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la plus grande attention. Je recommande à votre conseil la plus stricte modération dans les débats qui vont s'ouvrir; je l'invite à ne parler ni contre sa conscience, ni contre l'honneur, et à se renfermer dans tout le respect qui est dû aux lois. »

Le greffier donne alors lecture de l'acte d'accusation. Pour mettre le lecteur à même de suivre les débats, nous croyons devoir rapporter textuellement cette pièce, qui est la base de toute la procédure.

Les commissaires du Roi, chargés par ordonnance de S. M. des 11 et 12 de ce mois de soutenir devant la chambre des pairs l'accusation de haute-trahison et attentat contre la sûreté de l'Etat, intentée au maréchal Ney, et sa discussion,

Déclarent que des pièces et de l'instruction qui leur ont été communiquées par suite de l'ordonnance qu'a rendue, en date du 15 du présent, M. le baron de Séguier, pair de France, conseiller d'Etat, premier président de la cour royale de Paris, commissaire délégué par M. le chancelier, président de la chambre, pour faire ladite instruction, résultent les faits suivans:

En apprenant le débarquement effectué à Cannes, le 1er mars dernier, par Bonaparte, à la tête d'une bande de brigands de plusieurs nations, il paraît que le maréchal Soult, alors

ministre de la guerre, envoya, par un de ses aidesde-camp, au maréchal Ney, qui était dans sa terre des Coudreaux, près Châteaudun, l'ordre de se rendre dans son gouvernement de Besançon, où il trouverait des instructions."

Le maréchal Ney vint à Paris le 6 ou le 7 (car le jour est resté incertain; et au surplus, cette circonstance est peu importante), au lieu de se rendre directement dans son gou

vernement.

La raison qu'il en a donnée est qu'il n'avait pas ses uniformes.

Elle est plausible.

Ce qui l'est moins, c'est que, suivant le maréchal, il ignorait encore, lorsqu'il est arrivé à Paris, et l'événement du débarquement de Bonaparte à Cannes, et la vraie cause de l'ordre qu'on lui donnait de se rendre dans son gouvernement de Besançon. Il est bien invraisemblable que l'aide-de-camp du ministre de la guerre ait fait au maréchal, à qui il portait l'ordre de partir subitement, un secret si bizarre de cette nouvelle, devenue l'objet de l'attention et des conversations générales, secret dont on ne peut même soupçonner le motif, comme il ne l'est pas moins que le maréchal ait manqué de curiosité sur les causes qui lui faisaient ordonner de partir soudain pour son gouvernement, et n'ait pas interrogé l'aide-de-camp, qui n'eût pu alors se défendre de répondre.

Le maréchal veut pourtant qu'on admette eette supposition; et il soutient qu'il n'a appris cette grande nouvelle qu'à Paris, par hasard, et chez son notaire Batardi.

Le maréchal a-t-il cru qu'en affectant cette ignorance prolongée du débarquement de Bonaparte, il ferait plus facilement croire qu'il n'était pour rien dans les mesures qui l'ont préparé, puisqu'en effet il n'eût pas dû rester indifférent à ce point sur le résultat du complot? On n'en sait rien. Ce qu'on sait, c'est que cette ignorance n'est pas naturelle, et qu'elle est plus propre à accroître qu'à dissiper les soupçons sur la possibilité que le maréchal ait trempé dans les manoeuvres dont ce débarquement a été le funeste résultat..

Ces soupçons sur la participation que le maréchal a pu prendre à ces manœuvres se sont considérablement augmentés par les dépositions d'un assez grand nombre de témoins, qui ont rapporté divers propos attribués au maréchal, dont la conséquence serait que le maréchal était prévenu de cette arrivée..

C'est ainsi que le sieur Beausire dépose que,. peu de tems après sa défection, le maréchal lui disait que, quand lui Beausire avait traité d'une fourniture avec le gouvernement du Roi, il avait dê prévoir qu'il traitait pour le souverain légitime (Bonaparte).

Le comte de La Genetière dépose qu'après avoir fait lecture de la proclamation, dont il

va bientôt être question, le maréchal dit aux personnes qui l'entouraient que le retour de Bonaparte était arrangé depuis trois mois.

Le comte de Favernay assure aussi qu'au dire du général Lecourbe, le maréchal lui avait dit qu'il avait pris toutes les mesures pour rendre plus nécessaire et plus inévitable la défection de ses troupes, qu'il sut ensuite déterminer par la lecture de la proclamation.

D'autres témoins encore comme les sieurs Magin, Perrache et Pantin, affirment qu'on leur a dit que le maréchal avait positivement. déclaré, dans une auberge de Montereau, que le retour de Bonaparte avait été concerté dès long-tems. A ces témoignages, on en eût pu ajouter plusieurs encore, comme ceux du baron Capelle, du marquis de Vaulchier, du sieur Beauregard et du sieur Garnier, maire de Dole, qui ont été entendus sur commissions rogatoires, dans la procédure tenue devant le conseil de guerre, où fut d'abord traduit le maréchal Ney. Mais ces témoins n'étant plus sur les lieux, on a cru pouvoir négliger de les faire entendre de nouveau. Leurs dépositions, déjà recueillies par des officiers publics restent du moins comme renseignemens.

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La justice toutefois exige que l'on dise que plusieurs autres témoins, qui ont vu agir le maréchal dans les jours qui ont précédé la lecture de la proclamation, paraissent croire que jusque-là il fut de bonne foi, et déposent des faits.

qui annonceraient qu'à moins d'une profonde dissimulation, le maréchal était alors dans la disposition d'être fidèle au Roi.

Quoi qu'il en soit, au reste, de cette disposition réelle ou feinte, et, si elle fut réelle, de sa durée, le maréchal, avant de quitter Paris, eut l'honneur de voir le Roi, qui lui parla avec la bonté la plus touchante, comme avec la plus grande confiance. Le maréchal parut pénétré de l'opinion que son souverain conservait de sa loyauté, et, dans un transport vrai ou simulé, il protesta de ramener Bonaparte dans une cage de fer, et scella ses protestations de dévouement en baisant la main que le Roi lui tendit. Le maréchal avait d'a-. bord voulu nier et cette expression de l'enthousiasme apparent de son zèle, et la liberté que le Roi lui avait permis de prendre. Il a fini par en convenir.

C'est le 8 ou le 9 que le maréchal partit de Paris. I n'a pas su fixer le jour avec exactitude.

Il trouva à Besançon les instructions du ministre de la guerre. Ces ordres portaient en substance : «< Qu'il réunirait le plus de forces disponibles, afin de pouvoir seconder efficacement les opérations de S. A. R. MONSIEUR, << et de manœuvrer de manière à inquiéter ou « détruire l'ennemi.

«

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On a vu que, d'après les récits opposés de certains témoins, dont les uns rapportent des

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