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seurs, des maîtres de grammaire, de rhétorique ou de philosophie, appartenaient, comme eux-mêmes, à la race japhétique. C'étaient les fruits du rapt ou de la guerre, ou bien ils étaient nés dans cette condition même, et selon le mot de l'auteur de l'Histoire de l'ancien esclavage, l'origine première de cette institution se découvre dans la prétention que l'homme manifesta, de bonne heure, de se soustraire à la loi du travail pour l'imposer à quiconque se trouvait sous sa main. « La femme, les fils de famille purent, à ce titre, servir les premiers dans la vie domestique; puis les plus faibles tombèrent dans la dépendance du plus fort. Ainsi, qu'il résulte de la puissance paternelle ou d'une puissance étrangère, qu'il soit accepté ou subi, toujours l'esclavage est un abus de la force, et s'il a pu dominer, comme un fait accompli, les institutions des législateurs et les théories des philosophes, jamais il ne dut s'établir en droit au tribunal de la raison ».

De même que l'état nomade, la vie agricole eut, à ses débuts mêmes, ses formes de servitude. Hérodote rapporte que les Scythes crevaient les yeux aux esclaves qu'ils employaient à traire le lait de leurs troupeaux et Job possédait, avec 7,000 brebis et 500 jougs de bœufs, une multitude d'esclaves. Dans l'histoire des patriarches, l'esclavage, ainsi que le fait remarquer M. Wallon, se montre avec son double caractère de perpétuité et de mobilité : perpétuité et hérédité dans l'obligation de servir; mobilité dans la situation du serviteur qui passe incessamment d'un maître à un autre par vente, donation ou succession. L'héritage qu'Abraham transmet à son fils Isaac se compose, avec ses troupeaux, d'esclaves nés et d'esclaves achetés. Rebecca, lorsqu'elle passe de la maison de son père en celle d'Isaac; Lia et Rachel, quand elles épousent Jacob, reçoivent des jeunes filles, en forme de dot ou plutôt de pécule. Voilà les coutumes que Moïse trouva établies et qu'en homme très supérieur à son époque il eût volontiers fait disparaître; mais il avait affaire à un peuple très entêté et très dur de cœur: Durissimi cervicis et cordis, et il lui arriva pour l'esclavage ce qui lui était arrivé pour la polygamie il dut transiger. La loi mosaïque conserva donc l'esclavage, l'étendit même, mais à des conditions qui en tempéraient singulièrement la rigueur et en modifiaient profondément le caractère. Elle punit de mort le maître qui tuait son esclave, et elle affranchit de plein droit l'esclave à qui ce maître crevait un œil ou cassait une dent. Elle prit sous sa protection la femme que le sort de la guerre livrait à la sensualité de l'homme: cessait-elle de plaire à son maître, celuici devait la renvoyer libre. Elle prohiba enfin ces odieuses mutilations qu'avaient inventées le despotisme oriental pour la protection de ses plaisirs. Les rois, néanmoins, eurent des eunuques, et à Jérusalem comme ailleurs ces eunuques surent obtenir les charges les plus importantes.

Mais c'est dans les restrictions qu'il apporte à l'usage de l'esclave qu'apparaît toute la pensée du législateur. L'essence de cet usage est d'être perpétuel et Moïse en limitait la durée à six ans pour les enfants d'Israël, peut-être même pour les esclaves étrangers devenus Israélites par la circoncision. Adouci dans ses rigueurs, l'esclavage se trouvait aussi limité dans son temps. Dans un cas pourtant il devenait perpétuel c'était le cas où l'esclave, satisfait, sans doute, du sort dont il jouissait près de ses maîtres se refusait au bénéfice de la loi qui le rendait libre à la septième année. « Présenté aux juges du peuple, il était ramené à la porte de son maître; là, on lui perçait l'oreille et il devenait esclave pour toujours; loi rigoureuse, mais inspirée encore par une pensée de réforme et d'affranchissement. Sous la menace de cet engagement qui pouvait être éternel, elle le pressait de reprendre ses droits, et le forçait de ne point rester dans cette indifférence coupapable qui préfère le pain assuré de l'esclavage aux soucis et aux périls de la liberté. »

Sur les monuments de Carnak, d'Ipsamboul et de Medinet Abou, les nègres et les asiatiques figurent tantôt seuls, tantôt accouplés à la même chaîne. Dans les usages de la vie commune l'esclavage paraît avoir eu chez les Egyptiens diverses garanties. Mais les captifs faits à la guerre devenaient en général les esclaves de l'Etat, et voués aux grands travaux publics que les besoins du pays réclamaient, ou que l'orgueil des Pharaons concevait, ils menaient une vie fort dure. Ces digues, ces terrassements, ces canaux, ces temples, ces colonnes, ces obélisques qui couvraient le sol de la vieille Egypte étaient l'œuvre des captifs, et le peuple, qui avait maudit les constructions des pyramides édifiées avec ses propres bras, bénissait les conquêtes d'un Séso stris, inscrivant sur la pierre qu'ici le bras d'aucun Egyptien n'avait fatigué. De même les monuments de Ninive, récemment exhumés, nous remettent sous les yeux toutes les horribles conséquences de la guerre chez les anciens ici ce sont des vaincus torturés, empalés, écorchés vifs; là des vaincus épargnés, mais emmenés, les menottes aux mains, devant le roi qui leur met le pied sur le cou, ainsi que, sur l'ordre de Josué, les chefs d'Israël le firent au roi de Chanaan. Dans un coin de la scène, des scribes enregistrent le nombre des têtes que l'on apporte ou des prisonniers qu'on amène. Ce que valaient les esclaves, les tablettes bilingues du palais d'Assur-Bani-Habal nous l'apprennent: une femme, à l'époque de Teglath Phalassar, est vendue 10 mines et demie, soit 2,362 francs; mais c'est un prix tout à fait extraordinaire, et plus tard on voit deux hommes et une femme ne valoir ensemble que 675 francs et une femme seule 337.

