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"le trahit." C'était après avoir écrit à M. de Wellington qu'il tenait ce langage.

On ne peut revenir de son étonnement en songeant que l'empereur ait de nouveau employé un tel homme. Une erreur semblable prouve à quel point il était resté étranger à tout ce qui avait pu se tramer à Paris.

CHAPITRE IV.

Départ de l'empereur pour l'armée.-Répartition de nos forces.-Les Bavarois.-Jactance de Castlereagh.-L'assurance qu'il affichait n'était pas réelle. -Anecdote de Smyrne.-Ce qu'eût pu faire l'empereur, si la fortune l'eût secondé.-Que n'a pas mérité la perfidie de Fouché !

L'EMPEREUR partit le 10 ou le 11 juin pour aller se mettre à la tête de l'armée.

Il se rendit d'abord à Avesnes, et fit assembler les troupes sur les bords de la Sambre, entre Maubeuge et Charleroi. Je n'étais point à l'armée, et je ne puis en conséquence retracer que sommairement les événemens de cette malheureuse campagne.

L'armée de l'empereur n'était pas extrêmement nombreuse, mais elle était bonne, animée de la meilleure volonté. Elle était inférieure en cavalerie à l'armée ennemie, qu'elle surpassait par la qualité de ses troupes d'infanterie, et surtout par son artillerie.

Le temps qui lui restait pour mettre la frontière en sûreté par un coup d'éclat était compté.

L'empereur devait s'attendre à voir arriver au mois de juillet les armées russe et autrichienne sur le Rhin; il fallait de toute nécessité qu'il se trouvât sur ce fleuve à cette époque.

Les corps de Suchet à Lyon, celui du général Lecourbe à Béfort étaient faibles; mais ils se grossissaient chaque jour par l'arrivée successive des hommes provenant des levées que l'on activait au nom du salut de la patrie: si l'empereur ne les déplaça pas plus tôt, c'est qu'il gagnait à les laisser se compléter pour les utiliser dans la seconde partie de ses opérations.

L'armée bavaroise, qui était forte d'environ vingt-cinq mille hommes, occupait le pays de Deux-Ponts; elle venait de se rallier à l'armée combinée anglo-prussienne. L'empereur, qui était autorisé à compter sur les sentimens de ces troupes qu'il avait fait pratiquer depuis un mois, voulait vider la querelle avec l'armée anglaise, avant que les Bavarois pussent prendre part à ses opérations, parce que le lendemain de la bataille ils étaient à lui, soit par un retour d'affection de leur part, soit par la nécessité dans laquelle la fortune de guerre les aurait placés.

Ils s'avançaient à marches forcées pour joindre les AngloPrussiens, et plus ils s'approchaient de la Basse-Meuse, plus ils se seraient trouvés dans nos filets, si la fortune nous avait été favorable à Waterloo.

Le corps qui était en Lorraine, où il se grossissait chaque jour, suivit le long de la frontière le mouvement que les Bavarois faisaient en dehors; l'empereur le fit concentrer. dans les environs de Thionville, et l'on verra bientôt pourquoi il le laissait là.

Toutes les places de la frontière, depuis la mer jusqu'au Rhin, étaient pourvues de garnisons composées de gardes nationaux. On ne pouvait sûrement pas les considérer comme de bonnes troupes sur un champ de bataille; mais on aurait trouvé mille bonnes manières de les employer dans des opérations qui deviennent faciles à la suite d'une bataille gagnée.

Quand un événement ne répond pas aux espérances que

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l'on avait conçues, on ne manque jamais de blâmer les conceptions du chef. On critique sa tactique, on déprécie ses combinaisons, on ne trouve de plausible que ce qu'il n'a pas fait. C'est ce qui est arrivé à l'empereur. On l'a traité sans pitié des officiers inconnus jusques-là se sont tout à coup tranformés en foudres de guerre; il n'y avait, à les entendre, qu'à les laisser faire : les armées ennemies ne leur eussent pas échappé.

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Il est bien vrai que la bataille de Waterloo a tout perdu; mais elle-même a-t-elle été perdue par suite des manœuvres qui l'ont préparée, par l'imprévoyance de celui qui les dirigeait, ou avons-nous succombé par un concours de faux mouvemens, d'incidens fâcheux auxquels on ne pouvait s'attendre ? C'est ce que je vais tâcher d'expliquer.

Hormis le corps du général Rapp, l'empereur avait emmené sur le principal théâtre de ses opérations tout ce qu'il avait de troupes disponibles, à portée d'y être employées.

