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quelle circonstance en montra-t-on davantage que dans celle-ci ?

Le spectacle qu'offrit cette journée ne peut être sorti de la mémoire de ceux qui en furent les témoins, et bien certainement il était dans la pensée de tous, qu'à aucune époque de la révolution les Français n'avaient paru mieux disposés à défendre leur liberté et leur indépendance.

L'empereur lui-même quitta le Champ-de-Mars, persuadé qu'il pouvait compter sur les sentimens, qu'on lui montrait. Il ne songea dès-lors qu'à aller à la rencontre de l'orage qui se formait en Belgique.

Les nominations à la pairie étaient faites, le temps pressait; il ouvrit la session du corps législatif. La cérémonie eut lieu dans les formes usitées en pareille circonstance. L'empereur fut reçu avec acclamation, lorsqu'il parut dans la salle; il reçut le serment des membres des deux chambres, après quoi il leur adressa un discours sur les dangers dont la patrie était menacée. Il les invita à prendre des mesures capables de nous sauver de l'invasion qui nous menaçait de toutes parts, à ajourner après l'orage les discussions abstraites, et à ne pas imiter les Grecs du BasEmpire, qui dissertaient pendant que le bélier ennemi renversait leurs murailles.

La chambre des députés fut particulièrement contente de son discours, parce qu'il donnait une entière satisfaction sur toutes les questions qui avaient été le sujet de la mésintelligence de 1814. On croyait pouvoir se promettre quelques résolutions courageuses de la part d'une assemblée qui se disait satisfaite.

Peu de jours après l'arrivée de l'empereur à Paris, on avait tant demandé une constitution, qu'il n'avait pas été possible d'attendre la réunion de la chambre pour en faire la matière de ses discussions.

Les esprits impatiens s'étaient même échauffés sur cette

question, au point qu'il y avait à craindre quelque résistance dans les choses principales, s'ils n'étaient immédiatement satisfaits.

L'empereur chargea en conséquence MM. Benjamin Constant, Bédoc et quelques autres membres de la dernière chambre des députés, de se réunir et de compiler tout ce qui avait été fait et dit sur nos constitutions dans les différentes assemblées nationales qui avaient eu lieu jusqu'à cette époque, et d'en faire un résumé clair que l'on présenterait à l'impatience publique.

Malheureusement les matériaux à compiler étaient trop considérables, et le temps trop court pour que l'on pût revoir toutes les constitutions antérieures et en composer une qui pût satisfaire aux besoins du moment. Aussi ne donna-t-on au travail qu'on présenta que le titre d'Acte additionnel aux constitutions de l'Etat. Les dispositions en étaient extrêmement libérales.

Les publicistes en étaient satisfaits; madame de Staël même applaudissait aux garanties qu'il renfermait. "Les articles additionnels, écrivait-elle au prince ***, sont tout ce qu'il faut à la France, rien que ce qu'il faut, pas plus qu'il ne faut." Et comme il faut qu'il y ait toujours quelque chose d'individuel dans ce qui paraît le plus indépendant, elle ajoutait : "Le retour de l'empereur "est prodigieux et surpasse toute imagination; je vous re"commande mon fils." Le suffrage de madame de Staël était quelque chose, et celui de la cohorte de publicistes génevois qu'elle avait mis en verve sans doute aussi; mais on ne tint aucun compte des élucubrations de ces étrangers. On attaqua l'ouvrage jusque dans son titre. On se déchaîna sans raison et sans mesure contre un travail que l'on n'avait pas même pris la peine de lire. C'était évidemment la malveillance qui agissait, et dans notre malheureuse France elle est toujours sûre de trouver des échos. On fut huit jours en

colère, puis on se calma au point que, lorsque la chambre fut assemblée, on n'ouvrit pas même la discussion sur l'acte additionnel que l'on avait fini par trouver très bon.

Diverses personnes avaient imaginé que l'empereur abdiquerait au Champ-de-Mai, en laissant à la chambre des députés le soin d'administrer l'Etat et de le sauver, soit en négociant avec les ennemis, soit en déployant toute l'énergie nationale, pour triompher d'un refus, si elle en essuyait. Elles prétendaient que les ennemis ayant manifesté, par leur déclaration du 13 mars, que c'était à l'empereur seul qu'ils faisaient la guerre, il convenait que ce prince s'isolât de la question, afin de pouvoir juger si les souverains alliés étaient sincères dans les sentimens qu'ils manifestaient. Dans ce cas, l'assemblée aurait nommé, pour composer une commission de gouvernement, des membres d'intentions pures et à l'abri de toute influence ennemie, qui auraient remis à l'empereur l'exercice du pouvoir, aussitôt qu'ils se seraient aperçus que la déclaration n'était qu'un piége destiné à paraliser l'élan national. Si au contraire les alliés avaient accordé ce que la nation désirait, l'on aurait fait à l'empereur un sort conforme à la dignité de cette même nation, et à la reconnaissance qu'elle portait à celui qui avait été son libérateur dans des dangers dont le souvenir n'était pas encore perdu.

