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Tartares rentrèrent dans la Chine & s'en emparèrent. Tout le monde connoît la fage politique des vainqueurs; ils adoptèrent les Loix des vaincus, s'approprièrent l'ufage de leurs Arts & de leurs Livres : mais, comme la plupart des Peuples de l'Afie, naturellement trop attachés à leur propre Langue pour y renoncer, ou même la négliger, ils ont traduit en Mantchou tous les Livres Chinois, ou du moins le plus grand nombre. Le favant M. Amyot, cité par notre Auteur, nous affure » qu'il n'y » a aucun bon Livre Chinois qui n'ait été » traduit en Mantchou; ces traductions » ont été faites par de favantes Académies,

par ordre & fous les aufpices des Sou-» verains.... Elles ont été revues & cor' rigées par d'autres Académies, non moins

inftruites Voilà pofitivement ce qui rend aujourd'hui cette Langue bien précieufe. On connoît les difficultés du Chinois; ce langage hieroglyphique que les naturels même du pays ne favent ja mais bien, que prefque aucun Littérateur Européen n'ole même étudier ces difficultés nous privent d'une foule d'Ouvrages curieux, enfevelis dans cette Langue, & qu'on ne pourra jamais en tirer fans le fecours d'une intermédiaire. C'eft le Tartare qui va nous rendre ce fervice inappréciable. Aidé de ce flambeau, nous pourrons pénétrer dans le labyrinthe de la Langue Chinoife, où le trouvent les

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plus anciens monumens littéraires qui foient dans l'Univers «. Il faut espérer que les Savans, qui, rebutés par les difficultés inconcevables du Chinois, avoient abandonné à regret cette branche de Littérature, vont la cultiver avec plus d'ardeur que jamais, puifqu'il leur fuffira d'étudier le Mantchou; ils pourront le favoir. à fond en très-peu d'années. Cette » Langue, dit M. Amyor, eft dans le goût de celles d'Europe; elle a fa méthode » & fes règles; en un mot, on y voit clair«. Cependant cette étude importante auroit encore été long-temps négligée, fi ce refpectable Millionnaire n'eût envoyé fuccefhivement un Syllabaire, une Grammaire & un Dictionnaire Mantchoux. Ces précieux matériaux ont été confiés à M. Langlès; il s'en eft occupé avec ardeur, & s'eft chargé de les faire imprimer. Il nous donne dans fon Alphabet une idée de l'utilité du Mantchou, des peines qu'il a éprouvées pour apprendre cette Langue tout feul, & en faire graver les caractères. Dans ce travail, pour lequel il n'a eu ni maître ni guide, les difficultés typographiques fe réuniffoient aux diflicultés littéraires.

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» Au lieu d'un Alphabet fimple comme. le nôtre, dit-il, les Tartares ont un Syllabaire de 14 à 1500 groupes, plus ou » moins compliqués; ils le nomment les douze Têtes, parce qu'il eft partagé en » douze Claffes, dont chacune contient

cent douze groupes, fans en compter plufieurs autres, empruntés du Chinois "." Ces combinaisons rendent tous les fons de leur Langue, mais ne préfentent pas toures les figures des lettres, car il en manque plufieurs dans le Syllabaire, & fur - tour beaucoup de ligatures on voit combien il a été difficile pour M. Langlès de fe mettre feulement au fait de la lecture du Tartare. Il vouloit applanir les difficultés pour ceux qui le fuivroient dans la même carrière, & fur-tout il étoit très-impatient de publier ce Dictionnaire. On ne pouvoit l'imprimer qu'avec des caractères mobiles, & il n'avoit devant les yeux que des males informes. Après avoir long-temps réfléchi fur cette matière aride, il imagina' une opération dont les Tartares eux-mê mes ne fe font pas avifés; il analyfa les 500 groupes du Syllabaire, & une foule d'autres mots très-difficiles à lire, & parvint à en tirer vingt-trois lettres & quel ques ligatures; la plupart ont trois formes, initiale, médiale, & finale. » J'ole croire, » dit-il, que c'est le premier Alphabet complet de cette bangue inconnue, neme "aux Peuples qui la parlent; car leurs en" fans apprennent le Syllabaire en chantant, » &, je crois, avent en pleurant «. Les Tartares ne fe doutent pas certainement qu'ils apprendroient leurs lettres plus facilement à Paris que dans leur pays. Il feroit trèspoffible que le Peuple fe fcandalilât de

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voir qu'on a réduit à une foixantaine de figures les quinze cents groupes de fon riche Syllabaire. Accoutumé à être trompé, il croiroit qu'on veut lui enlever jufqu'à fes lettres; mais il ne tarderoit pas à fe confoler, voyant que ce petit Alphabet eft bien plus complet que fon Syllabaire, & peut lui fervir à lire tous fes Livres. L'avantage de cette innovation le rendroit moins méfiant & moins timide; il pourroit même voir avec plaifir qu'on a remplacé fes planches, groflièrement fculptées, & deftinées à n'imprimer qu'un feuf Ou vrage, par de fuperbes caractères mobiles, gravés par M. Firmin Didot, fous la di rection de M. Langlès. Ils peuvent fervir à imprimer tous les Livres Tartares, & les poinçons ne fe montent pas à foixante, tant l'Auteur a fimplifié fon travail. On ne l'appréciera bien qu'en étudiant le Tartare, & en connoiffant la Typographie. Cependant on pourra fe former une idée de fon opération fur ces caractères, par un exemple qu'il donne dans fon Ouvrage, auquel nous renvoyons le Lecteur. A la fuite de fon Alphabet, on trouvera un petit Traité de la Ponctuation & des Accens du Mantchou, avec un modèle de lecture. Ce, font des Sentences Tartares en caractères originaux, avec la prononciation & la traduction. Nous en citerons ici quelques-unes. "La vie » & la mort dépendent d'un moment. Lire » un Livre qu'on ne connoît pas, c'eft

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"trouver un bon ami; relire un Livre qu'on a lu, c'eft revoir fon ancien ami. Réjouiffez ceux qui vous approchent, dit le » Docteur Kongtze ( Confucius), Il vaut "mieux manquer à quelques formalités de

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Juftice, que de condamner l'innocent. » Accoutume-toi à lire le Mantchou, finon, "comment pourras-tu entendre parfaite»ment les Livres Chinois «? Enfin, on voit que cet Alphabet fuffit pour apprendre à lire le Mantchou en peu de temps: on auroit peut-être défiré que l'Auteur ajoutât un Traité particulier de la prononciation; mais il auroit fans doute été obligé d'entrer dans des détails très-longs & trèsennuyeux pour le Lecteur, qui ne défire pas de prononcer le Tartare à Paris avec la même délicateffe qu'à Pékin. Ce feroit une prétention bien frivole. M. Langlès s'eft étendu fur un objet intéreffant pour un plus grand nombre de Savans. Il nous fait part de fes recherches fur l'origine des caractères Mantchoux. Il nous prouve. que ces caractères ont la plus grande reffemblance avec ceux des anciens Arabes, des anciens Syriens, & des Mongols. Il a même compofé un Alphabet Harmonique, Saufcrit, Mongal, Stranghelo, & Matnchou, qu'il regrette bien de ne pouvoir donner au Public, avec plufieurs Differtations faute de caractères & de moyens. Il prétend qu'il doit y avoir entre la Littérature Thibetaine, Mongole & Mantchou, une plus grande affinité qu'on n'oferoit l'imaginer.

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