Il n'y aurait rien de bien particulier à signaler dans le régime servile chez les Mèdes et plus tard les Perses n'étaient la profusion dans les maisons

des grands, comme dans le palais des rois, des cuisiniers, des échansons, des valets de table, des joueuses de flûte, des porteurs, des baigneurs et surtout des ennuques, et l'habitude de vouer les jeunes filles aux plus infâmes pratiques de la supertition dans les temples d'Anaitis en Arménie, de Comane en Cappadoce et ailleurs. Aussi bien les femmes libres ne venaient-elles pas disputer aux esclaves, comme dit M. Vallon, l'étrange honneur de cette prostitution, non seulement à Comane et à Anaitis, mais encore au tombeau d'Hyliatte en Lydie, dans le temple de Vénus à Biblos, dans le sanctuaire de l'impure Mylitta à Babylone? Le savant historien a toutefois raison d'affirmer « que nulle part, peut-être, d'une manière plus éclatante que dans la Grèce, au sein de la civilisation la plus avancée, l'esclavage n'apparut avec son action dégradante et meurtrière. Il y abaissa les races les mieux douées, il engloutit d'héroïques générations et ne cessa, par suite de ces guerres d'ambition que les villes se faisaient continuellement les unes aux autres, de mêler au sang hellène le plus pur le sang des peuples barbares du nord et celui de populations civilisées, mais dégradées par le despotisme de l'Asie.

L'exposition des enfants, la vente d'eux-mêmes que la misère poussait certains citoyens à consentir, la sentence de la loi, mais surtout la guerre et la piraterie, telles étaient les sources de l'esclavage en Grèce. Les esclaves étaient attachés au service domestique et aux divers travaux ou de la ville ou des champs. Les villes avaient des esclaves sacrés, qui avaient sans doute leur emploi dans les fêtes du culte, et d'autres qu'elles chargeaient de leurs travaux publics, parfois de la police urbaine, comme par exemple les 1,200 archers scythes d'Athènes. Les prix d'achat variaient naturellement selon la qualité de la marchandise, son abondance ou sa rareté. Au temps de Démosthènes un particulier achetait la courtisane Néera au prix de 2,608 francs, et les prix de 870, de 1,205, de 1,750 francs n'étaient point rares. Mais il s'agissait ici d'esclaves dont on payait le savoir et l'intelligence, ou d'esclaves mis au service du plaisir et cotés plus haut encore. Pour l'esclave commun, son prix flottait entre 200 et 400 francs. Dans ses Nuées, Aristophane estime un cheval à un taux deux fois et demi plus élevé. Mais en Attique les chevaux étaient rares et les esclaves abondants.

Rome tira ses esclaves des mêmes sources que la Grèce. Seulement, comme elle faisait la guerre plus en grand, c'étaient des peuples entiers qu'elle mettait en esclavage. César raconte avec un horrible sang froid qu'il tue, prend et vend: Senatu nec rato, reliquos sub corona vendidit. En une seule fois il vendit 53,000 hommes, et s'il fallait s'en rapporter à Plutarque et Appien, il aurait fait 1,000,000 de captifs en Gaule. Quant à la façon dont les Romains traitaient leurs esclaves, il faut lire, pour s'en édifier, les comédies de Plaute. Les verges, le bâton, les étrivières, /es chaînes aux reins, la fourche au cou étaient pour le maître le rudi

ment de la discipline domestique. Les récalcitrants, les indisciplinés étaient envoyés au moulin ou pistrinum, ou bien aux carrières et aux mines. Et Diodore raconte que dans ces lieux souterrains on ne faisait grâce, ni aux estropiés, ni aux infirmes, ni aux femmes : tous indistinctement étaient contraints, à coup de fouet, de travailler jusqu'à ce qu'ils tombassent, pour ne plus se relever. Nul moyen d'échapper à cet enfer terrestre; où fuir, où aller? La loi condamnait le recéleur d'un esclave fugitif à payer le double de sa valeur, et Rome n'admettait pas le droit d'asile dans les temples accepté par la Grèce. Repris, le fugitif était certain d'un surcroît de maux, et il courait le risque que son maître le jetât en pature aux bêtes du cirque.