Il n'a assurément pas livré la bataille pour la perdre, et il avait plus de chances de succès que de revers. Le désastre a été grand sans doute, plus grand peut-être encore qu'on pe s'imagine; car ce n'est qu'en le comparant à l'éclat qu'aurait eu la victoire, que l'on peut sonder la profondeur de l'abîme dans lequel on est tombé. Les Français qui aiment leur pays verseront des larmes de sang en apprenant tout ce qui pouvait être la suite de quelques généreux efforts de plus. Pour moi, j'ai perdu le repos depuis que j'ai appris d'une manière certaine combien il s'en est peu fallu que l'édifice de gloire que nous avions été vingt ans à construire ne fût à jamais consolidé.

Le premier ministre d'Angleterre a fait au parlement un long rapport sur les opérations des différentes armées combinées pendant cette courte campagne. Il avait dit, quelques mois auparavant, à cette assemblée pour la déterminer à prendre part à la guerre qu'il faisait rallumer à la suite

du retour de l'empereur, que le succès ne pouvait pas en être douteux, et que les opérations ne devaient pas durer six semaines.

Par l'événement, il s'est trouvé avoir deviné juste; mais il y a de puissans motifs pour penser qu'il ne comptait pas luimême sur une solution aussi prompte et surtout aussi avantageuse. Il est probable qu'il avait, à tout événement, fait son thême de deux façons.

On est même autorisé à croire qu'il en a imposé au parlement, lorsqu'en lui rendant compte des événemens qui ont anéanti la France, il a dit à la chambre des communes que, quand bien même la bataille de Waterloo aurait eu une issue contraire, le succès des coalisés n'en aurait pas moins été assuré, parce que l'empereur Alexandre arrivait avec des masses de troupes tellement fortes, que la victoire ne pouvait pas lui être long-temps contestée, et qu'il aurait alors réparé tous les revers de l'armée anglo-prussienne, si elle en avait éprouvé.

Cette opinion, avec quelque confiance qu'elle soit énoncée, s'accorde peu avec le fait suivant qui est de la plus exacte vérité.

Lors du retour de l'île d'Elbe, la marine française avait, aux ordres de M. de Sessieux, dans les échelles du Levant, une division composée d'une frégate, d'une corvette, de deux bricks et de deux goëlettes.

Les Anglais mirent à sa poursuite, dès que la guerre fut déclarée, une escadrille forte de deux frégates du même échantillon que la frégate française, et les firent soutenir par une corvette et deux bricks, dont un était très gros. De cette manière, les chances étaient toutes en leur faveur.

Le commodore anglais se mit à la recherche de la division française et vint à Smyrne où il espérait la trouver; mais quelque diligence qu'il fit, il ne put arriver avant le départ de M. de Sessieux pour Toulon, où il avait ordre de se rendre.

Le commodore resta à Smyrne, et il y était encore lorsqu'il apprit en cette ville les désastres de Waterloo et l'abdication qui en fut la suite. Les officiers anglais témoignaient le dépit que leur causait un événement qui faisait évanouir les espérances d'avancement dont ils s'étaient bercés. Calmezvous, leur dit le commodore; quand même nous aurions joint la division française, nous n'aurions pu la combattre. Je n'avais ordre que de l'observer, et je ne lui aurais pas même envoyée un boulet, eût-elle arboré le pavillon tricolore, avant d'avoir reçu de nouvelles instructions.

Si M. Castlereagh était aussi assuré de l'issue des opérations militaires, même dans le cas où la bataille de Waterloo eût été perdue, à quoi bon empêcher la marine anglaise de contribuer par les siennes à des succès qui intéressaient son pays?

N'est-il pas permis de croire que M. de Castlereagh n'était pas au fond aussi assuré du succès qu'il voulait le paraître, et qu'ainsi, en cas d'un revers qu'il était raisonnable de prévoir, il aurait été tout prêt à traiter isolément avec la France, en donnant pour excuse aux alliés le désastre qu'aurait infailliblement éprouvé l'armée anglaise à la suite d'une bataille perdue, et en se plaignant même de la lenteur avec laquelle ils se seraient portés au secours de M. de Wellington ?

Si ce n'était pas là le projet du premier ministre pour sortir d'embarras, on doit nécessairement lui supposer celui d'abandonner la coalition dans le cas où la guerre serait venue à traîner en longueur, au lieu de se terminer aussi vite qu'il l'annonçait en sollicitant l'assistance du parlement. C'est vraisemblablement dans cette intention qu'il avait fait donner des instructions éventuelles aux officiers de la marine, afin de ne plus se trouver dans une complication de questions, lorsqu'il aurait rencontré le moment opportun pour traiter avec l'empereur. Cela prouverait encore qu'il avait aperçu, avant

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