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croit on qu'il fût fi facile de faire oublier à nos follats & leurs fermens & leurs intérêts? Avoient-ils beaucoup à fe louer du régime précédent? & n'en favent-ils pas all z pour être convaincus qu'il vaut beaucoup mieux pour eux, fous tous les rapports, être les foldats de la Nation que les foldats du Roi? La féduction ne pourroit jamais être que partielle & momentanée. Le plus grand nombre fera toujours fidèle, & nous répondra des autres.

Je craindrois beaucoup plus l'anarchie: on ne peut le diffimuler que deux chofes principalement encouragent les ennemis de la Révolution, l'indifcipline militaire qui s'eft manifeftée dans plufieurs endroits & le refus de payer les impôts, qui a troublé plufieurs provinces. Il fuffit de voir combien les Ariftocrates en triomphent pour fentir combien les Patrio:es doivent

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en affliger. J'ai peine à concevoir comment des foldats François ne mettent pas leur honneur à obéir à la Loi & au Roi, comme auparavant ils obéiffoient au Roi seul. Quant au peuple, qui ne voit guère que l'intérêt du moment, je conçois trop bien comment il croit gagner ce qu'il ne paye pas. Mais s'il favoit le mal qu'il fe fait! Si tous ceux qui font à portée de lui parler journellement, les Curés, par exemple, lui répétoient fans celle qu'en ne payant pas ce qu'il doit à l'Etat, il mer l'Etat dans l'impuiffance de payer ce qu'il doit, & qu'une banqueroute

peut ébranler une conftitution qui fera néceffairement fon bonheur ! à Paris du moins il paroît l'avoir compris : mais Paris eft le centre des lumières, & tant de gens font ce qu'ils peuvent pour empêcher qu'elles ne fe répandent!

Prefque à l'inftant où M. Brissot justifioit victorieufement le Comité des Recherches, il paroiffit un rapport rédigé par M. Garan de Coulon, Membre de ce Comité, & qui fait également honneur au Comité & au Rédacteur: il s'agit de la dénonciation d'un complot attribué à M. de Maillebois. L'affaire eft maintenant au Châtelet, & dans tout ce qui eft fait pour être contradictoirement plaidé, il faut, comme je l'ai dit ailleurs, attendre l'inftruction &

outer toutes les parties pour prononcer un jugement, quoique chacun puiffe, en fon ame & confcience, pefer les préfomptions & les probabilités morales. Je ne parle ici de ce rapport que pour faire obferver la fag:ffe, l'intégrité, la modération qui règnent dans les procédures & dans les interrogatoires. Rien ne reffemble ici à l'ancienne méthode judiciaire. Rien d'infidieux, rien de dur, rien de defporique. Par tout une marche fimp'e, claire, franche & loyale. On ne ten point de pièges à l'accufé (M. Bonne-Savardin): on fe contente de lui remontrer les contrad ctions. où il tombe de lui-même, & il n'a nulle part à combattre que la raifon, la vérité & fa confcience.

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Une chofe, à mon gré, manque à ce rapport. Dans le plan de la confpiration donné par le dénonciateur, il eft dit que Fon fe propofoit d'engager MM. Mounier & Lally Tolendal à redig r un manifefte pour foulever les provinces au moment où les troupes étrangères y entreroient. Il étoit de la juftice, ce me femble, d'observer qu'un pareil deffein de la part des confpirateurs ne forme non fealement aucune preuve, mais même aucune préfomption contre les deux hommes dont ils fe flattoient d'employer la plume. J'ai panfé comme tous les bons Citoyens fur la retraite de MM. Mounier & Lally Tolendal: je crois qu'il n'eft permis, en aucun cas, de quitter le pofte où la Patrie nous a plicés: je regrete que deux hommes célèbres, qui avoient montré des talens & des vertus, fe feient -condamnés à les rendre inutiles. Leurs expof's ne m'ont point convaincu. Je perfifte à penfer que les Membres d'une Affemblée légiftive & conftituante fent religieufement tenus d'y reller, quand même leurs opinions ne s'accorderoient pas en tout avec fes décrets. Ne dûr en faire du bien à l'Etat qu'un feul jour, la vertu eft à peur. attendre ce jour. Mais, d'un autre côté, je ne fuis nullement de l'avis de ceux qui regardent comme nos ennemis ceux qui n'ont pas fait tout ce qu'ils devient faire. C'eft manquer à la fis à l'équité & à la politique que de fe hater ainfi de compter

parmi les méchans & les pervers ceux qui n'ont été que foibles ou prévenus. Onpeur, par trop de fenfibilité, ne pas réfilter au Spectacle des défordres & des crimes inféparables d'une Révolution violente;

peut, par trop d'amour-propre, être bleifé de n'avoir pu faire prévaloir fon opinion: mais combattre fa Pattie après l'avoir fervie; mais fe rendre les vils inftrumens d'un complot abominable, devenir les prédicateurs de la révolte & les trompetes de la guerre civile ce font des lâchetés & des atrocités den je crois bien incapables des hommes tels que MM. Mounier & Lally Tolenda!.

Une autre faute plus grave, c'est de donner comme un motif de dénonciation que tel homme n'a ceffé de témoigner fa haine & fon mépris pour l'Affemblée Nationale & pour la nouvelle Conftitution, On ne doit dénoncer ni la haine ni le mépris c'est dénoncer les fentimens & les penfees, que la tyrannie feule veut aflujettir, & que la loi ne domine point. La bi ne commande qu'aux actions: elle n'a rien à voir aux difcours ni même aux écrits, à moins qu'ils n'expriment publiquement la défobéiffance & la révolte, & dans ce cas feul, c'est un délit contre Fordre public. Celui qui dit à fes concitoyens Foulez aux pieds la loi; abattez » des têtes que la loi n'a point condamnées; frappez les victimes que je vais

» vous défigner, &c. « celui là n'eft coupable que d'un degré de moins que s'il faifoit tout ce qu'il veut qu'on faffe. Il eft clair qu'il eft affallin & perturbateur public aut nt qu'il eft en lui de l'être; il doit. être févèrement puni. La dénonciation. contre des difcours qui ne portent point. ce caractère, eft arbitraire & illégale; car elle pourfuit ce que la loi ne défend, point.

Au refte, ce complot imputé à M. de Maillebois n'eft pas plus fènfé que tous ceux dont fe bercent encere ceux qui efpèren une con te révolution. On y demonde tout fimplement au Roi de Sardaignet z5 mille hommes, qui font à peu près tout ce qu'il a de troupes, & 7 ou 8 millions que probablement il n'a pas de refte. On n'oublie qu'une chofe, c'eft de dire ce qu'on lui donnera en retour; car apparen men: il ne donneroit pas fon argent & fest troupes pour tien: cette politique n'eft pas à l'ufage des Souverains. Enfuite on ne projette rien moins que de faire traverfer la France à ces 25 mille hommes, pour venir bloquer Paris & l'amener à réfipifcence. Sans doute on croyoit que cette armée de 25 mille Piémontois traverferoit la France, comme les 30 mille Macédoniens d'Alexondre traverfoient l'Afie. Mais quand ce feroient, pour me fervir d'une expreffion plaifonte de Voltaire, so mille Alexandres payés à 4 fous par jour, je crois qu'ils

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