont chargés de la partie critique, qu'il doit paraître juste qu'une voix fidèle et reconnaissante fasse remarquer ce qu'il y a de louable. On m'a encore reproché d'être entré dans des détails minutieux sur l'étiquette du palais : mais l'étiquette est de première rigueur dans les palais des souverains, elle existe dans tous, c'est un des ennuis du trône; et l'on a dit que l'une des causes de la révolution fut le mépris que l'on en fit à la cour de Louis XVI. En établissant une étiquette convenable dans sa cour, Napoléon ne fut certainement pas dirigé par un motif de vanité personnelle, car ses goûts étaient simples; mais il se flattait avec raison qu'un appareil imposant qui, à cette époque de la révolution, était une es pèce de nouveauté pour le peuple et pour le soldat, les disposerait insensiblement au respect et à l'admiration. Cependant cette grande magnificence ne régnait qu'autour de lui, et jamais dans ses habitudes; sa petite redingote de drap gris et son petit chapeau auront toujours une célébrité bien supérieure au fastueux étalage des broderies et de la pourpre. Ma déférence pour la critique m'a fait supprimer, dans la seconde édition et dans celleci, le menu d'un des dîners de l'empereur. Cependant nous ne sommes pas trop fachés de savoir que, sous le règne de saint Louis, un des officiers de la couronne était qualifié de poulailler du roi; et le bon roi René de Provence n'a pas moins de célébrité dans l'histoire par la procession des diables d'Aix, que par les perdrix rouges qu'il fit venir de l'île de Chio pour les naturaliser en France. Ces graves antécédens devaient me justifier. Il m'a donc été facile de juger que les Mé |