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de Bourbon, parce que cela servait aussi les projets du ministre. Ce fut à cela que se borna toute son action.

Le temps s'écoulait, et les bataillons ne grossissaient pas. L'empereur avait reçu d'Allemagne l'avis que les armées russes et autrichiennes ne seraient pas prêtes à agir sur la frontière de France avant les premiers jours de juillet. II n'en était pas de même des armées anglaise et prussienne, qui, en Belgique, étaient dans une attitude menaçante.

CHAPITRE III.

Champ-de-Mai.-L'empereur est de nouveau proclamé chef de l'Etat.—Acte additionnel.-Les publicistes génevois.-Opinion de madame de Staël.Bruits que répand la police. — Fouché se met en communication avec Wellington. Il était en mesure pour toutes les hypothèses.

Nous étions à la fin de mai. Les députés des départemens arrivaient à Paris, tant pour le Champ-de-Mai que pour le corps législatif. On n'attendait plus, pour tenir cette nombreuse assemblée, que d'avoir achevé le dépouillement des votes des communes, au sujet de la réélection de l'empereur. On y travaillait; mais la besogne était longue, elle ne fut terminée que dans les derniers jours de mai. Le Champ-deMai ne put avoir lieu que le 3 juin.

Ce jour semblait annoncer une autre époque de notre histoire non moins brillante que celles qui l'avaient précédée.

Une foule prodigieuse remplissait l'espace immense compris depuis le péristyle du château des Tuileries jusqu'à celui de l'Ecole militaire, en suivant la grande avenue du jardin des Tuileries, celle des Champs-Elysées, pour se rendre aur pont d'Iéna et de là traverser le Champ-de-Mars. Cette

multitude était incalculable, et les terrasses qui entouraient le Champ-de-Mars étaient tout aussi chargées de monde qu'à aucune des grandes fêtes de la révolution.

Le cortége qui accompagnait l'empereur fut aussi pompeux qu'il avait coutume de l'être dans les cérémonies d'éclat; l'innombrable public dont il fendait la presse l'accueillit avec les mêmes applaudissemens, et assurément, sans les idées de guerre qui comprimaient les espérances de bonheur, il n'aurait rien manqué à la satisfaction que chacun éprouvait d'un événement aussi extraordinaire.

Tout ce qui avait pu donner à cette assemblée un grand caractère de liberté avait été scrupuleusement soigné. Il y avait des députations de toutes les parties de la France, et de tout ce qui constitue sa puissance et son administration; on n'avait pas encore réuni tant de moyens de parler aux yeux et aux intelligences. L'empereur était dans son costume d'apparat. On a observé, avec quelque raison, qu'il aurait mieux fait de garder son costume ordinaire, qui était l'uniforme de l'armée, quoiqu'il ne fût point dans l'habitude de le porter dans des cérémonies de la nature de celles-ci. Il arriva au Champ-de-Mars dans une voiture à huit glaces, accompagné, suivant l'usage, de tous les maréchaux à cheval.

Toute la garde nationale de Paris était sous les armes, ainsi qu'un grand nombre d'autres troupes. Le cortége arriva par le pont d'Iéna et vint, par un détour pratiqué à cet effet, se ranger dans la première cour de l'Ecole militaire, après qu'il eut descendu au péristyle de cet édifice toutes les personnes qui remplissaient les voitures dont il était composé.

L'on avait construit une estrade en avant des fenêtres du premier étage de la façade du milieu de l'Ecole militaire. De cette estrade, on avait pratiqué un escalier en rampe douce, qui descendait dans l'enceinte demi-circulaire qui lui faisait face, et dans le pourtour de laquelle étaient élevées

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les tribunes régulières où étaient placés les dix ou douze mille députés qui composaient l'assemblée du Champ-deMai.

Le cortége qui accompagnait l'empereur s'était réuni dans les appartemens du premier étage de l'Ecole militaire. Il entra dans l'estrade dont je viens de parler; elle était de plain-pied avec les appartemens. Chacun prit la place qui lui avait été désignée, et l'empereur, qui était à la queue du cortége, vint se placer dans le fauteuil qui lui avait été préparé.

Après quelques cérémonies préliminaires, l'archi-chancelier s'avança au milieu de l'estrade en face de l'assemblée, et lut à haute voix le procès-verbal du dépouillement des votes des communes pour la réélection de l'empereur à la dignité impériale; après quoi, il annonça que le nombre des votes pour l'affirmative surpassait d'un million ceux qui étaient pour la négative.

