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MÉMOIRES

DU

DUC DE ROVIGO.

CHAPITRE PREMIER.

'empereur veut de nouveau tenir son pouvoir de la nation.-Champ-de-Mai. -Nullité de son abdication.-Considérations sur la déclaration du congrès. -La duchesse d'Angoulême à Bordeaux.-Le duc d'Angoulême est fait prisonnier.-Dépêche télégraphique.-Comme on envisage l'empereur.

Les premiers actes administratifs de l'empereur furent d'ordonner la réunion des colléges électoraux dans chaque département, et de faire procéder à l'élection des membres d'une nouvelle chambre des députés.

Il exigea que l'on soumît de nouveau son élection au voté national, ne voulant pas tirer avantage de ses succès pour revêtir une autorité qui ne peut être décernée que par le vœu de la nation librement exprimé.

Lorsqu'il remit de nouveau cette question au scrutin, le conseil d'Etat avait déjà délibéré sur l'acte d'abdication qui avait été arraché à Fontainebleau, et l'avait déclaré nul*;

* Extrait du Registre des Délibérations du Conseil d'Etat.
Séance du 25 Mars 1815.

Le conseil d'Etat, en reprenant ses fonctions, croit devoir faire connaître les principes qui font la règle de ses opinions et de sa conduite.

néanmoins l'empereur voulut encore que son retour au pouvoir fût sanctionné par la volonté nationale.

La souveraineté réside dans le peuple. Il est la seule source légitime du pouvoir.

En 1789, la nation reconquit des droits depuis long-temps usurpés ou mé

connus.

L'assemblée nationale abolit la monarchie féodale, établit une monarchie constitutionnelle et le gouvernement représentatif.

La résistance des Bourbons aux vœux du peuple amena leur chute et leur bannissement du territoire français.

Deux fois le peuple consacra par ses votes la nouvelle forme de gouvernement établie par ses représentans.

En l'an VIII, Bonaparte, déjà couronné par la victoire, se trouva porté au gouvernement par l'assentiment national; une constitution créa la magistrature consulaire..

Le sénatus-consulte du 16 thermidor an x nomma Bonaparte consul à vie. Le sénatus-consulte du 28 floréal an XII conféra à Napoléon la dignité impériale et la rendit héréditaire dans sa famille.

Ces trois actes solennels furent soumis à l'acceptation du peuple, qui les consacra par près de quatre millions de votes.

Ainsi, pendant vingt-deux ans, les Bourbons avaient cessé de régner en France; ils étaient oubliés par leurs contemporains. Etrangers à nos lois, à nos institutions, à nos mœurs, à notre gloire, la génération actuelle ne les connaissait que par le souvenir de la guerre étrangère qu'ils avaient suscitée contre la patrie, et les dissensions intestines qu'ils y avaient allumées.

En 1814, la France fut envahie par les armées ennemies, et la capitale occupée.

L'étranger créa un prétendu gouvernement provisoire. Il assembla la minorité des sénateurs et les forca, contre leur mission et leur volonté, à détruire les constitutions existantes, à renverser le trône impérial et à rappeler la famille des Bourbons.

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Le sénat, qui n'avait été institué que pour conserver les constitutions de l'empire, reconnut lui-même qu'il n'avait pas le pouvoir de les changer. Il décréta que le projet de constitution qu'il avait préparé serait soumis à l'acceptation du peuple, et que Louis-Stanislas-Xavier serait proclamé roi des Français aussitôt qu'il aurait accepté la constitution et juré de l'observer et de la faire observer.

L'abdication de l'empereur Napoléon ne fut que le résultat de la situation malheureuse où la France et l'empereur avaient été réduits par les événemens de la guerre, par la trahison et l'occupation de la capitale; l'abdication n'eut pour objet que d'éviter la guerre civile et l'effusion du sang français. Non

Ce fut aussi à cette époque qu'il convoqua le Champ-deMai où devaient se trouver les députés à la chambre et les membres des colléges électoraux de chaque département.

consacré par le vœu du peuple, cet acte ne pouvait détruire le contrat solennel. qui s'était formé entre lui et l'empereur, et quand Napoléon aurait pu abdiquer personnellement la couronne, il n'aurait pu sacrifier les droits de son fils, appelé à régner après lui.

Cependant un Bourbon fut nommé lieutenant-général du royaume et prit les rênes du gouvernement.

Louis-Stanislas-Xavier arriva en France; il fit son entrée dans la capitale; il s'empara du trône d'après l'ordre établi dans l'ancienne monarchie

féodale.

