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Clarke a commencé par la notion la plus abftraite de l'ÊTRE en général; & par un enchaînement de conféquences, il conclut de cette notion, que l'Etre exiftant par luimême, que l'Etre éternel eft fpirituel & non pas matériel, qu'il eft unique, qu'il eft infiniment puillant, qu'il eft infiniment bon, que tout ce qui exifte hors de lui a reçu néceffairement de lui l'exiftence : c'est de toutes ces conféquences que Clarke forme & la preuve & les idées d'un Dieu. Defcartes & fes Difciples, tel que Mallebranche, ont cru que la meilleure preuve de l'existence d'un Dieu étoir dans l'idée que l'homme a conçue de l'infini.

Newton, qui otoit, dit-on, fon chapeau toutes les fois qu'on prononçoit devant lui ce mot Dieu, voyoit fur-tout ce Dieu, objet de fes adorations, dans ces fphères,. dans ces mondes, dont fon génie avoit mefuré les diftances, les malfes & les mou

vemens.

Fontenelle auffi a écrit un morceau fur L'existence de Dieu; il en donne pour preuve Fordre & la fymétrie qui règnent dans tout l'Univers. L'Univers, dit Fontenelle, eft plein de ftatues qui annoncent le Statuaire; mais c'eft dans l'Aftronomie & dans Anatomie für-tout que l'infcription eft la plus diftincte & la plus nette.

Après tous ces Philofophes, eft venu le Vicaire Savoyard, c'eft-à-dire, le Philofophe de Genève; Jean-Jacques Rouleau a dit:

Tout eft en mouvement dans l'Univers, & j'ai beau faire, par fa nature, je ne puis concevoir la matière qu'en repos; dès que j'apperçois un corps en mouvement, ou j'apperçois auffi, ou je conclus que ce mouvement a été donné & reçu. Il faut donc chercher le premier moteur hors de la matière. Je veux mouvoir mon bras, & je le meus. Voilà une volonté, c'est-à-dire, quelque chofe qui n'eft pas matière qui met mon bras ou la matière en mouvement. Je conclus que c'eft une volonté toute-puif fante, toute-intelligente, qui a mis aufli en mouvement tout l'Univers.

Ce n'eft pas là feulement l'idée d'un Ecrivain éloquent,c'eft l'idée d'un Philofophe qui a du génie.La première partie de la profeflion du Vicaire Savoyard me paroît la meilleure démonstration de l'existence de Dieu. Aufli eft-ce la démonftration que les MATÉRIALISTES, qui ont paru depuis, fe font particulièrement attachés à combattre. L'Aureur du Systême de la Nature, de tous les Ecrivains de ce genre le plus dangereux, parce qu'il attaque Dieu avec une ame faite pour Fadorer, & un talent fait pour en célébrer Les merveilles, pour principe fondamental de fon fyftême, cherche à établir contre le Vicaire Savoyard, que le mouvement: eft effentiel à la matière; que le repos n'eft qu'apparent, que le mouvement eft éternel, qu'il eft par-tour & dans les flancs du rocher qui femble immobile, comme

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dans la cataracte qui fe précipite de rocher en rocher, du haut des montagnes de Niagara.

L'Auteur de l'Importance des Opinions religieufes avoit un génie trop original, pour n'avoir pas dans la même question une marche toute neuve. Accoutumé à méditer fur les malheurs des hommes & fur les intérêts des Sociétés politiques, c'eft. du befoin que les Sociétés & les hommes ont d'un Dieu, qu'il eft parti pour arriver à fa preuve de fon existence.

Ainfi chacun cherche cet Etre Suprême dans le genre d'études & de méditations qui lui font les plus familières; & comme il doit être par-tout ou nulle part, par-tout on le trouve.

M. Necker part de cette grande idée, qui femble d'un Légiflateur des Nations; il cherche d'abord fi la morale dont les Sociétés ont befoin pour le maintien de leur ordre & les particuliers pour leur bonheur, peut être établie fur des bafes purement humaines & indépendantes des opinions religieufes. Il analyfe fucceffivement la force & l'influence de chacun de ces principes d'une morale naturelle il cherche à démontrer que les vertus dont les Sociétés ont befoin, ne peuvent pas naître de l'accord de l'intérêt particulier avec l'intérêt général, parce que l'ordre focial n'eft pas un ordre affez parfait, assez harmonieux, pour que les intérêts particu

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liers foient toujours fuffifamment dédom magés des facrifices qu'ils feront à l'intérêt général; parce qu'un homme qui n'a rien, & qui ne peut fe procurer le plus étroit néceffaire que par un excès de travail, ne peut pas voir évidemment quel grand avantage il trouve dans fon refpect pour les droits de ceux qui ont tout.

Les Loix établies pour maintenir cet état de chofes, paroiffent à M. Necker également infuffifantes; elles ne règlent que ce qu'il y a de plus général dans les actions des hommes, de plus rare, & ne peuvent étendre leur empire à cette multitude d'affections intimes & d'actions privées, qui font de tous les jours, de tous les inftans, qui font germer le bonheur ou le malheur de l'Etat par des moyens invifibles, à peu près comme ces forces fecrètes de la Nature, qui, par d'invifibles refforts, font naître les poifons & les plantes falutaires. Les Loix ont des peines pour les délits, & n'ont point de récompenfes pour les vertus. Elles font des maximes générales & abftraites, dont l'imagination des hommes ne peut pas être vivement frappée. Il faut à la multitude un motif qui foit le plus grand de tous, qui foit unique, & qui foit fenfible: ce qui la frappe le plus fur la terre c'eft un Roi; il lui faut un Roi de l'Uni

vers.

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Les Loix de l'éducation, qui tirent leur. force de celle de tous les autres motifs

humains, ne peuvent pas fuppléer à leur infuffifance. On cite les prodiges de l'éducation publique chez les Spartiates; mais ce fut à l'Oracle de Delphes que Lycurgue fut redevable de la puiflance que fes Loix exercèrent fur les efprits: mais à Sparte, où il n'y avoit guère que deux vertus, le courage militaire & l'amour de la Patrie, on n'avoit pas befoin d'une morale trèsétendue; mais à Sparte, il n'y avoit que deux claffes d'hommes, des efclaves qu'on gouvernoit avec le fouet & avec le poignard, & des citoyens, égaux en liberté, en propriété, en puiffance, qui, n'ayant rien à s'envier, n'avoient rien à ufurper les uns fur les autres. Ce qui rend la morale extrêmement difficile à établir chez les Modernes, c'eft que la claffe condamnée aux plus pénibles travaux de la Société, est libre, qu'elle n'a rien, & qu'on veut cependant qu'elle ait des vertus.

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Par les progrès fucceffifs des lumières il s'est établi depuis quelques années une nouvelle autorité, qui a une grande influence fur les mœurs, l'opinion publique; mais l'opinion publique n'exifte que pour les hommes qui jouent un grand rôle fur la fcène du Monde, les Rois, les Miniftres, les Héros, les fublimes Artiftes, les hommes publics & célèbres; elle ne s'entretient point de ceux que la médiocrité de leur état cache dans la multitude; elle juge, punit ou récompenfe les actions écla

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