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pas presque en entier sur la propriété foncière, qui supporte, d'autre part, une dette hypothécaire de 5 milliards et que la guerre a accablée ? Les personnes qui croient cette propriété moins imposée qu'elle ne l'était avant la grande réforme fiscale de la Constituante, parce qu'elle a reçu divers degrèvements de la Restauration, de la monarchie de Juillet et de l'Empire, sont en une profonde erreur. M. Magne avait toute raison d'affirmer, en 1874, que sur les 600 millions de nouveaux impôts votés à ce moment, les deux tiers pesaient directement ou indirectement sur le sol.

Si l'on avait mieux considéré l'état présent de notre richesse, en pourvoyant aux plus pressantes nécessités du Trésor, peut-être aurait-on rétabli les 17 centimes additionnels fonciers, abolis sous l'Empire, mais on aurait certainement pris soin de moins accroître les droits de timbre, d'enregistrement, de transport, d'octroi et les centimes additionnels locaux. La science a maintenant des enseignements basés sur l'expérience, assez sûrs pour qu'on s'y confie, et quels guides politiques manqueraient pour se diriger sur cette voie où les excès se transforment si facilement en souffrances, après les Pitt, les Huskisson, les Peil, les Gladstone, les Louis, les Villèle, les Cavour? L'économie et la prévoyance, en remplaçant l'insouciance et la dissipation, auraient d'ailleurs pu beaucoup faciliter cette tâche. On se devrait toujours rappeler que les finances publiques sont loin de se restaurer par des moyens qui perdent les patrimoines particuliers.

Depuis trois exercices enfin, nous sommes, on le sait, entrés dans la carrière des dégrèvements; mais nos pas y ont été jusqu'ici singulièrement lents et timides. Nous n'avons pas même consacré à ces dégrèvements les plus-values d'impôts, et si nous avons renoncé à quelques taxes, nous nous sommes empressés d'en créer d'autres. Les premières à abolir ou à diminuer étaient évidemment celles qui frappaient l'ensemble de la production et des échanges. M. Say a été bien inspiré en pensant, lors de sa rentrée au ministère des finances, à la poste; car les facilités de correspondance intéressent toute l'industrie, comme celles du service télégraphique et des transports. Après cette première réforme, il aurait été désirable, à mon avis, de restreindre les droits d'enregistrement et de timbre, si excessifs et si nuisibles au bon emploi des capitaux, aux mouvements profitables de la propriété, aux négociations et à l'administration de la justice. Les troisièmes dégrèvements auraient dû comprendre les matières premières les plus demandées et les machines ou les cutils les plus répandus. Les quatrièmes, la plupart des autres droits de douane, ainsi que les droits de facture,

d'assurance et de patente. Puis seraient venus en dernier lieu les impôts établis ou augmentés sur certaines branches particulières d'industrie, telles que les droits de statistique ou de quai et, ca qui est une très grave question, les droits sur les vins. Par malheur, ce n'est pas de la sorte qu'on a procédé.

La première diminution a été celle de 2 centimes et demi sur la taxe additionnelle mise sur le sel; ce qui a causé une perte fiscale de 6 millions. Ensuite ont été surtout réalisées les réformes postales et télégraphiques, qui ont coûté 25 millions; celle sur la petite vitesse, avec une perte de 22 millions, et celle sur le savon, la chicorrée, les huiles et les effets de commerce, avec une perte totale de 15 millions. En prenant la présidence de la commision du budget de 1880, M. Brisson estimait les divers dégrèvements survenus jusqu'à présent à 80 millions: 7 millions et demi en 1876, 29 millions en 1877, 26 millions en 1878; dégrèvements qui, joints à la diminution des taxes postales et télégraphiques, donnent en effet 80 millions. Ajoutât-on les quelques petites diminutions opérées avant 1876 et celles proposées sur le budget de 1880, qu'on arriverait encore à peine à 100 ou 120 millions.

Les dégrèvements réclamés par le ministre des finances pour 1880 portaient, je n'ai plus à les rappeler, sur les patentes, sur les voitures publiques et sur le timbre des mandats de poste. Les patentes étaient allégées de 7 pour 100 sur les droits qu'avaient à acquitter les 200 mille petits patentables de la quatrième classe, et de 20 pour 100 sur ceux des 700 mille patentables de la cinquième et de la sixième classe. A ces remises, quelque peu modifiées, la commission du budget en avait d'abord ajouté une de 10 millions sur toutes les patentes, et une autre de 11 millions sur la stéarine et sur le papier. - Voici, du reste, les dégrèvements proposés par cette commission, qui, après avoit évalué l'excédant des recettes disponibles à 27,208,062 francs, réduisait la majoration des dépenses de 53 millions à 48 millions, dont 20 millions revenaient à l'amortissement et 28 millions aux différents ministères :

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Suppression de l'impôt sur la stéarine....