Il n'avait point accepté la constitution décrétée par le sénat ; il n'avait point juré de l'observer et de la faire observer; elle n'avait point été envoyée à l'acceptation du peuple; le peuple, subjugué par la présence des armées étrangères, ne pouvait pas même exprimer librement ni valablement son vœu.

Sous leur protection, après avoir remercié un prince étranger de l'avoir fait remonter sur le trône, Louis-Stanislas-Xavier data le premier acte de son autorité de la dix-neuvième année de son règne, déclarant ainsi que les actes émanés de la volonté du peuple n'étaient que le produit d'une longue révolte; il accorda volontairement, et par le libre exercice de son autorité royale, une charte constitutionnelle, appelée ordonnance de réformation, et pour toute sanction, il la fit lire en présence d'un nouveau corps qu'il venait de créer et d'une réunion de députés qui n'était pas libre, qui ne l'accepta point, dont aucun n'avait de caractère pour consentir à ce changement, et dont les deux cinquièmes n'avaient même plus le caractère de représentans.

Tous ces actes sont donc illégaux; faits en présence des armées ennemies et sous la domination étrangère, ils ne sont que l'ouvrage de la violence, ils sont essentiellement nuls et attentatoires à l'honneur, à la liberté et aux droits du peuple.

Les adhésions données par des individus et par des fonctionnaires sans mission n'ont pu ni anéantir ni suppléer le consentement du peuple, exprimé par des votes solennellement provoqués et légalement émis.

Si les adhésions ainsi que les sermens avaient jamais pu même être obligatoires pour ceux qui les ont faits, ils auraient cessé de l'être dès que le gou vernement qui les a reçus a cessé d'exister.

La conduite des citoyens qui sous ce gouvernement ont servi l'Etat, ne peut être blâmée; ils sont même dignes d'éloges, ceux qui n'ont profité de leur position que pour défendre les intérêts nationaux, et s'opposer à l'esprit de réac tion et de contre-révolution qui désolait la France.

C'était à cette assemblée du Champ-de-Mai qu'on devait donner connaissance du dépouillement des votes des communes et proclamer de nouveau l'empereur, mais un con

Les Bourbons eux-mêmes avaient constamment violé leurs promesses. Ils favorisèrent les prétentions de la noblesse féodale; ils ébranlèrent les ventes des biens nationaux de toutes les origines; ils préparèrent le rétablissement des droits féodaux et des dîmes; ils menacèrent toutes les existences nouvelles ; ils déclarèrent la guerre à toutes les opinions libérales; ils attaquèrent toutes les institutions que la France avait acquises au prix de son sang, aimant mieux humilier la nation que de s'unir à sa gloire; ils dépouillèrent la Légiond'Honneur de sa dotation et de ses droits politiques; ils ne prodiguèrent la décoration que pour l'avilir; ils enlevèrent à l'armée, aux braves, leur solde, leurs grades et leurs honneurs pour les donner à des émigrés, à des chefs de révolte; ils voulurent enfin régner et opprimer le peuple par l'émigration.

Profondément affectée de son humiliation et de ses malheurs, la France appelait de tous ses vœux son gouvernement national, la dynastie liée à ses nouveaux intérêts, à ses nouvelles institutions.

Lorsque l'empereur approchait de la capitale, les Bourbons ont voulu en vain réparer, par des lois improvisées et des sermens tardifs à leur charte constitutionnelle, les outrages faits à la nation et à l'armée; le temps des illusions était passé, la confiance était aliénée pour jamais. Aucun bras ne s'est armé pour leur défense; la nation et 'armée ont volé au-devant de leur libéra teur.

L'empereur, en remontant sur le trône où le peuple l'avait élevé, rétablit donc le peuple dans ses droits les plus sacrés. Il ne fait que rappeler à leur exécution les décrets des assemblées représentatives sanctionnés par la nation; il revient régner par le seul principe de légitimité que la France ait reconnu et consacré depuis vingt-cinq ans, et auquel toutes les autorités s'étaient liées par des sermens dont la volonté du peuple aurait pu seule les dégager.

L'empereur est appelé à garantir de nouveau par des institutions (et il en a pris l'engagement par ses proclamations à la nation et à l'armée) tous les principes libéraux, la liberté individuelle, l'égalité des droits, la liberté de la presse et l'abolition de la censure, la liberté des cultes, le vote des contributions et des lois par les représentans de la nation légalement élus, les propriétés nationales de toute origine, l'indépendance et l'inamovibilité des tribunaux, la responsabilité des ministres et de tous les agens du pouvoir.

Pour mieux consacrer les droits et les obligations du peuple et du monarque les constitutions nationales doivent être revues dans une grande assemblée des représentans déjà annoncée par l'empereur.

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