Ainsi l'empereur était de nouveau chef de la nation; son élection n'était due ni aux baïonnettes étrangères, ni aux votes d'assemblées communales tenues au milieu des camps ennemis. On ne peut pas dire qu'on y ait suppléé par les menaces, car déjà à cette époque les troupes étaient rassemblées sur la frontière, ou en marche pour s'y rendre; on n'avait aucun moyen de faire violence à la liberté des suffrages.

On observera sans doute que la France, ayant un roi, n'avait pas le droit d'élire un autre chef; je me bornerai à faire une réflexion, parce que cette question me mènerait trop loin.

Au mois d'avril 1814, le sénat, assemblé au milieu des armées ennemies, prononça la déchéance de l'empereur, lorsqu'il était encore à Fontainebleau à la tête de l'armée nationale.

Cette assemblée livra ainsi la France aux souverains étran

gers, qui étaient dirigés pas une politique au moins ennemie de notre puissance, s'ils ne l'étaient pas des Français transfuges à leur patrie et à l'honneur.

Appellera-t-on cela un acte national? Quelle commune a voté pour la déchéance de l'empereur et le rappel du roi ?

Quel article de la constitution avait mis le sénat en possession du droit d'annuler un acte fort de l'adhésion individuelle de près de trente millions de citoyens, qui avaient investi l'empereur du suprême pouvoir ?

Quel est le plus national de ces deux actes, et par conséquent le plus légal ?

L'empereur avait abdiqué! Oui, mais quand et comment ? L'abdication d'ailleurs est un cas prévu par les lois, La constitution avait déterminé quel devait être l'héritier du trône. S'il y avait un motif suffisant pour priver celui-ci de son héritage, la nation devait être consultée sur le choix par lequel on se proposait d'y suppléer; autrement il suffira d'une seconde invasion, il suffira que les armées ennemies puissent assembler quelques misérables transfuges de toute sorte de partis, pour voir de nouveau tous les intérêts déplacés et l'ordre légal anéanti: car, dans cette supposition même, l'empereur avait plus de droit que personne, puisqu'il venait de conquérir la France avec ses six cents hommes, et sans brûler un grain de poudre à canon.

On prétendrait vainement qu'il y a eu surprise, que l'élection a été enlevée à l'étonnement où étaient encore les communes. L'empereur était trop connu pour surprendre ; en se soumettant d'ailleurs au scrutin individuel, il donnait bien à chacun le temps de la réflexion; il lui laissait suffisamment de loisir pour voir s'il devait le repousser, ou l'accueillir. Il n'y avait donc pas surprise, mais réveil d'affection. Dans l'acte de déchéance prononcé par le sénat, il y avait au contraire tout à la fois surprise et contrainte. Cela

quelle circonstance en montra-t-on davantage que dans celle-ci ?

Le spectacle qu'offrit cette journée ne peut être sorti de la mémoire de ceux qui en furent les témoins, et bien certainement il était dans la pensée de tous, qu'à aucune époque de la révolution les Français n'avaient paru mieux disposés à défendre leur liberté et leur indépendance.

L'empereur lui-même quitta le Champ-de-Mars, persuadé qu'il pouvait compter sur les sentimens, qu'on lui montrait. Il ne songea dès-lors qu'à aller à la rencontre de l'orage qui se formait en Belgique.

Les nominations à la pairie étaient faites, le temps pressait; il ouvrit la session du corps législatif. La cérémonie eut lieu dans les formes usitées en pareille circonstance. L'empereur fut reçu avec acclamation, lorsqu'il parut dans la salle; il reçut le serment des membres des deux chambres, après quoi il leur adressa un discours sur les dangers dont la patrie était menacée. Il les invita à prendre des mesures capables de nous sauver de l'invasion qui nous menaçait de toutes parts, à ajourner après l'orage les discussions abstraites, et à ne pas imiter les Grecs du BasEmpire, qui dissertaient pendant que le bélier ennemi ren

versait leurs murailles.

La chambre des députés fut particulièrement contente de son discours, parce qu'il donnait une entière satisfaction sur toutes les questions qui avaient été le sujet de la mésintelligence de 1814. On croyait pouvoir se promettre quelques résolutions courageuses de la part d'une assemblée qui se disait satisfaite.

Peu de jours après l'arrivée de l'empereur à Paris, on avait tant demandé une constitution, qu'il n'avait pas été possible d'attendre la réunion de la chambre pour en faire la matière de ses discussions.

Les esprits impatiens s'étaient même échauffés sur cette

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