Page images
PDF
EPUB

discours du maréchal qui sembleraient supposer qu'il savait dès long-tems ce que méditait l'ennemi de la France, et dont les autres assurent n'avoir remarqué dans ses mesures et dans ses discours que de la droiture, il est au moins permis de conserver beaucoup de doutes à cet égard.

Mais ce sur quoi toutes les opinions se réunissent, c'est sur la conduite que le maréchal tint à Lons-le-Saulnier le 14 mars.

Le maréchal avait dirigé sur cette ville toutes les forces qui étaient éparses dans son commandement.

Quelques officiers bons observateurs, et même des administrateurs locaux, qui avaient conçu de justes inquiétudes sur les dispositions de plusieurs militaires de divers grades, et sur des insinuations perfides faites aux soldats, avaient indiqué au maréchal, comme un moyen probable d'affaiblir ces mauvaises inspirations, le mélange qu'il pourrait faire de bons et fidèles serviteurs du Roi, qu'on choisirait dans les gardes nationales, avec la troupe que par leur exemple et leurs conseils ils maintiendraient dans le devoir. Le maréchal, de premier mouvement, rejeta ces propositions, même avec une sorte de dédain, en disant : Qu'il ne voulait ni pleurnicheurs ni pleurnicheuses et quoiqu'il fléchît un peu ensuite sur cette idée, ce fut avec tant de lenteur et de répugnance que la mesure ne put malheureusement ni

être réalisée, ni empêcher le mal que le maréchal semblait prévoir sans beaucoup d'inquiétude.

Cet aveuglement, ou cette mauvaise disposition secrète du maréchal eut bientôt les graves conséquences qu'avec d'autres intentions le maréchal eût dû redouter.

Quelques témoins pensent que jusqu'au 13 mars au soir, le maréchal fut fidèle.

En admettant leur favorable opinion, l'effort n'était pas considérable. Le maréchal était parti de Paris le 8 ou le 9. C'était le 8 ou le 9 qu'il avait juré au Roi une fidélité à toute épreuve, et un dévouement tel qu'il lui ramènerait, selon son expression, dans une cage, son ancien compagnon de guerre. Depuis lors, quatre ou cinq jours seulement s'étaient écoulés. Quatre à cinq jours suffisaientils à éteindre ce grand enthousiasme? Quatreà cinq jours, durant lesquels le maréchal n'avait encore ni rencontré d'obstacle, ni vu l'ennemi, n'avaient pas dû consommer, à ce qu'il semble, l'oubli de sa foi.

Il est triste pour la loyauté humaine d'être obligé de dire qu'il en fut autrement.

Cinq jours seulement, après de telles promesses faites à son maître, qui l'avait comblé d'affection et de confiance, et qu'il avait trompé par l'expression démesurée peut-être d'un sentiment dont le monarque ne lui demandait pas l'espèce de preuves qu'il en offrait.,

le maréchal Ney trahit sa gloire passée, non moins que son Roi, sa patrie et l'Europe, par la désertion la plus criminelle, si l'on songe au gouffre de maux dans lequel elle a plongé la France, dont le maréchal, autant qu'il était en lui, risquait de consommer la perte en même temps que, sans nulle incertitude, il consommait celle de sa propre gloire. Ajoutons même qu'il trahit sa propre armée, restée fidèle jusque-là; sa propre armée dans laquelle le gros des soldats savait résister encore aux brouillons et aux mauvais esprits, s'il en était qui cherchassent à l'agiter; sa propre armée, qu'il est apparent qu'on aurait vue persister dans cette loyale conduite, si elle eût été assez heureuse pour s'y voir confirmée par l'exemple d'un chef dont le nom et les faits militaires commandaient la confiance aux soldats; sa propre armée enfin, qu'il contraignit en quelque sorte, par les provocations dont il va être rendu compte, à quitter de meilleures résolutions pour suivre son chef dans la route du parjure, où il l'entraînait après lui. 'On vient de dire que le maréchal Ney n'avait pas vu l'ennemi.

On s'est trompé. Il ne l'avait vu que trop: non pas, il est vrai, comme il convient aux braves, en plein jour et au champ d'honneur, pour le combattre et le détruire, mais, comme c'est le propre des traîtres, au fond de sa maison, et dans le secret de la nuit, pour con

tracter avec lui une alliance honteuse, et pour lui livrer son Roi, sa patrie, et jusqu'à son honneur.

Un émissaire de cet artisan des maux de l'Europe, encore plus habile à tramer des fraudes et des intrigues qu'à remporter des victoires, était parvenu jusqu'au maréchal dans la nuit du 13 au 14 mars dernier. Il lui apportait une lettre de Bertrand, écrite au nom de son maître, dans laquelle celui-ci appelait le maréchal le brave des braves, et lui demandait de revenir à lui.

S'il est vrai que le maréchal jusque-là ne fût encore entré dans nul complot, il n'en fallut pas davantage du moins pour qu'il consentît à trahir ses sermens. Sa vanité fut flattée. Son ambition se réveilla. Le crime fut accepté; et ce ne fut pas plus tard qu'au lendemain matin qu'en fut renvoyée l'exécution.

Le lendemain matin 14 mars 1815, il révéla cette disposition, nouvelle en apparence ou en réalité, aux généraux de Bourmont et Lecourbe.

Ceux-ci ont affirmé qu'ils firent leurs efforts pour lui donner de l'horreur d'une telle résolution; tout ce qu'ils purent lui dire pour l'en pénétrer fut inutile.

I les entraîna sur le terrain, où il avait ordonné à ses troupes de se former en carré; et. là, il lut lui-même aux soldats la proclamation suivante :

ORDRE DU JOUR.

Le maréchal prince de la Moskowa aux troupes de son gouvernement.

« OFFICIERS, SOUS-OFFICIERS ET SOLDATS!

« La cause des Bourbons est à jamais perdue! La dynastie légitime que la nation française a adoptée va remonter sur le trône : c'est à l'empereur Napoléon, notre souverain, qu'il appartient seul de régner sur notre beau pays! Que la noblesse des Bourbons prenne le parti de s'expatrier encore, ou qu'elle consente à vivre au milieu de nous, que nous importe? La cause sacrée de la liberté et de notre indépendance ne souffrira plus de leur funeste influence. Ils ont voulu avilir notre gloire militaire; mais ils se sont trompés: cette gloire est le fruit de trop nobles travaux pour que nous puissions jamais en perdre le souvenir.

Soldats, les tems ne sont plus où l'on gouvernait les peuples en étouffant tous leurs droits, la liberté triomphe enfin ; et Napoléon, notre auguste empereur, va l'affermir à jamais. Que désormais cette cause si belle soit la nôtre et celle de tous les Français ! Que tous les braves que j'ai l'honneur de commander se pénètrent de cette grande vérité.

[ocr errors]

Soldats, je vous ai souvent menés à la vic

toire maintenant je veux vous conduire à cette

« PreviousContinue »