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sont aussi des principes d'ordre public qui ont pour but de consolider les situations de fait qui ont longtemps. duré. Si pendant plus de trente ans une personne possède un immeuble et se comporte comme le véritable propriétaire de cet immeuble, la loi sanctionne cet état de choses et déclare cette personne propriétaire. Si pendant plus de trente ans un créancier ne poursuit pas son débiteur et ne lui demande pas le paiement de sa dette, celui ci est libéré. Sans doute, c'est parce que la loi présume qu'une personne, qui a possédé un immeuble pendant trente ans en est le véritable propriétaire, qu'elle lui donne ce titre, c'est parce qu'elle suppose qu'un débiteur non poursuivi pendant trente ans a payé sa dette, qu'elle le déclare libéré, mais elle a surtout pour but de mettre de la stabilité dans les rapports des hommes, c'est avant tout un principe de droit et non une présomption légale. « Peut-on dire, » s'écrie M. Aron, que la prescription acquisitive soit » une présomption de propriété, puisqu'elle fonctionne >> au profit d'un usurpateur? que la prescription libéra»toire soit une présomption de paiement puisqu'elle » pourrait être invoquée par une personne qui recon. >> naîtrait n'avoir jamais payé » (')?

C'est vraiment une querelle de mots. Qu'importe que l'autorité de la chose jugée, la prescription trentenaire, soient plutôt des règles impératives de droit que des présomptions véritables? Elles sont, en réalité, l'une et l'autre. On y trouve les mêmes éléments que dans toutes les présomptions, le fait connu, la conséquence tirée (1) Thèse d'Aron, p. 63.

du fait connu au fait inconnu. Et Fargument est pea sérieux que fait valoir M. Aron, en disant qu'il est impossible de considérer la prescription acquisitive comme une présomption de propriété, parce qu'elle peut être invoquée par un usurpateur. La présomption d'interposition peut, elle aussi, faire annuler une donation. parfaitement sincère, la présomption de libération de l'art. 1282 du code civil peut être invoquée, elle aussi, par un débiteur qui, en réalité, n'a point payé sa dette. Cela prouve, tout simplement, que la loi se trompe parfois dans ses inductions, dans les raisonnements qu'elle fait, que la présomption qu'elle crée est quelquefois contraire à la réalité, mais cela n'établit point que la prescription trentenaire n'est pas une présomption légale véritable; à ce titre là, il n'y aurait pas de présomptions légales.

Nous sommes cependant disposé à reconnaître qu'il y a lieu, en théorie pure, de faire, à ce point de vue, une distinction entre les diverses présomptions légales. Il en est, en effet, qui ont pour but unique et essentiel de prouver un fait, d'autres ont pour but plus direct d'établir une règle de droit. Mais s'il est exact, dans ce sens, de dire que l'autorité de la chose jugée, la prescription trentenaire, l'incapacité diffèrent des présomptions d'interposition, de paiement; de faute, il est difficile de soutenir que ce ne sont point des présomptions de même nature; les auteurs eux-mêmes qui ont imaginé cette théorie sont obligés de reconnaître que ces règles de droit sont basées sur des présomptions.

D'ailleurs nous ne nous attarderons point à discuter cette théorie si subtile, car elle n'aboutit à rien et ne présente aucun intérêt pratique. Nous ne l'avons indiquée que pour être aussi complet que possible, dans cette étude générale sur les présomptions.

SECTION IV

DU CARACTÈRE SPÉCIAL ET RESTRICTIF DES PRÉSOMPTIONS LÉGALES ET DES ÉCHECS APPORTÉS A LA LOI, SUR CE POINT, PAR LA DOCTRINE ET LA JURISPRUDENCE.

§ I. Principes.

Nous savons déjà que les présomptions légales sont de droit strict, et qu'en vertu de ce caractère, il ne faut ni les admettre sans une loi spéciale, ni les étendre à des cas non prévus par la loi. C'est l'interprétation de Fart. 1350 alinéa 1 du code civil.