Par une juste rétribution, l'esclavage devint un des agents les plus actifs de la ruine de Rome. Les guerres serviles l'avaient mise plusieurs fois à deux doigts de sa perte; les affranchis vengèrent Eunus et Spartacus. A un certain moment ils remplirent les curies et les tribus ; ils figurèrent dans les légions et composèrent les cohortes urbaines de Rome. On sait ce que furent Callixte sous Caligula, Pallas sous Claude, Narcisse sous Néron. Et qu'apportaient les affranchis dans la vie civile ? M. Vallon va nous le dire: ils y apportaient «< leurs habitudes de fainéantise et le mépris du travail, le goût du luxe et de toutes les mauvaises industries qui en jetaient quelque reflet passager sur leur misère. » Par un autre côté l'esclave fut fatal à Rome. A l'époque où un Cincinnatus quittait alternativement la charrue pour l'épée et l'épée pour la charrue, l'agriculture avait été sa grande nourricière. Mais sous l'Empire, les petits colons avaient disparu, les latifundia s'étaient formés et le sol italien, abandonné aux plus mauvais esclaves, devint un désert. Il n'était pas épuisé mais dédaigné, et il exerçait de justes représailles : non tamen surda tellure, sed nos miramur ergastulorum non eadem emolumenta esse quæ fuerunt imperatorum.

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Cette influence de l'esclave sur les classes libres et sur les classes servites elles-mêmes, M. Wallon l'a décrite daus une série de chapitres qui comptent parmi les meilleurs de son savant et si intéressant travail, dont il est bien permis de dire qu'il épuise la matière. Lors de son apparition, c'était en 1847, la presse et la tribune retentissaient également des échos d'une lutte passionnée ponr et contre le maintien de l'esclavage colonial. Aussi M. Wallon fit-il précéder son histoire d'une introduction sur l'esclavage colonial, et ce morceau il l'a conservé en tête de sa deuxième édition. Il a fort bien fait, selon nous, car cette étude, très étendue et très logique, est une page de l'histoire contempo raine. Elle donne une juste idée de ce qu'était l'esclavage, il y a une trentaine d'années, dans nos propres colonies du golfe du Mexique, et de ce qu'il est aujourd'hui à Cuba et au Brésil, les deux seuls pays chrétiens qui le conservent encore. Ce régime était une honte aussi bien

pour les planteurs qui en bénéficiaient que pour le gouvernement français qui le tolérait; mais quelque chose de plus honteux encore, c'étaient les sophismes, tour à tour grotesques ou monstrueux, qui se pressaient sous la plume de ses défenseurs officiels et officieux.

Ad.-F. DE FONTPERTUIS.

ATLAS GRAPHIQUE ET STATISTIQUE DU COMMERCE DE LA FRANCE avec les pays étrangers pendant les années 1859 à 1875, par M. BONNANGE, publié par ordre du ministre de l'agriculture et du commerce.-Paris, J. Baudry, in-folio 1878.

Nous sommes un ennemi déclaré des in-folios, et surtout des grands infolios, notre haine grandit avec le format,-et si avec cela on habille la statistique avec luxe, nous condamnerions volontiers l'auteur, l'éditeur et le protecteur de l'œuvre aux plus lourdes amendes. On comprend que nous avons ouvert l'Atlas graphique de M. Bonnange avec un sentiment prononcé d'hostilité, mais en l'examinant de près nous avons oublié les petits inconvénients du grand format, pour ne nous occuper que de la clarté de l'exposition et de l'enseignement qui en ressort d'une manière frappante. Un seul coup d'œil sur l'un de ces diagrammes suffit pour qu'on saisisse, on pourrait dire : subitement, l'ensemble des mouvements d'importation et d'exportation d'une marchandise, et notamment qu'on distingue les rapports qui se sont établis dans la période 1859-1871 entre les entrées et les sorties. L'auteur a eu le bon esprit d'éviter les figures dont les dimensions ont besoin d'être calculées pour qu'on s'en rende compte, et de ne se servir que de parallélogrammes étroits ou de courbes dont la grandeur ou la direction se constatent sans la moindre peine. C'est moins artistique, mais c'est plus utile.

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Prenons un exemple, que ce soit l'un des tableaux de la série des grains, plus spécialement, le tableau du froment. Des diagrammes spéciaux sont consacrés à nos rapports avec les principaux pays, mais contentonsnous des résultats généraux, il nous suffisent. Voyez au diagramme de l'importation, ces montants ou verticaux qui s'élèvent à une hauteur de 9,500,000 quint. métr. et à 9,750,000 quint. métr. à côté des verticaux qui restent à 275,000 ou 600,000, — la moyenne est marquée à la hauteur de 3,800,000. La différence est saisissante, on la touche du doigt. C'était une bonne idée que d'indiquer partout la moyenne. Nous constatons ainsi que l'importation à oscillé autour de la moyenne 4 à 5 fois dans une période de 17 ans, qu'elle est allée 4 fois bien au delà (1861, 1867, 1871, 1874) et qu'elle est restée 7 fois sensiblement au-dessous. Le diagramme de l'exportation est tout aussi clair, mais les verticaux

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