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emprunts s'ouvraient sans rien produire; trésor et crédit tout était épuisé. La banqueroute conseillée par les partisans du pouvoir absolu, quoique créanciers de l'Etat, n'était pas même un remède. Elle n'eût sauvé personne. Les plus déplorables désastres en eussent été les conséquences inévitables. L'honneur, le repos et l'avenir de la France étaient compromis à jamais. C'en était fait de la réforme légale des abus; la révolution était ajournée. L'assemblée nationale en décrétant la honte eût proclamé son impuissance. Le nombre incalculable de victimes précipitées dans l'abîme ne l'auraient pas comblé; le gouffre serait resté toujours ouvert.

L'assemblée nationale n'avait donc pas le choix des moyens de salut. La providence et la justice suprême lui en avaient réservé un seul. Elle l'employa. Deux milliards de biens fonds ecclésiastiques firent retour à l'Etat et furent donnés en garantie aux nombreux créanciers des trois derniers règnes.

Cette opération fut doublement salutaire. Elle sauva l'Etat et réforma l'Eglise. Tous les établissements inutiles ou superflus, chapitres, abbayes, où les vocations étaient en raison directe, et les vertus, en raison inverse des richesses, furent supprimés. Moines, abbés, chanoines, bénéficiers sans fonctions, courtisans ou créatures de

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courtisans, laissant à peine voir les marques extérieures de la profession ecclésiastique, dans un pays où les classes et les états se distinguaient par le costume et par des signes apparents, rentrèrent dans la vie séculière, et reçurent une pension viagère prélevée sur leurs anciennes richesses.

Mais en même temps la partie saine et active. du clergé devint l'objet de la sollicitude particulière de l'assemblée nationale. Les ministres du culte, les pasteurs du peuple furent relevés du mépris et de l'indigence où le dédain d'une prélature plus fière de sa noblesse que fidèle à l'esprit de l'Evangile, les avait trop long-temps laissés. Serfs attachés à la glèbe des paroisses, ils furent affranchis de la perception de cette dîme impopulaire qui venait d'être abolie. Une existence honorable et indépendante leur fut assurée. Le moindre curé de campagne (soumis auparavant à la portion congrue) toucha un traitement fixe de douze cents livres, payables par tiers et d'avance, et eut en outre la jouissance d'un presbytère commode et agréable. Les curés des villes reçurent trois, quatre ou six mille livres, suivant l'importance des localités, les évêques dix mille, les archevêques quinze mille, celui de Paris cinquante mille!

Le haut clergé se prétendit avili et dépouillé ; mais le bus clergé se crut honoré et enrichi par l'assemblée nationale! En réalité une grande et longue injustice venait d'être réparée.

La réforme ne s'arrêta point là. D'autres abus non moins graves et non moins préjudiciables aux véritables intérêts de la religion furent atteints.

Les paroisses s'étaient multipliées à l'infini. On en comptait jusqu'à sept ou huit dans les villes de dix mille ames. La même proportion se retrouvait dans un grand nombre de localités. Dans les campagnes, les unes avaient dix lieues de circonférence, d'autres comptaient à peine quinze feux. Les paroisses inutiles furent supprimées, celles de secours augmentées 1.

Le sort des curés était entre les mains souvent inexpérimentées de jeunes vicaires-généraux qui ne devaient qu'à leur naissance ces importantes fonctions où la cour les envoyait, au sortir de l'école, faire un court apprentissage de l'épiscopat exclusivement réservé à la noblesse. L'assemblée nationale décréta que les curés seraient élus par le peuple comme les magistrats, et confirmés par les évêques. L'élection entourée de sages précautions promettait aux quarante mille communes de France des pasteurs vraiment dignes de ce nom par leurs lumières, leurs services dans le diocèse, leurs vertus évangéliques et leur indépendance. Le culte catholique fut ainsi épuré et relevé dans l'immense majorité de ses ministres, et l'instruction religieuse du peuple fut partout élargie et convenablement assurée ".

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Ce n'est pas tout. La réunion successive des provinces à l'empire avait amené une grande inégalité entre les diocèses de France. Certains évêchés embrassaient quinze cents lieues carrées, d'autres n'en embrassaient que vingt. Dans la Provence et le Dauphiné, depuis le séjour des papes à Avignon, les villes épiscopales se touchaient. Cette inégalité, la suppression des provinces et la nouvelle division administrative rendaient nécessaire une nouvelle circonscription des évêchés. Un système également simple et favorable aux nouveaux rapports des deux autorités, fut établi. L'assemblée nationale décréta que chaque département formerait seul un diocèse, que chaque diocèse aurait la même étendue et les mêmes limites que le département. C'est l'ordre qui subsiste aujourd'hui. Si quelques évêchés, par le fait, furent supprimés, le signe auguste du Christianisme fut planté, suivant l'expression de Mirabeau, sur la cîme de tous les départements de la France.

Le temps avait amené aussi dans les circonscriptions ecclésiastiques une confusion grave et, dans certains cas, dangereuse. Plusieurs évêchés dépendaient de métropoles établies hors du territoire français. Des villes fortes de la plus grande importance faisaient partie de diocèses étrangers. Fidèle au principe d'unité nationale, l'assemblée

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constituante arrêta pour ainsi dire à la frontière toute autorité ecclésiastique dont le siège était établi sous la domination d'une puissance limitrophe. Le tout sans préjudice, comme elle le proclama hautement, de l'unité de foi et de la communion qui serait entretenue avec le chef visible de l'Eglise.

Mais la réforme capitale fut celle de l'épiscopat. Les nominations des prélats, appartenant à la cour, n'étaient que des faveurs où les titres de noblesse étaient comptés plus que les talents et les vertus. On sait en quelles mains la faiblesse de nos Rois avait laissé tomber la feuille des bénéfices. Pour donner à l'épiscopat une origine plus pure; pour exclure les incapacités; pour écarter les ambitions vulgaires ou cupides; l'assemblée nationale ouvrit l'accès des postes éminents de l'Eglise à la maturité de l'âge, des talents et des vertus, en soumettant les évêques à l'élection des fidèles, intéressés à faire toujours de bons choix.

L'élu, après son élection, devait recevoir de l'évêque métropolitain la confirmation canonique, puis écrire au Pape comme au chef visible de l'Eglise universelle, en témoignage de l'unité de foi et de communion qu'il devait entretenir avec lui.

Enfin avant la cérémonie de la consécration le nouvel évêque devait prêter, en présence des

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