Réduction du contingent à verser au Trésor par

les établissements français de l'Inde......

3.694.000

52.520

26.095.570

Mais la Chambre a admis l'amendement de M. Labadié, qui supprime non 13 centimes sur les centimes généraux des patentes, mais 20 centimes, ce qui diminuera les recettes de 15 millions 822 mille francs, au lieu de 10 millions 287 mille francs, et les deux autres dégrèvements, sur le papier et la stéarine, n'ont pas été votés. L'ensemble des réductions est donc moins considérable que la commission du budget ne le proposait. Ce sont, je le repète de nouveau, de bien faibles diminutions après nos surcharges fiscales et en présence de nos constants et considérables excédants de recettes. Il est du moins heureux que M. le ministre des finances ne se soit plus souvenu des paroles qu'il avait prononcées lors de l'exposé des motifs du budget de 1879: « Nous pouvons bien supporter les réductions déjà opérées sur les impôts, mais nous ne pouvons pas, même dans la plus faible mesure, en consentir de nouvelles. »

Ce n'est pas seulement à effacer pourtant les plus fâcheuses impositions créées en ces dernières années que nous devrions nous employer, c'est à corriger et à restreindre aussi nos impôts d'avant 1870. L'avenir de notre fortune y est intéressé autant que l'avenir de toute notre industrie; nul prix ne se gagne dans des lices ouvertes par ceux qui portent de lourdes surcharges. Le plus grand financier de l'Angleterre contemporaine disait à la Chambre des communes que l'œuvre d'un ministre des finances consiste à dégréver ses concitoyens. Nos ministres s'ingénient, au contraire, à augmenter nos budgets, celui de 1880 par rapport à celui de 1879, celui de 1879 par rapport à celui de 1878; il n'y a nul temps d'arrêt sur cette voie ascendante. L'ensemble ou la suite de nos budgets présente l'aspect d'une pyramide renversée, que chaque ouvrier se serait efforcé d'élargir en l'élevant.

Je ne puis résister à reproduire ici le tableau que M. Gladstone traçait de la diminution des taxes anglaises, mise en regard de l'accroissement des recettes, dans le beau discours qu'il prononçait en présentant le budget de 1866. Il divisait les vingt-cinq exercices précédents en trois périodes. Dans la première, ouverte par Robert Peel, de 1840 et 1852, le taux annuel de l'augmentation des recettes a été, disait-il, de 1 million de livres sterling. Dans la deuxième, de 1852 à 1859, il a été de 1 million 240,000 1. st., et, de 1859 à 1865, il a atteint 1 million 780,000 1. st., bien que les taxes, durant ces trois périodes, aient été réduites de plus de 200 millions. Dans les dix années suivantes, finissant en 1875, les diminutions d'impôts n'ont pas été moindres de 21 millions de livres sterling, et les recettes de l'exercise clos le 31 mars de cette même année 1875 ont excédé de 4 millions sterling celles de 1865. En

expliquant cette heureuse coïncidence, M. Gladstone ajoutait: « Je ne prétends pas que l'accroissement du revenu pût conserver son chiffre actuel si le Parlement cessait d'améliorer la législation, d'en réformer les vices, de rechercher en toute circonstance, grande ou petite, les moyens les plus rationnels d'élargir les sources du revenu ». Voilà bien le véritable homme d'Etat, le grand économiste. C'est encore M. Gladstone qui rappelait plus tard, avec un légitime orgueil, qu'il avait seul, depuis son entrée aux affaires, réduit les impôts anglais de 9 millions sterling, 225 millions de francs. De 1850 à 1876, en 25 années seulement, l'échiquer a renoncé à 710 millions de recettes, et, tant l'aisance et la fécondité se sont développées sous ces bienfaisantes remises, les recouvrements fiscaux n'en ont pas moins augmenté de 440 millions.