C'était Fouché qui répandait ces idées; il avait ses raisons pour le faire. L'abdication lui eût permis de reprendre plus facilement les projets dont il était occupé avant le retour de l'île d'Elbe; il eût été le maître du terrain et aurait composé avec les étrangers pour son plus grand avantage. Une autre considération encore; il savait que sa conduite avait éveillé les soupçons, il était bien évident que le premier sacrifice que le traître aurait fait demander à la nation pour les étrangers aurait été de leur livrer l'empereur, ce qu'il aurait fait exécuter lui-même, une fois qu'il se serait trouvé le chef du gouvernement. On peut d'autant moins se refuser à con

venir de la vérité de cette opinion, que la sécurité de son avenir lui commandait de sacrifier l'empereur à tout prix; car il est bon de le remarquer encore, les instigateurs à Vienne ne voulaient rien entreprendre, qu'au préalable ce prince n'eût été enlevé de l'île d'Elbe.

Aussi Fouché n'avait-il garde d'avouer les bruits qu'il mettait toute son industrie à propager. Il avait trop de sens pour s'imaginer que l'empereur n'était venu expulser les Bourbons que pour livrer la France à quelques intrigans, et trop de sagacité pour se flatter de lui dérober le but de ses manœuvres. Je crois bien que si, dès l'arrivée de ce prince, il lui avait dit où en était la négociation qu'il conduisait avec ces mêmes étrangers, et qu'il eût pu lui démontrer que sans son retour il eût réussi; je crois, dis-je, que l'empereur n'aurait pas voulu qu'il fût versé une goutte de sang pour obtenir ce que l'on pouvait avoir sans lui. Si Fouché en était aussi persuadé qu'il a affecté de le dire, rien ne peut l'excuser de n'en avoir pas fait la confidence à l'empereur. Il est d'autant plus coupable, que l'aveu, loin de lui nuire, pouvait même devenir un moyen de crédit près de ce prince, en même temps qu'il en devenait un de popularité près de la nation.

Ne peut-on pas penser qu'il n'a gardé le silence sur une matière aussi délicate, que parce qu'il ne se fiait pas aux promesses qu'on lui faisait de Vienne, et qu'alors il lui importait de s'attacher à l'empereur? D'un autre côté, s'il avait divulgué le projet dont il était occupé avant le retour de l'île d'Elbe, et que l'empereur n'eût pas réussi, il aurait infailliblement gâté sa position vis-à-vis du nouveau gouvernement, qui n'eût pas manqué de lui demander compte de sa conduite.

L'empereur avait entendu parler de la négociation de Fouché, et la lettre qu'il avait saisie sur le courrier de Vienne lui avait donné à penser; mais comme le ministre ne lui en par

lait pas, il dut regarder cela comme une intrigue, sur la réussite de laquelle les meneurs ne comptaient pas trop euxmêmes, car il n'y avait aucun motif de faire mystère d'une chose dont il était simple de convenir, puisque l'empereur, qui n'avait fait part de son retour à qui que ce fût, ne pouvait pas trouver extraordinaire que l'on eût entrepris de secouer le joug dont on se plaignait.

Fouché ne se dissimulait pas que les destinées de la Francè dépendaient des résolutions du congrès: mais la campagne allait s'ouvrir en Flandre; il considéra que, si l'on y éprouvait un revers, les armées anglaises arriveraient les premières à Paris, et qu'ainsi le sort de cette capitale dépendrait plus du général anglais que de ceux des autres nations qui se trouvaient encore au-delà du Rhin. Dès-lors, il n'y avait pas de temps à perdre. Il se mit en relation avec lui. A l'aide de cette précaution, il se trouvait en mesure pour toutes les hypothèses. Si l'empereur avait triomphé, il lui réservait les embarras qu'il pouvait lui susciter dans la chambre des députés et parmi les hommes à mouvemens de la révolution. Il n'y a nul doute qu'il serait parvenu à rendre la marche du gouvernement lente, en éteignant l'espérance de le voir se consolider. Enfin il restait une dernière ressource, celle de l'assassiner; cela lui était d'autant plus facile, que le meurtrier était sûr de l'impunité, parce que l'on ne serait pas parvenu à le saisir, si le ministre ne l'avait pas voulu.

J'ai eu occasion de parler de cela avec plusieurs personnes qui connaissaient Fouché depuis vingt ans, et qui étaient tout-à-fait de mon opinion.

La profondeur de la dissimulation de Fouché était telle, qu'ayant été moi-même le voir dans les premiers jours du départ de l'empereur pour la Flandre, il me dit dans le cours de la conversation: "On ne peut pas s'attacher à l'empereur, il "n'y a avec lui de sûreté pour personne, il croit toujours qu'on

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