La première règle n'a pas besoin de développement; elle est bien nette et bien simple. Il n'y a pas de présomption légale sans un texte formel qui la crée.

La deuxième règle peut être assortie d'exemples. Elle défend d'invoquer les présomptions établies par la loi, dans des hypothèses, ou vis-à-vis de personnes qui ne sont pas indiquées ou énumérées par elle. Peu importe l'analogie, la similitude, la ressemblance, l'identité de motifs, il faut interpréter restrictivement les présomptions légales et rester fidèlement dans les bornes étroites fixées par le législateur.

C'est ainsi, par exemple, que les présomptions de survie ne peuvent pas être admises, lorsque les commo

rientes ne sont pas respectivement appelés à la succession l'un de l'autre, comme si ce sont deux frères dont l'un a des enfants, ou lorsque les commorientes étant respectivement appelés à la succession l'un de l'autre, l'un en serait exclu par l'institution d'un légataire universel, ou enfin, si les commorientes, sans être respectivement appelés à la succession l'un de l'autre, étaient en fait héritiers l'un de l'autre, pour s'être réciproquement institués légataires universels; ces cas en effet ne sont pas prévus par la loi.

Il en serait de même si l'un des commorientes avait moins de 15 ans accomplis et l'autre plus de 15 ans et moins de 60. Les art. 720 et 721 en effet indiquent seule. ment 1° le cas où les commorientes avaient moins de 15 ans ; 2o le cas où ils étaient tous au-dessus de 60 ans ; 3o le cas où les uns avaient moins de 15 ans et les autres plus de 60; et 4° le cas où ils avaient 15 ans accomplis et moins de 60.

C'est ainsi encore, qu'on ne doit point considérer comme personnes interposées, en vertu de l'art. 911 du code civil, les ascendants de l'incapable, autres que le père et la mère, le fiancé de l'incapable, ni ses alliés, beau-père, belle-mère, gendre, belle-fille; en effet, l'article précité n'énumère que le père et la mère, les enfants et descendants, et l'époux de la personne incapable.

De même et conformément à notre règle, la cour de cassation a jugé que le mur, qui sépare une maison d'une cour ou d'un jardin, ne doit pas être légalement présumé mitoyen, parce que l'art. 653 du code civil,

qui établit des présomptions de mitoyenneté, ne parle que des murs servant de séparation entre bâtiments jusqu'à l'héberge, entre cours et jardins et entre enclos dans les champs (Cass., 12 mai 1886, S., 88. 1. 206).

De même enfin, la jurisprudence décide que la présomption de l'article 1569 du code civil, en vertu de laquelle le mari est censé avoir reçu le paiement de la dot constituée par un tiers, lorsque dix ans se sont écoulés depuis l'échéance des termes pris pour le paiement de la dot, est spéciale à la femme dotale et ne peut pas être invoquée par une femme mariée sous un autre régime, car cet article 1569 se trouve dans le chapitre relatif au régime dotal (Dijon, 11 mai 1888, S., 88.2.230).

Ces exemples suffisent pour expliquer la règle qui défend, d'une façon formelle, d'étendre les présomptions légales à des cas non prévus par la loi.

Cependant, les deux règles que nous venons de formuler n'ont pas été et ne sont pas toujours respectées ; certains auteurs, certains jurisconsultes admettent des présomptions légales en dehors d'un texte spécial et, d'autre part, quelques présomptions légales sont étendues, par raison d'analogie, à des cas autres que ceux prévus par la loi. Nous allons donner des exemples de ces échecs infligés à la loi.

§ II. Admission, par la doctrine et la jurisprudence, de présomptions légales, en dehors d'un texte spécial.

I.-M. Bonnier, dans son Traité des preuves, s'exprime ainsi à ce sujet : « Néanmoins, il ne faut pas imaginer

Dumora

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