Une semblable prospérité, due à de pareilles réformes, qui resteront l'un des plus grands événements de ce siècle, devraient servir d'enseignement à tous les peuples. C'est pour mettre fin aux déficits répétés depuis plusieurs années que Robert Peel a commencé cette longue série de réductions, qui depuis n'ont plus cessé de s'étendre. Après avoir aboli la plupart des impôts indirects crées ou augmentés durant ses guerres de la République et de l'Empire, car dès cette époque elle avait beaucoup plus demandé à l'impôt qu'à l'emprunt, l'Angleterre entrevoit maintenant le moment où elle supprimera jusqu'à son income-tax, à sa house-duty (taxe sur les maisons), et à ses droits de douane autres que ceux qui frappent le tabac et les boissons alcooliques.

Ce ne serait, pour nous, rien exagérer, rien compromettre, que d'effacer d'ici quelques années, comme je l'ai dit, 100 millions de nos dépenses administratives et 200 millions de nos dépenses militaires, si nous nous rallions à une politique franchement pacifique et libérale. En réalisant les perfectionnements que j'indiquerai plus loin touchant notre dette, ce n'est pas même 300 millions qu'il nous serait possible d'épargner, c'est une somme infiniment plus considérable. Quel essor prendraient notre travail et notre consommation, ces sources assurées de toute recette, s'il en était ainsi! Seuls les sols préparés par des mains libres et vigoureuses donnent d'abondantes récoltes. Notre budget d'ailleurs n'en resterait pas moins l'un des plus élevés du globe, et ce ne seraient là que de bien minces dégrèvements comparés aux dégrèvements anglais. Les bienfaits qui proviennent d'allégements d'impôt sont vraiment incalculables; qu'on abolisse, par exemple, suivant une demande souvent reproduite, la taxe de 23 francs 30, centimes pour 100 mise sur les places des voyageurs en chemin de fer, et quelles facilités surviendraient pour les voyages, quelles

améliorations se pourraient exiger des compagnies! Il y aurait tant d'avantages à restreindre notre budget et à corriger ce qu'il y a de plus défectueux dans notre sytème d'imposition, que je regarderais comme l'une des meilleures mesures à prendre, d'aliéner, en ce but, une partie de notre domaine public, si vaste et presque improductif, et que je conseillerais même, si cela semblait nécessaire, de relever certaines taxes pour en diminuer d'autres, plus fâcheuses et plus préjudiciables.

D'après l'inventaire officiel des propriétés de l'Etat, publié en 1876, elles s'étendent sur 986,937 hectares, d'une valeur de 1 milliard 261 millions 870,764 francs, soit en moyenne 1,280 francs par hectare, bien qu'elles comprennent les plus magnifiques forêts, comme les plus beaux châteaux, et que la valeur moyenne de l'hectare en France soit de 2,000 francs. Il existe, en outre, [2 millions 50,000 hectares de biens communaux et de biens d'établissements publics. Pourquoi ne pas vendre une portion considérable de ces propriétés domaniales, au grand profit du travail, de la production et des recouvrements fiscaux ? L'Angleterre n'en possède plus depuis longtemps, à part quelques châteaux royaux; l'Autriche s'est empressée de se défaire des siennes, après Sadowa; l'Italie en a aliéné pour plus de 800 millions depuis 1860. Pour conserver ces derniers vestiges des patrimoines communistes de toute société primitive, dont l'administration coûte si cher et qui rapportent si peu, l'on déclare qu'il y va de notre climat, pour lequel on se prend d'une soudaine et absolue admiration. On affirmerait volontiers que c'est en pensant aux forêts domaniales que Grotius nommait la France le plus beau royaume après celui du ciel. Si Arago déclarait ne rien savoir de l'influence des forêts sur la température, c'est probablement qu'il n'avait pas entendu les doctes démonstrations qui se sont répétées lorsque M. Fould a proposé, vers la fin de l'Empire, de vendre pour 100 millions de biens nationaux, afin de doter d'une pareille somme les travaux publics. Quel dommage qu'on ne lise plus Virgile! Il fournirait un plus décisif argument

encore.

Gensque virum truncis et duro robore nata.

Comment abattre un arbre après cela? En attendant qu'on prouve les changements de climat de l'Angleterre, de l'Autriche, de l'Italie, de presque tous les États, à la suite d'aliénations semblables, ne pourrait-on pas établir d'ailleurs toutes les clauses qu'on désirerait contre les défrichements? Et s'il y a lieu de tant craindre de modifier notre climat par l'amoindrissement des

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